Si le cinĂ©ma Français existe par une centaine de films chaque annĂ©e, il est bien entendu que dix ou douze seulement mĂ©ritent de retenir lâattention des critiques et des cinĂ©philes, lâattention donc de ces Cahiers. » 2014 AnnĂ©e Truffaut. Exposition Ă la CinĂ©mathĂšque de Paris, rĂ©trospectives, cĂ©lĂ©bration institutionnelle, reconnaissance gĂ©nĂ©rationnelle. UnanimitĂ© pour louer lâhĂ©ritage dâun des pĂšres fondateurs de la Nouvelle Vague. Lâexposition de la CinĂ©mathĂšque, riche de documents et Ă©mouvante par instants, sâachĂšve pourtant par une sĂ©quence troublante la projection dâune vidĂ©o oĂč lâon voit de jeunes comĂ©diens interprĂ©ter une scĂšne de Truffaut, parler. Qui sont-ils ? DâoĂč viennent-ils ? Pourquoi nous les montre-t-on se montrer ? Ils jouent mal, nâont rien Ă dire. La sĂ©quence est gĂȘnante. Leurs noms sont affichĂ©s la moitiĂ© ou presque sont des fils/fille de »âŠGarrel, Haenel, Bonitzer, etc. Le metteur en scĂšne Vincent Macaigne adoubĂ© par la critique pour son dernier spectacle au Théùtre de la ville de Parisest bien entendu de la partie. De quoi sont-ils le nom ? De lâhĂ©ritage aux hĂ©ritiers, il nây a quâun pas il est franchi, sans que personne ne sourcille. CinĂ©ma, théùtre, mĂ©dia, mĂȘme rĂ©seau, mĂȘme processus de lutte des places quelle que soit la vacuitĂ© du propos et de la dĂ©marche. Mais finalement, est-ce si surprenant de voir le cinĂ©ma de Truffaut aboutir au conformisme creux et plat des annĂ©es 2010 ? Le lyrisme et lâexploration du soi prĂ©sents dans ses films ont prĂ©figurĂ© le dĂ©lire Ă©gotique de la sociĂ©tĂ© du spectacle qui tĂ©lĂ©ramise le cinĂ©ma comme les arts du spectacle. OĂč sont Jean Eustache, Philippe Garrel, scandaleusement absents, eux, de la rĂ©trospective, les seuls Ă avoir travaillĂ© le versant nĂ©gatif de la naĂŻvetĂ© truffaldienne ? Godard, Ă peine Ă©voquĂ©, leur brouille, ses raisons personnelles et artistiques, inexistante. AgnĂšs Varda, Jacques Demy, et dâautres enfants cinĂ©matographiques de Truffaut, laissĂ©s de cĂŽtĂ©. Tous ces auteurs qui ont travaillĂ© formellement lâhĂ©ritage de Truffaut sont remplacĂ©s par une jeunesse dĂ©jĂ vieillie par les combats mondains. De lâexposition, je ne garde que ceci un objet fĂ©tiche qui nâa dâautre consistance quâun plaisir vide et Ă©phĂ©mĂšre. Alors mĂȘme que les portes Ă©taient ouvertes, elles se referment sur la jeune arriĂšre-garde française. DĂ©finitivement Godard, Garrel, Eustache. De 2014 Ă 1954. Cette annĂ©e-lĂ , Truffaut publie un article demeurĂ© cĂ©lĂšbre Une Certaine Tendance du CinĂ©ma français. 60 ans plus tard, quelle boucle enchevĂȘtre ce propos novateur Ă ce qui sâen est suivi? Quelle crĂ©ativitĂ© le théùtre français a-t-il donnĂ© Ă voir dans une annĂ©e marquĂ©e notamment par le Festival dâAvignon prĂ©sidĂ© par Olivier Py, le conflit des intermittents, le Festival dâAutomne, et dâautres manifestations encore ? Je laisse de cĂŽtĂ© la question de savoir pourquoi le propos de Trufaut sâest finalement retournĂ© contre lui, et comment, aprĂšs Les 400 coups, il a pu reproduire le cinĂ©ma archaĂŻque quâil abhorrait. La force du texte, elle, reste intacte ; elle tient Ă lâabsolue actualitĂ© du propos, mais presque en nĂ©gatif. Truffaut oppose cinĂ©ma de texte et cinĂ©ma de metteur en scĂšne, cinĂ©ma de la tradition et de la qualitĂ© » et cinĂ©ma dâauteur. Il Ă©crit Ă un moment Eh bien je ne puis croire Ă la co-existence pacifique de la Tradition de la QualitĂ© et dâun cinĂ©ma dâauteur.» La guerre que sâapprĂȘtent Ă mener Truffaut et ses futurs-amis, câest le refus de la Tradition et de la QualitĂ©, cette position est irrĂ©conciliable. Et bien pourtant, 2014 a vu se poursuivre le processus inverse la fusion des deux et leur dilution rĂ©ciproque. Je gĂ©nĂ©ralise, il y a bien entendu des exceptions Ă cela HypĂ©rion de Marie-JosĂ©e Malis, Bit de Maguy Marin, et dâautres encore, mais elles sont relĂ©guĂ©es Ă la marge. Je me souviens du âPy-ĂȘtreâ Festival dâAvignon 2014, son inconsistant théùtre du retour au texte». Comme si le salut pouvait venir dâune divine poĂ©tique qui suffirait Ă faire oeuvre. Des mots-valises entendus Ă foison, comme pour faire oublier que lâheureux Ă©lu posait les siennes absolument partout, et entendait que cela se voie. Câest donc cela Une certaine tendance du théùtre français. Mettre en avant le verbe pour sâexposer Ă la pleine lumiĂšre, au risque que le verbeux et le verbiage peinent Ă masquer les ambitions personnelles. Mais ce nâest pas tout car, comme lâĂ©crit Truffaut Vive lâaudace certes, encore faut-il la dĂ©celer oĂč elle est vraiment. » Lâadaptation de LâIdiot par Vincent Macaigne, par exemple, est-elle drapeau rĂ©volutionnaire ou sac plastique, effigie cynique de la sociĂ©tĂ© de consommation ? OĂč se trouvent la prise de risque vĂ©ritable, la violence symbolique ? Peut-on croire Ă la subversion par les cris, par le cru, par une dĂ©bauche dâimages et de moyens⊠quand câest peut-ĂȘtre en rĂ©alitĂ© la subvention qui est recherchĂ©e, qui se trame, qui se joue derriĂšre ces appareils ? Poursuivons avec Truffaut Le trait dominant du rĂ©alisme psychologique est sa volontĂ© anti-bourgeoise. Mais qui sont Aurenche et Bost, Sigurd, Jeanson, Autant-Lara, Allegret, sinon des bourgeois, et qui sont les cinquante mille nouveaux lecteurs que ne manque pas dâamener chaque film tirĂ© dâun roman, sinon des bourgeois ? » Il suffit de remplacer ces noms par ceux de la nouvelle gĂ©nĂ©ration ». La bourgeoisie, câest la reproduction sociale, par le capital, les codes, le rĂ©seau, la culture ; la reproduction dâidĂ©es, par le conformisme. Câest la lutte des places, peu importe ce quâon y fait, ce quâon y dit il faut en ĂȘtre. Que propose le jeune metteur en scĂšne Sylvain Creuzevault comme pensĂ©e politique dans Le Capital ? La dĂ©construction permanente rire de tout pour Ă©viter de penser quoi que ce soit. Rire entre soi de rĂ©fĂ©rences communes, ni approfondies, ni complexifiĂ©es. Et que dire de âRĂ©pĂ©titionâ de Pascal Rambert ? LĂ encore, la dĂ©construction comme cache-misĂšre, comme jeu de miroirs, et peu importe sâil ne reflĂšte rien dâautre que le vide. La tentative initiĂ©e par Philippe Quesne de mettre en scĂšne lâenfance dans Next Day ? Mais oĂč sont donc les enfants de Nanterre, ceux quâon trouverait par exemple dans les Ă©coles de la ville ? Nous avons des apothicaires qui font leurs comptes au lieu dâartistes capables de nous aider Ă penser le monde contemporain. Dans une sociĂ©tĂ© en crise, oĂč sont les marginaux, les dĂ©laissĂ©s, les exclus ? On a beau chercher, on ne les voit pas. Il est plus que temps dâouvrir la scĂšne et les théùtres aux acteurs sociaux, aux prĂ©caires, aux enfants, aux personnes issues de lâimmigration, Ă tous ceux qui nâappartiennent pas au monde de la culture Quelle est donc la valeur dâun cinĂ©ma anti-bourgeois fait par des bourgeois, pour des bourgeois ?» demande Truffaut. Quelle est donc la valeur dâun théùtre anti-bourgeois fait par des bourgeois, pour des bourgeois ? Des portes sont ouvertes en 2014, certaines oeuvres ont marquĂ© les esprits celles dâAngĂ©lica Liddell, Pippo Delbono, RomĂ©o Castellucci, Matthew Barney, William Forsythe, proposĂ© un dispositif radical, Ă la mesure des enjeux contemporains. En 2015, il faudra creuser ce sillon. Car il vient de loin, et ne date pas dâaujourdâhui sur mon fil dâactualitĂ© Facebook, un ami renvoie au blog de Pierre Assouline qui retranscrit sa discussion avec Mickael Lonsdale. Ce dernier Ă©voque Beckett, qui avait dĂ©jĂ perçu cet enjeu Ă lâĂ©poque AprĂšs sa mort, jâai relu tout ce quâil a Ă©crit. Jâai compris quâil ne parlait que des pauvres, des fous, des clodos, des dĂ©traquĂ©s, des rejetĂ©s de la sociĂ©tĂ©, alors que depuis des siĂšcles, le théùtre nous faisait vivre certes des situations tragiques mais auprĂšs de rois, de puissants. Sans son humour, ce serait intenable. Sa compassion pour lâhumanitĂ© est incroyable. Je lâai bien connu dans sa vie privĂ©e discrĂštement, il aidait les gens, les secourait lorsquâils Ă©taient malades. Sa femme lâayant fichu dehors Ă cause de leurs disputes, il vivait dans une maison de retraite tout prĂšs de chez lui ; mais quand elle est morte, il a prĂ©fĂ©rĂ© rester parmi mes semblables » disait-il, au lieu de rentrer chez lui. JusquâĂ la fin, il faisait les courses pour un couple qui ne pouvait plus se dĂ©placer. La gĂ©nĂ©rositĂ© de cet homme ! DĂšs lors que lâon essaie de sauver les gens, câest de lâordre de lâamour, donc Dieu est lĂ . Mais de tout cela, on ne parlait pas en marge des rĂ©pĂ©titions. Pourtant jâai créé ComĂ©die dont on peut associer la diction Ă celle des monastĂšres. Recto tono ! Une vitesse de mitrailleuse ! Sans inflexion ni psychologie. Une machine ! MĂȘme si son inspiration pouvait ĂȘtre picturale, le Caravage surtout quâil allait voir en Allemagne. En attendant Godot est nĂ© de la vision dâun tableau. Pour le reste, Beckett câĂ©tait saoĂ»lographie totale. » / Sylvain Saint-Pierre â Tadorne Ătiquettes Angelica Liddell, Maguy Marin, Marie-JosĂ© Malis, Pippo Delbono, RomĂ©o Castellucci, Sylvain Crevezault, Vincent Macaigne, William Forsythe Pourquoi nâĂ©cris-tu plus sur le Tadorne ? ». Parce que le théùtre ne me donne plus la parole »⊠Depuis la rentrĂ©e le processus avait dĂ©jĂ commencĂ© au festival dâAvignon, gĂ©nĂ©ration Py, je suis un spectateur passif, en attente dâune expĂ©rience qui ne vient pas. Je ressens un fossĂ©, un gouffre, entre des gestes artistiques verticaux et ma capacitĂ© Ă les accueillir, avec mes doutes, mes forces et mes questionnements. Je reçois des propos qui ne me sont pas adressĂ©s, juste pensĂ©s pour un microcosme culturel qui adoube, exclut, promeut. A lui seul, il a souvent Ă©tĂ© public dâun soirâŠnotamment lors du festival de crĂ©ation contemporaine Actoral Ă Marseille. Ce que jây ai vu mâest apparu dĂ©sincarnĂ©, hors de propos parce que sans corps. Le spectacle dit vivant » sâest rĂ©vĂ©lĂ© mortifĂšre le rapport au public nâest plus LA question. Il y a bien eu le metteur en scĂšne japonais Toshiki Okada avec Super Premium Sof Double ». Son Ă©criture oĂč se mĂȘlent mouvements et mots est une avancĂ©e pour relier corps et pensĂ©e visant Ă nous dĂ©crire lâextrĂȘme solitude des travailleurs japonais qui trouvent dans les supermarchĂ©s ouverts la nuit de quoi puiser lâĂ©nergie dâun espoir de changement. Je suis restĂ© longtemps attachĂ© Ă ces personnages Ă priori automatisĂ©s dans leurs gestes, mais oĂč se nichent des interstices oĂč la poĂ©sie prend le pouvoir. Il y a bien eu La noce » de Bertolt Brecht par le collectif In Vitro emmenĂ© par Julie Deliquet au TGP dans le cadre du festival dâAutomne Ă Paris. Une table, un mariage, une famille et des amis. Câest magnifiquement jouĂ©, incroyablement incarnĂ© pour dĂ©crire cette Ă©poque les annĂ©es 70 oĂč la question du corps Ă©tait politique. Mais une impression de dĂ©jĂ vu GwenaĂ«l Morin, Sylvain Creuzevault me rend trop familier avec le jeu des acteurs pour que jây voie un théùtre qui renouvellerait sa pensĂ©e. Il y a eu Vincent Macaigne avec âIdiot! parce que nous aurions dĂ» nous aimerâ, chouchou des institutions et de la presse depuis son dernier succĂšs Ă Avignon. Ă peine arrivĂ© au Théùtre de la Ville Ă Paris, le bruit est une violence. Vincent Macaigne et ses acteurs sâagitent dans le hall et dans la rue. Les mĂ©gaphones nous invitent Ă fĂȘter lâanniversaire dâAnastasia, lâune des hĂ©roĂŻnes de Lâidiot » de Fiodor DostoĂŻevski. En entrant dans la salle, nous sommes conviĂ©s Ă monter sur scĂšne, pour boire un verre »âŠAinsi, le public est chauffeur de salle, rĂ©duit Ă un Ă©lĂ©ment du dĂ©cor. Il rĂšgne une ambiance insurrectionnelle quelques spectateurs sont sur scĂšne tandis quâun acteur le Prince observe, immobile, illuminĂ© par un faisceau de lumiĂšre. Câest fascinant parce que le sens du théùtre sâentend. Mais cette force va rapidement sâĂ©puiser. Parce que Vincent Macaigne sâamuse comme un gosse Ă qui lâon aurait donnĂ© tout lâor du monde ici, lâargent public coule Ă flot pour transposer cet Idiot en Ă©vitant de passer par la case politique. Car il nâa aucun sens politique on se casse la gueule pour faire diversion genre humour plateau de tĂ©lĂ©, on gueule pour habiter les personnages, on noie le propos dans une scĂ©nographie dâun type parvenu au sommet parce que les professionnels culturels sont aveuglĂ©s par le pouvoir de la communication. Macaigne leur rend bien tout respire la vision dâun communicant. JusquâĂ cette scĂšne surrĂ©aliste Ă lâentracte oĂč, face au bar, il pousse un caisson tandis que se tient debout le Prince. Macaigne pousseâŠinvite le public Ă applaudir mais qui ne rĂ©pond pas. La scĂšne aurait pu faire de lâimage, mais Macagine est pris Ă son propre piĂšge il fait du trĂšs mauvais théùtre de rue. Mais quâimporte, le jeune public et une classe sociale branchĂ©e y trouvent leur compte le théùtre peut aussi faire du bruit et de lâimage, cĂ©lĂ©brer le paraĂźtre et la vacuitĂ© de lâĂ©poque. On se perd trĂšs vite dans les personnages parce que lâeffet prend le pas sur la relation souvent rĂ©duite Ă un geste, une interpellation, parce que les dialogues sont Ă lâimage dâun fil de discussion sur Facebook. Avec Vincent Macaigne, le théùtre est un produit de surconsommation. Câest pathĂ©tique parce que les acteurs se dĂ©battent en gueulant et que cela ne fait jamais silence; parce que Macaigne se fait une Ă©trange conception du public Ă son service. Câest pathĂ©tique parce que ce théùtre du chaos ne crĂ©e aucun dĂ©sordre il profite juste de nos errances. Il y a bien eu Impermanence » du Théùtre de lâEntrouvert, spectacle dit jeune public » co-diffusĂ© par le Théùtre Massalia et la CriĂ©e de Marseille. Dans la salle, une fois de plus, beaucoup de professionnels. Il y a trĂšs peu dâenfants. Au cĆur de la Belle de Mai, il nây a aucune famille de ce quartier trĂšs populaire. Jeune public ou pas, la fracture sociale est la mĂȘme. Le théùtre dit contemporain ne sâadresse plus au peuple. Sâadresse-t-il seulement aux enfants alors que mon filleul de 9 ans ne voit pas toute la scĂšne parce quâil est trop petit le théùtre ne dispose dâaucun coussin pour lui? La feuille de salle est un texte trĂšs hermĂ©tique Ă lâimage dâune piĂšce qui reprend tous les poncifs de la crĂ©ation contemporaine. Au cours de ce voyage théùtral sans but, lâartiste Ă©voque la perte de sens » on ne saurait mieux Ă©crire. Ici se mĂ©langent musique vrombissante, images, numĂ©ro allĂ©gĂ© de cirque, marionnette inanimĂ©e. Tout est mortifĂšre Ă lâimage dâun pays pĂ©trifiĂ© dans la peur de faire. Toutes les esthĂ©tiques sont lĂ pour satisfaire les programmateurs. Câest dĂ©courageant de constater que les logiques de lâentre soi sont maintenant imposĂ©es aux enfants. Dans ce paysage morose, il y a une lueur dâespoir. Elle vient dâun metteur en scĂšne, Jacques Livchine, qui rĂ©pond JosĂ©-Manuel GonçalvĂšs, directeur du 104 Ă Paris aprĂšs son interview dans Telerama. Un paragraphe a retenu mon attention Il y a quelque chose qui ne va pas dans le théùtre, il nây a pas de projet commun, rien ne nous relie les uns les autres, On est dans le chacun pour soi, le ministĂšre de la Culture est incapable de nous donner le moindre Ă©lan. Les petites sources de théùtre ne deviennent pas des ruisseaux ou des riviĂšres qui alimenteraient un grand fleuve, non, câest le marchĂ© libĂ©ral, la course aux places, aux contrats, les symboles se sont envolĂ©s, nous sommes tous devenus des petits boutiquiers comptables. Il faudrait se mettre tous ensemble pour dire quâon en a marre, quâil faut que nos forces sâadditionnent pour une seule cause, celle de retrouver âla fibre populaireâ. On a besoin dâun dĂ©fi collectif, le théùtre ne doit plus sâadresser Ă un public, mais Ă la ville toute entiĂšre. » Ce dĂ©fi ne se fera pas avec le ministĂšre de la Culture et ses employĂ©s obĂ©issants. Il se fera Ă la marge, par la base, par un long travail de rĂ©appropriation de lâart par ceux qui veulent que la relation humaine soit au centre de tout. Les théùtres subventionnĂ©s ont depuis longtemps abandonnĂ© ce centre-lĂ pour jouer Ă la pĂ©riphĂ©rie afin de maintenir leurs pouvoirs et leurs corporatismes. Pascal BĂ©ly â Le Tadorne. Ătiquettes Julie Deliquet, Toshiki Okada, Vincent Macaigne Trois annĂ©es aprĂšs la crise des subprimes, trois artistes du Festival dâAvignon sâemparent du sujet pour en restituer leur vision Nicolas Stemann Les contrats du commerçant, une comĂ©die Ă©conomique», Thomas Ostermeier Un ennemi du peuple» et Bruno Meyssat 15%». Premier Ă©pisode avec Nicolas Stemann pour la reprĂ©sentation la plus chĂšre aprĂšs celles de la Cour dâhonneur entre 29 et 36 âŹ; Ă ce prix-lĂ , il reste encore des places. Il sâavance sur la scĂšne pour nous prĂ©venir la piĂšce est longue un compteur de pages trĂŽne sur le plateau, bloquĂ© Ă 99 et il nâest pas nĂ©cessaire de lire en continu les surtitres effectivement, le texte dElfriede Jelinek est une interminable logorrhĂ©e verbale Ă propos des consĂ©quences de la spĂ©culation financiĂšre sur lâĂ©conomie rĂ©elle. Nicolas Stemann prĂ©cise que nous pouvons quitter les gradins de la cour du LycĂ©e Saint-Joseph pour nous dĂ©saltĂ©rer au bar et visionner âles contratsâ. ManiĂšre Ă©lĂ©gante pour dĂ©finir ce spectacle comme une installation. Ces principes de prĂ©caution Ă©tant posĂ©s, la piĂšce peut dĂ©buter. Feuillets Ă la main, les acteurs Ă©grĂšnent le texte tout en le ponctuant de diffĂ©rentes performances. Le mistral sâinvite pour faire voler ce texte soporifique en Ă©clats de papier. Les corps des acteurs en disent bien plus que les mots qui dĂ©filent tels des cours de la bourse sur les chaines dâinformation. La succession de performances met en scĂšne les ravages dâun systĂšme financier hors de contrĂŽle sur la vie dâun couple de retraitĂ©s. Je mâennuie trĂšs vite comme si ces images, mĂȘme mĂ©taphoriques, mâĂ©taient familiĂšres. En effet, la danse contemporaine et les arts plastiques vĂ©hiculent les symboles du corps marchand» depuis longtemps sans faire explicitement rĂ©fĂ©rence Ă la crise financiĂšre. Ă cet instant, ce théùtre-lĂ nâinvente rien. Tout au plus recycle-t-il des procĂ©dĂ©s scĂ©niques au profit dâun texte bien heureux dâĂȘtre ainsi valorisĂ©! Lâabsence de dramaturgie provoque la farce, malgrĂ© de belles images» de corps ensanglantĂ©s, de corps crucifiĂ©s Ă la dĂ©rive et de scĂšnes de boulimie de billets de banque qui tournent au vomi⊠LassĂ©, je prends la tangente vers le bar oĂč le prix des consommations nâa rien Ă envier Ă ceux pratiquĂ©s sur la Place de lâHorloge. On y discute, mais de quoi? Des spectateurs naufragĂ©s couverture sur les Ă©paules errent dans le jardin, mais vers oĂč? Ătrange image que ces attroupements comme si le besoin de lien social prenait le pas sur les performances! Est-ce une mĂ©taphore de notre inconscience face Ă la crise? Je dĂ©cide de ne pas regagner ma place. Je me positionne Ă lâentrĂ©e du couloir entre scĂšne et jardin, tel un observateur attentif pour ne rien perdre de mon regard critique. Situation totalement inĂ©dite en vingt ans de frĂ©quentation du Festival! Je savoure cette liberté⊠Câest alors que Vincent Macaigne metteur en scĂšne dâun Hamlet dĂ©capant lors de lâĂ©dition de 2011 du Festival sâinsurge dans les gradins. Il veut stopper la piĂšce. De ma place, je comprends trĂšs vite que câest un jeu de rĂŽles calculĂ©. Il finit par monter sur le plateau. La scĂšne est assez pathĂ©tique dĂ©sinvolte, il semble dĂ©couvrir le texte. Mon attention est dĂ©tournĂ©e par un enfant comĂ©dien» prĂ©cĂ©demment dĂ©guisĂ© en superman qui quitte le plateau par les coulisses. Câest la fille de Vincent Baudriller, directeur du Festival dâAvignon. Ainsi, la farce tourne vite Ă la mise en scĂšne dâun milieu qui jouit du dĂ©sordre gĂ©nĂ©rĂ© par la crise ici symbolisĂ© par lâĂ©clatement de la reprĂ©sentation oĂč la performance et les arts plastiques prennent le pouvoir sur la dramaturgie. Aucun systĂšme de pensĂ©e nâĂ©merge de ce théùtre, tout au plus une amusante dynamique dâun jeu de rĂŽles» oĂč le spectateur non averti ignore des enjeux par quel processus cet enfant est-il arrivĂ© sur scĂšne? Que se joue-t-il entre Vincent Macaigne, Nicolas Stemann et la Direction sachant que le lendemain, on me dit que Stanislas Nordey, artiste associĂ© en 2013 du Festival, endossera le rĂŽle?. Il y a dans ces contrats» bien dâautres transactions» et dâautres comĂ©dies Ă©conomiques» oĂč le public nâest finalement quâune variable dâajustement ses dĂ©placements sont mĂȘme orchestrĂ©s Ă des fins de mise en scĂšne fuite au-dehors ou vers le bar; quâimporte !. Au Théùtre des IdĂ©es, Ă©vĂ©nement programmĂ© au sein du Festival, ClĂ©mence HĂ©rout rapporte dans son blog lâintervention dâAlain Badiou Le théùtre reprĂ©senterait ainsi la tension entre transcendance et immanence de lâidĂ©e». Ce soir, nous en sommes trĂšs loin. Infiniment loin. Comme si la crise de 2008 avait rĂ©ussi Ă faire plonger certains artistes joliment subventionnĂ©s dans la mise en scĂšne du cynisme avec une esthĂ©tique irrĂ©prochable pour amuser le bourgeois Ă dĂ©faut dâinviter le peuple Ă rĂ©flĂ©chir sur son avenir. Pascal BĂ©ly, Le Tadorne. Les contrats du commerçant, une comĂ©die Ă©conomique» de Nicolas Stemann au Festival dâAvignon du 21 au 26 juillet 2012. Ătiquettes Alain Badiou, Nicolas Stemann, Vincent Baudriller, Vincent Macaigne Ce fut le succĂšs du dernier Festival dâAvignon. Une oeuvre rare. Le Théùtre National de Chaillot Ă Paris lâaccueille du 2 au 11 novembre 2011 avant une tournĂ©e jusquâen fĂ©vrier 2012 Grenoble, Mulhouse, Douai, OrlĂ©ans, Nantes, Luxembourg, Valenciennes. Retour dâAvignon⊠Cela devait arriver. Non que cela fut prĂ©visible, mais attendu. Depuis quelques jours, il se trame un drame derriĂšre les murs du CloĂźtre des Carmes au Festival dâAvignon. AprĂšs Au moins jâaurai laissĂ© un beau cadavre» de Vincent Macaigne dâaprĂšs Hamlet» de William Shakespeare, de nombreux spectateurs semblent sonnĂ©s par cette proposition qui dĂ©passe lâentendement. Je nâai pas pleurĂ©. Je me suis mĂȘme amusĂ© avec le chauffeur de salle. Fini lâattente. Le théùtre est ouvert dĂšs notre installation. Sur le gazon bien amochĂ© et boueux de la scĂšne, un homme harangue la foule avec une chanson dĂ©bile. Il invite le public Ă monter sur le plateau. Les jeunes ne se font pas prier. Et ça dureâŠLa caste journaliste vieillissante se demande avec inquiĂ©tude comment cela va finir. Cet espace intermĂ©diaire entre théùtre et rĂ©alitĂ© en dit long sur les intentions de Macaigne il faut nous mettre en condition, en assemblĂ©e. Quitte Ă se foutre de notre gueule. Je nâai pas pleurĂ©. Jâai juste tremblĂ© pour Hamlet. Depuis le temps, je mâhabitue Ă sa folie. Mais ce soir, câest tout un systĂšme qui devient fou. Le corps du pĂšre gĂźt encore dans une fosse ouverte dâeau boueuse tandis que le mariage de Claudius avec la mĂšre dâHamlet tourne Ă la farce populaire dâune Ă©mission pour temps de cerveau indisponible. Nous rions Ă notre dĂ©cadence. La boue est notre merdier. Les personnages se dĂ©patouillent pour exister dans ce dĂ©cor de terre piĂ©tinĂ©e, dâarriĂšre-cour de salle dâattente dâentreprise de communication, de logement prĂ©caire en tĂŽle et verre probablement dessinĂ© par le metteur en scĂšne institutionnalisĂ© et friquĂ© FrĂ©deric Fisbach, prĂ©sent au Festival avec Juliette Binoche, actrice squelettique. Comment comprendre la tragĂ©die dâHamlet si lâon ne pose pas le contexte dans lequel elle interagit? Vincent Macaigne ne sâattarde pas beaucoup sur le spectre, rĂ©duit Ă un furet empaillĂ©. Inutile de sâaccrocher Ă lâau-delĂ . Ici bas, suffit. Les mythes commencent sĂ©rieusement Ă nous emmerder. Hamlet nâest pas fou, il souffre. Mais comment un tel systĂšme politique peut-il entendre la souffrance? Il est dĂ©calĂ©. Inaudible. Totalement inaudible. Ă devenir dingue. Dâailleurs, ils gueulent tous pour se faire comprendre. Mais comment en sommes-nous arrivĂ©s lĂ ? Car je nâai pas tardĂ© Ă faire un lien cette scĂšne est notre Europe, notre boueux pays de France oĂč un saltimbanque au pouvoir transforme lâart en bouillon de culture⊠Cette scĂšne est dĂ©gueulasse. Ils puent tous la mort. Cela gicle de partout. Comme un corps institutionnel agonisant, Ă©puisĂ© par la traĂźtrise aux idĂ©aux, mais encore vivant, car le cynisme leur donne lâĂ©nergie vitale dâorganiser le chaos pour le maĂźtriser Ă leur profit. Hamlet nâest pas fou il lutte pour sa chairâŠ.Mais le systĂšme va lâemporter. Ne reste que le théùtre. Entracte. Hamlet reprend la main. Installe un théùtre oĂč il met en scĂšne son enfance. Aux origines. Quâa vu Hamlet quâil nâaurait pas dĂ» voir? Mais cette mise en abyme ne rĂ©siste pas. Le théùtre se fond dans le systĂšme politique jusquâen Ă©pouser les jeux comment ne pas penser Ă la nomination controversĂ©e dâOlivier Py Ă la tĂȘte du Festival dâAvignon en 2014 ?. Je nâai toujours pas pleurĂ©. Je me suis immobilisĂ©. Face Ă tant de beautĂ© apocalyptique. La folie du Royaume et sa dĂ©chĂ©ance emportent le dĂ©cor du CloĂźtre des Carmes balayĂ© par un chĂąteau fort gonflable prĂȘt Ă nous sauter Ă la gueule. Notre Europe forteresse est une bĂąche rustinĂ©e maculĂ©e du sang des corps des migrants. Car le théùtre de Macaigne, câest de la chair Ă canon contre le pouvoir, offerte par des acteurs jusquâau-boutistes qui donnent lâimpression quâils pourraient mourir sur scĂšne. Macaigne ne disserte plus. Il convoque un théùtre dâimages, quasiment chorĂ©graphique pour repenser lâEurope, il faut organiser nous-mĂȘmes le chaos, et arrĂȘter de sâaccrocher Ă des mythes empaillĂ©s. Ă partir de ses dĂ©combres, nous reconstruirons, torche Ă la main. Vincent Macaigne pose un acte celui de MONTRER, alors que nous sommes saturĂ©s dâanalyses et de paroles. Il nâa probablement rien de plus Ă dire que ce qui a dĂ©jĂ Ă©tĂ© dit. Or, Ă lâheure oĂč le chaos sâinstalle, qui sait aujourdâhui montrer en dehors des visions molles⊠Et si resentir lâimage théùtrale Ă©tait une forme de pensĂ©e? Je me lĂšve pour applaudir. OĂč est Vincent Macaigne ? Peut-ĂȘtre dĂ©gueule-t-il. Pascal BĂ©ly, Le Tadorne. Le regard de Francis Braun. Il faut, câest un ordre, ĂȘtre tĂ©moin de ce Miracle. Il faut participer Ă ces heures de libertĂ© jouissive, vivre cette aventure shakespearienne indĂ©finissable avec la troupe de Vincent Macaigne dans Au moins jâaurai laissĂ© un beau cadavre» dâaprĂšs Hamlet» de William Shakespeare. Il faut voir Le CloĂźtre des Carmes, lieu du Sang versĂ©, devenir le lieu de tous les possibles, de tous les dĂ©lires. Il faut le voir vivre dâune façon diffĂ©rente il a Ă©tĂ© investi totalement pour cette occasion par un cabinet de curiositĂ©s baroque et intrigant sur un sol un gazon vert fanĂ© avec eau croupissante. Nous sommes conviĂ©s par un chauffeur de salle pour une cĂ©rĂ©monie joyeuse et terrible. On hĂ©site entre un happening hippy baba et un spectacle de fin dâannĂ©e ; on se demande Ă quelle sauce on sera trempĂ©sâŠles gens descendent, des gradins sur la scĂšne, commencent Ă danserâŠon attend et ce sera tout Ă la fois. Ce soir, Hamlet revisitĂ© va devenir Lâ?uvre Théùtrale universelle dâun mec imprĂ©visible et sans contrainte. Ce sera le fait dâun artiste qui explose Ă la fois de sa folie et de son dĂ©lire. On le sait intelligent, dĂ©sarmant, on ne sait pas si cela va durer dix minutes, une heure, ou toute la nuitâŠou sâil va sâen aller. Au bout de quelques minutes, câest certain nous allons oublier le temps pendant quatre heures, nous allons ĂȘtre assis, rivĂ©s Ă nos fauteuils, bloquĂ©s hilares, sidĂ©rĂ©s et Ă©bahis. Lâesprit de Vincent Macaigne, qui sâagite avec les machinistes en haut des gradins, comme un chef dâorchestre, est totalement dĂ©bridĂ© et contrairement au slogan nĂ©on posĂ© en enseigne sur le mur dâen face âŠil y aura pas de miracles ce soir »âŠMais, de CE MIRACLE, on pourra se souvenir⊠Câest Hamlet, lui, sa famille, son trĂŽne, son palais qui nous sont racontĂ©s, mais câest aussi la TragĂ©die de ce Prince du Danemark revisitĂ©e sur un gazon piĂ©tinĂ©, semĂ© dâembĂ»ches irrĂ©parables. Câest une vie de crime intemporelle relatĂ©e sur un champ dĂ©vastĂ©. Câest hier et aujourdâhui sang mĂȘlĂ©, câest une OphĂ©lie en pleine inquiĂ©tude, câest une mĂšre qui nâen peut plus de possĂ©der ; câest bien sur Hamlet, jeune enfant qui se souvient. Câest son histoire fondue enchaĂźnĂ©e Ă notre actualitĂ© qui sâexprime sous nos yeux et devenons alors les otages-bienveillants-volontaires dans un cloĂźtre ouvert Ă toutes les Folies. Folies de la mise en scĂšne tour Ă tour explosive, sereine, calme ou dĂ©sespĂ©rĂ©e. Folies des lumiĂšres, soudainement crĂ©pusculaires, parfois hivernales, soudainement glacialesâŠLe cauchemar ou le rĂȘve partent en fumĂ©eâŠdes rĂ©elles fumĂ©es nous enveloppent ponctuellement. Les comĂ©diens nous surprennent tout le temps, ils nous font rire et nous coupent la respiration. Nous sommes Ă chaque seconde secouĂ©e de sentiments diffĂ©rents. Nous sommes dĂ©stabilisĂ©s, dĂ©rangĂ©s, enthousiastes, parfois inquiets. Plus les minutes passent, plus les corps-spectateurs se figent silencieusement dans le respect et lâeffroi. Des litres de sang se dĂ©versent sur un corps qui meurt. Câest lâInstant terrifiant incarnĂ© par des comĂ©diens incroyables. Nous sommes happĂ©s, nous ne savons plus distinguer lâhistoire et le prĂ©sent. Câest Ă la fois le spectre de Pippo Delbono qui hurle sans quâon le comprenne, câest Angelica Liddell qui joue de son corps, de ses seins, de son sexe, câest aussi le Sang de Jan Fabre, mais câest surtout le monde du corps de Vincent Macaigne. Il y avait avant Pina et aprĂšs PinaâŠil y avait avec Angelica Liddell, maintenant lâhistoire shakespearienne ne pourra vivre sans le cadavre laissĂ© par Vincent Macaigne. dans les murs du CloĂźtre des CarmesâŠ. Câest lui LâENFANT du festival, car il naĂźt ce soir Ă nos yeux. Offrons-lui le TRONE quâil mĂ©rite, quâon le couvre dâHONNEURS, quâon le salue, et que lâon reconnaisse en lui CELUI par qui un autre THEATRE arriveâŠ. Proclamons-le âŠNotre Nouveau Prince de Hambourg, crions haut et fortâŠVive LE PRINCE et vive sa folie. Ce fut, je dois dire, exceptionnel. Monsieur Vincent Macaigne, Nouveau Prince en Avignon⊠Francis Braun, Le Tadorne. Au moins jâaurai laissĂ© un beau cadavre» de Vincent Macaigne. TournĂ©e ici. Ătiquettes Vincent Macaigne Il faut, câest un ordre, ĂȘtre tĂ©moin de ce Miracle. Il faut participer Ă ces heures de libertĂ© jouissive, vivre cette aventure shakespearienne indĂ©finissable avec la troupe de Vincent Macaigne dans Au moins jâaurai laissĂ© un beau cadavre» dâaprĂšs Hamlet» de William Shakespeare. Il faut voir Le CloĂźtre des Carmes, lieu du Sang versĂ©, devenir le lieu de tous les possibles, de tous les dĂ©lires. Il faut le voir vivre dâune façon diffĂ©rente il a Ă©tĂ© investi totalement pour cette occasion par un cabinet de curiositĂ©s baroque et intrigant sur un sol un gazon vert fanĂ© avec eau croupissante. Nous sommes conviĂ©s par un chauffeur de salle pour une cĂ©rĂ©monie joyeuse et terrible. On hĂ©site entre un happening hippy baba et un spectacle de fin dâannĂ©e ; on se demande Ă quelle sauce on sera trempĂ©sâŠles gens descendent, des gradins sur la scĂšne, commencent Ă danserâŠon attend et ce sera tout Ă la fois. Ce soir, Hamlet revisitĂ© va devenir Lâoeuvre Théùtrale universelle dâun mec imprĂ©visible et sans contrainte. Ce sera le fait dâun artiste qui explose Ă la fois de sa folie et de son dĂ©lire. On le sait intelligent, dĂ©sarmant, on ne sait pas si cela va durer dix minutes, une heure, ou toute la nuitâŠou sâil va sâen aller. Au bout de quelques minutes, câest certain nous allons oublier le temps pendant quatre heures, nous allons ĂȘtre assis, rivĂ©s Ă nos fauteuils, bloquĂ©s hilares, sidĂ©rĂ©s et Ă©bahis. Lâesprit de Vincent Macaigne, qui sâagite avec les machinistes en haut des gradins, comme un chef dâorchestre, est totalement dĂ©bridĂ© et contrairement au slogan nĂ©on posĂ© en enseigne sur le mur dâen face âil y aura pas de miracles ce soir»âŠMais, de CE MIRACLE, on pourra se souvenir⊠Câest Hamlet, lui, sa famille, son trĂŽne, son palais qui nous sont racontĂ©s, mais câest aussi la TragĂ©die de ce Prince du Danemark revisitĂ©e sur un gazon piĂ©tinĂ©, semĂ© dâembĂ»ches irrĂ©parables. Câest une vie de crime intemporelle relatĂ©e sur un champ dĂ©vastĂ©. Câest hier et aujourdâhui sang mĂȘlĂ©, câest une OphĂ©lie en pleine inquiĂ©tude, câest une mĂšre qui nâen peut plus de possĂ©der ; câest bien sur Hamlet, jeune enfant qui se souvient. Câest son histoire fondue enchaĂźnĂ©e Ă notre actualitĂ© qui sâexprime sous nos yeux et devenons alors les otages-bienveillants-volontaires dans un cloĂźtre ouvert Ă toutes les Folies. Folies de la mise en scĂšne tour Ă tour explosive, sereine, calme ou dĂ©sespĂ©rĂ©e. Folies des lumiĂšres, soudainement crĂ©pusculaires, parfois hivernales, soudainement glacialesâŠLe cauchemar ou le rĂȘve partent en fumĂ©eâŠdes rĂ©elles fumĂ©es nous enveloppent ponctuellement. Les comĂ©diens nous surprennent tout le temps, ils nous font rire et nous coupent la respiration. Nous sommes Ă chaque seconde secouĂ©e de sentiments diffĂ©rents. Nous sommes dĂ©stabilisĂ©s, dĂ©rangĂ©s, enthousiastes, parfois inquiets. Plus les minutes passent, plus les corps-spectateurs se figent silencieusement dans le respect et lâeffroi. Des litres de sang se dĂ©versent sur un corps qui meurt. Câest lâInstant terrifiant incarnĂ© par des comĂ©diens incroyables. Nous sommes happĂ©s, nous ne savons plus distinguer lâhistoire et le prĂ©sent. Câest Ă la fois le spectre de Pippo Delbono qui hurle sans quâon le comprenne, câest Angelica Liddell qui joue de son corps, de ses seins, de son sexe, câest aussi le Sang de Jan Fabre, mais câest surtout le monde du corps de Vincent Macaigne. Il y avait avant Pina et aprĂšs PinaâŠil y avait avec Angelica Liddell, maintenant lâhistoire shakespearienne ne pourra vivre sans le cadavre laissĂ© par Vincent Macaigne. dans les murs du CloĂźtre des CarmesâŠ. Câest lui LâENFANT du festival, car il naĂźt ce soir Ă nos yeux. Offrons-lui le TRONE quâil mĂ©rite, quâon le couvre dâHONNEURS, quâon le salue, et que lâon reconnaisse en lui CELUI par qui un autre THEATRE arriveâŠ. Proclamons-le âNotre Nouveau Prince de Hambourgâ, crions haut et fort âVive LE PRINCE et vive sa folieâ. Ce fut, je dois dire, exceptionnel. Monsieur Vincent Macaigne, Nouveau Prince en Avignon⊠Francis Braun, Le Tadorne. A lire le regard de Pascal BĂ©ly. Au moins jâaurai laissĂ© un beau cadavre» de Vincent Macaigne au Festival dâAvignon du 9 au 19 juillet 2011. Ătiquettes Vincent Macaigne
Sâil y a un reproche que lâon ne peut pas adresser Ă Vincent Macaigne, câest de faire les choses Ă moitiĂ©. Dans Au moins jâaurai laissĂ© un beau cadavre, dâaprĂšs Hamlet de Shakespeare, le jeune metteur en scĂšne va jusquâau bout dans lâexcĂšs et dans lâĂ©puisement des Ă©nergies. On ressort de lĂ en en ayant pris plein la face et avec le dĂ©sir de hurler Ă notre tour. Quelques indices nous mettent sur la voie de ce qui nous attend, dĂšs le hall du Palais Chaillot. A la recherche de notre porte pour entrer dans la salle Jean Vilar, on se voit distribuer des obturateurs, comme aux concerts de hard-rock. En descendant les marches, on entend un bruit sourd. On se prĂ©cipite pour voir ce quâil se passe, ce que lâon rate, et on dĂ©couvre quâun comĂ©dien a fait descendre une centaine de jeunes sur le plateau, qui applaudissent et chantent avec lui, dĂ©chaĂźnĂ©s. Le message est assez clair ce que lâon va voir est du théùtre libĂ©rĂ© des conventions, dans lequel les comĂ©diens sâadressent Ă nous, constamment conscients de notre prĂ©sence, et dans lequel les rires et les cris des interprĂštes et du public sont dĂ©bridĂ©s. Le dĂ©cor composite, qui fait se cĂŽtoyer des stĂšles funĂšbres ornĂ©es de fleurs et des distributeurs de boisson, un mobil home et une tombe ouverte remplie dâun liquide non identifiĂ© sur le devant de la scĂšne â qui oblige les premiers rangs Ă se protĂ©ger derriĂšre des bĂąches en plastique â finit de sĂ©duire notre tolĂ©rance et de nous prĂ©parer pour le meilleur et pour le pire. DĂšs quâil est question de réécriture, lâĂ©quation se formule en termes de fidĂ©litĂ© et de libertĂ©. Avec Macaigne, il est difficile â voire inutile â de trancher. Les personnages et les principaux Ă©pisodes sont ceux de Shakespeare le pĂšre dâHamlet est mort, et le mariage de sa mĂšre et de son oncle fait suite au deuil un peu trop rapidement aux yeux du fils. Le fantĂŽme du roi dĂ©cĂ©dĂ©, la mise en abyme du théùtre et lâamour dâOphĂ©lie rĂ©pondent eux aussi prĂ©sents Ă lâappel. La langue en revanche, Ă part lâincontournable ĂȘtre ou ne pas ĂȘtre », est remodelĂ©e de fond en comble. Claudius appelle Hamlet enfant pourri gĂątĂ© » qui plombe la joie de la noce, alors que lui est accoutrĂ© dâun costume de banane le jour de son mariage, et quâil est le seul Ă sâĂȘtre dĂ©guisĂ© malgrĂ© son message Facebook aux invitĂ©s. Le ton est donnĂ© et il nâest pas lieu de sâoffusquer. La violence de la piĂšce dâorigine est mise en acte et les comĂ©diens nâhĂ©sitent pas une seconde Ă se jeter dans la tombe pleine dâeau du roi, Ă se rouler dans la boue et Ă sâasperger de faux sang. Leurs cordes vocales sâusent Ă force de crier et ils courent partout sur le plateau et parmi le public, qui nâhĂ©site pas Ă se lever pour livrer passage. Mais les encouragements tout aussi Ă©nergiques de Macaigne, du haut de la rĂ©gie, nâautorisent aucun rĂ©pit. A lâentracte, alors que la chanson Sara perche ti amo » est diffusĂ©e dans tout le théùtre, des traces de boue et dâeau dans les marches chatouillent notre curiositĂ© et nous encouragent Ă rester, Ă ne pas rejoindre encore notre confort douillet. Un plateau plus ou moins nettoyĂ© nous attend pour cette seconde partie, plus sombre encore et plus Ă©prouvante. Les rares moments de beautĂ© sont Ă©phĂ©mĂšres, Ă©chouant Ă trouver leur place dans cet univers. Les salves de serpentins et le nuage de paillettes dorĂ©es retombent au sol et se mĂ©langent Ă la boue et au sang. Le chĂąteau gonflable qui sâĂ©lĂšve et envahit la scĂšne retombe sur lui-mĂȘme, malgrĂ© les efforts dĂ©sespĂ©rĂ©s de Claudius pour le redresser. Heureusement, les Ă©motions provoquĂ©es, du rire Ă lâindignation, et la sollicitation des comĂ©diens Ă se lever et applaudir chaque communication du roi, permettent de se reprendre, de reprendre conscience de soi-mĂȘme. Câest indispensable vue la puissance des gestes et des paroles qui nous frappent. Macaigne et sa troupe sont bien conscients de tous les effets quâils produisent et en jouent. Le faux sang est bien du faux sang, il ne sert Ă rien de hurler et de pleurer ; les paillettes qui sâenvolent au-dessus de la scĂšne sâenvolent grĂące Ă Lucie, la rĂ©gisseuse, il ne faut pas se laisser tromper ; et si le geste prend le dessus sur la parole, au point quâon ne comprend parfois plus rien, câest parce que ce ne sont pas les mots qui comptent, mais lâacte de crier dans le micro lui-mĂȘme. La scĂšne et les comĂ©diens sont mis dans tous leurs Ă©tats pour mener le drame Ă son terme le bain de sang final survient enfin, littĂ©ralement reprĂ©sentĂ© sur scĂšne dans le bocal qui contient quatre ou cinq corps peinturlurĂ©s de rouge. Les moutons amenĂ©s sur scĂšne pour la fin sâeffraient un peu de ce carnage, et lâenseigne lumineuse qui domine la scĂšne depuis le dĂ©but clignote Il nây aura pas de miracles ici ». TrempĂ©s de la tĂȘte aux pieds, les comĂ©diens revĂȘtent un peignoir vite tĂąchĂ© et viennent saluer, en compagnie des rĂ©gisseurs, pour qui le spectateur Ă©prouve une certaine compassion. En remontant les marches, certains crient au massacre de Shakespeare et dâautre se rĂ©jouissent de nâavoir pas passĂ© une soirĂ©e mortelle Ă regarder un Hamlet trop classique et trop rangĂ© il faut choisir son camp et sây tenir. F. pour Inferno Pour en savoir plus sur le spectacle, cliquez ici.
Lesurréalisme est un mouvement moderne qui s'est développé dans les années 1920, dans le prolongement du mouvement Dada. L'écrivain André Breton rédige le premier Manifeste du surréalisme en 1924. Contrairement à la plupart des dadaïstes, les surréalistes restent attachés à la notion de beauté. Cependant, leur conception de la
Aumoins j'aurai laissĂ© un beau cadavre. 227 likes. "Au moins j'aurai laissĂ© un beau cadavre"Adaptation du conte original d'Hamlet par Vincent MACAIGNEPar Marine S. PubliĂ© le 15 novembre 2011 Ă 10h21 Du 2 au 11 novembre, c'est une version complĂštement revisitĂ©e du trĂšs cĂ©lĂšbre Hamlet de Shakespeare par Vincent Macaigne qui s'installe Ă Chaillot, avec Samuel Achache dans le rĂŽle d'Hamlet. Moderne, mais pas pour autant moins fou de rage, le Hamlet de Vincent Macaigne joue le rĂŽle du rĂ©vĂ©lateur dans ce monde Ă©troit, confinĂ© et oĂč le mal ĂȘtre y est perpĂ©tuel. Le personnage voit une Europe calfeutrĂ©e, et dĂ©cide de secouer ces immobiles qui vivent dans la cette piĂšce, Macaigne va encore plus loin que la tradition Shakespearienne car il va jusqu'Ă piocher dans la lĂ©gende danoise dont s'inspira Shakespeare. Il y parle de l'enfance d'Hamlet, de ses amours...Au moins j'aurai laissĂ© un beau cadavre Ă Chaillot du 2 au 11 novembre, Ă 19h30, 14h30 le dimanche. Tarifs de 24 Ă 32âŹĂ lire aussiQue faire ce week-end Ă Paris avec les enfants, ces 20 et 21 aoĂ»t 2022Que faire cette semaine Ă Paris du 15 au 21 aoĂ»t 2022
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Cadavreexquis. Vincent Macaigne est un jeune metteur en scÚne qui commence à se tailler une réputation en adaptant des piÚces et en arpentant les scÚnes de théùtre avec
TĂ©hĂ©ran, mes racinesJe suis d'origine iranienne. On vivait en Iran, mĂȘme si ma famille Ă©tait contre le gouvernement. J'Ă©tais dans des maisons, enfermĂ©, on ne sortait pas. Mais j'en garde un bon souvenir, mĂȘme si j'ai peu d'images qui me viennent. Ce sont mes racines.»OrlĂ©ans, mon amie"Pour le rĂ©confort", mon premier long-mĂ©trage, est tournĂ© Ă OrlĂ©ans. On a fait ça en un geste. Je pouvais avoir une maison lĂ -bas, trĂšs humble, prĂȘtĂ©e par le Centre d'Art dramatique de la ville, ça me permettait en plus de loger les gens ! C'est la mĂȘme maison que dans mon premier court-mĂ©trage, Ce qu'il restera de nous, j'ai gardĂ© cette atmosphĂšre. Pour ce nouveau film, on a commencĂ© Ă tourner sans histoire dĂ©finie, sans techniciens ou assistants, tout le monde a aidĂ©.»Bande-annonce. Pour le rĂ©confort»Avignon, ma batailleC'est une ville importante pour moi, j'ai pu mettre en scĂšne Au moins j'aurai laissĂ© un beau cadavre, d'aprĂšs Hamlet, de Shakespeare. Ăa reste un souvenir incroyable. J'adore le festival d'Avignon, sa ferveur populaire pour le théùtre, c'est fou et c'est sans doute le seul endroit au monde oĂč le grand public va au théùtre de cette maniĂšre et voit des Ćuvres aussi pointues. Le théùtre doit rester populaire !»Cannes, ma premiĂšre foisC'Ă©tait important pour moi de montrer "Pour le rĂ©confort" Ă Cannes et en France c'est un film sur les Français, sur mon pays, sur mes questionnements et mon Ă©tat de dĂ©route en politique. Je tenais Ă ce que ce long-mĂ©trage soit vu ici pour la premiĂšre fois. Cannes, est un endroit idĂ©al pour le cinĂ©ma d'auteur, comme Avignon au final. Ăa permet d'Ă©clairer certains films qui ne seraient peut-ĂȘtre jamais vus.»Mexique, mon rĂȘveJ'adorerais faire un film au Mexique. Leurs conflits sociaux m'attirent, il y a de quoi faire un tournage. En AmĂ©rique centrale et du Sud, tout est exaltĂ©, il y a une vitalitĂ© que j'aimerais bien capter. C'est un fantasme.»Cayenne, mon aventureC'est lĂ -bas qu'on a tournĂ© "La Loi de la jungle", d'Antonin Peretjatko, avec Vimala Pons. L'esprit Dom-Tom, c'est la mĂȘme chose que la banlieue Ă Toulouse. Je n'arrive pas Ă le dĂ©crire mais c'est ça, le ressenti. Et puis, la jungle, les dodos Ă la belle Ă©toile la nuit, l'humiditĂ©, c'Ă©tait magique et dĂ©concertant. J'ai rencontrĂ© un bĂ©bĂ© singe en Guyane. Il m'a suivi alors qu'il avait perdu ses parents. Il m'a adoptĂ©, j'Ă©tais ravi mais... j'ai malheureusement dĂ» le rendre.»Baltimore, ma prĂ©fĂ©rĂ©eJ'allais souvent chez ma tante, qui vivait Ă Baltimore, aux Ătats-Unis. C'est bĂȘte mais je me souviens de deux choses que l'on fait enfant du vĂ©lo je pĂ©dalais beaucoup et des films que j'allais louer au vidĂ©o-club et que je regardais sur VHS. Ă chaque fois, c'Ă©tait des Ă©vĂ©nements.»Paris, mon amourMa ville de naissance, d'adolescence et de vie. Je pourrais lui consacrer un roman. MĂȘme si Paris a changĂ© et pas en bien. Paris Ă©tait populaire, joyeuse mais tout est plus compliquĂ©, les prix Ă©levĂ©s des loyers en est sans doute la cause. Les Ă©tudiants ont fui, n'ayant plus de quoi vivre ici. J'habite dans le 11e arrondissement, j'ai mes petites habitudes. Ce qui me titille ? Faire un film tournĂ© dans le quartier de La Chapelle, c'est tellement cinĂ©gĂ©nique !»Pour le rĂ©confort»
n° 132 juin 2011 © CHRiStOPHE RAyNAuD DE LAgE/fEStiVAL DâAVigNON b Quels corps de mĂ©tier du théùtre les Ă©lĂšves ont-ils pu voir sur le plateau ? Toutes les personnes qui participent Ă lâĂ©laboration du spectacle sont mises en jeu, Ă un moment ou Ă un autre â les comĂ©diens, Ă©videmment ; â les techniciens, qui font les changements de dĂ©cor Ă vue, revĂȘtus du mĂȘme costume de banane que celui de Claudius ; â le metteur en scĂšne, Vincent Macaigne, qui apparaĂźt au plateau Ă lâentracte, pour le nettoyer et le dĂ©blayer ; â la rĂ©gie, qui, plusieurs fois, est prise Ă partie par les comĂ©diens ; un technicien lumiĂšre intervient mĂȘme, lors de la piĂšce dâHamlet, pour demander aux comĂ©diens de jouer ; â enfin, lors des reprĂ©sentations Ă Avignon, le rĂ©gisseur lui-mĂȘme, qui monte sur le plateau pour demander aux spectateurs de regagner leur fauteuil. On rappellera aux Ă©lĂšves que le théùtre a toujours Ă©tĂ© pour Vincent Macaigne une aventure collective. b Faire rĂ©flĂ©chir les Ă©lĂšves Ă leur rĂŽle en tant que spectateurs. Ont-ils Ă©tĂ© amenĂ©s Ă faire des choses que le public de théùtre ne fait pas ordinairement ? Ont-ils eu le sentiment de participer Ă la reprĂ©sentation, et Ă quels moments ? Le théùtre de Vincent Macaigne amĂšne aussi le spectateur Ă sortir de sa place et de son habituelle passivitĂ©. Dâabord, parce quâil est traitĂ© sans mĂ©nagement les premiers rangs se voient distribuer au dĂ©but du spectacle des protections auditives et une bĂąche plastique pour se protĂ©ger des Ă©claboussures de boue ou de peinture ; les femmes du public sont traitĂ©es de vieilles connes » et les quelques spectateurs qui pensent pouvoir filer discrĂštement avant la fin du spectacle sont en gĂ©nĂ©ral alpaguĂ©s par les comĂ©diens. Ensuite, parce que le public est aussi associĂ© au jeu â avant le spectacle, un chauffeur de salle lâencourage Ă monter sur le plateau, puis Ă danser et chanter avec lui ; 16 16n° 132 juin 2011 14. On peut voir la vidĂ©o ici xjvcpb_des-spectateurs-se-jettent-dans-lafosse-de-au-moins-j-aurais-laisse-un-beaucadavre_fun â pendant le spectacle, il est pris Ă partie par les comĂ©diens qui lui demandent de jurer ou dâapplaudir ; â des jeux avec des spectateurs sont mis en place le comĂ©dien Roger Roger offre un fruit et son numĂ©ro de portable Ă une jolie femme dans le public ; Gertrude offre sa culotte Ă lâissue de son strip-tease ; â des comĂ©diens sâassoient au milieu du public pendant la reprĂ©sentation de la piĂšce dâHamlet, ou courent Ă travers les rangĂ©es de spectateurs. Dans le spectacle, le public joue un rĂŽle Ă part entiĂšre. Le fait de fouler le plateau est assez symbolique de la place qui lui est offerte. Certains spectateurs sâemparent de cet espace de libertĂ© qui leur est laissĂ©. On a ainsi vu, un soir, une jeune femme lancer Ă son tour ses sandales sur le plateau lors du monologue de Claudius, et deux jeunes gens plonger dans la fosse de lâavant-scĂšne 14 ! Work in progress b Proposer aux Ă©lĂšves dâĂ©couter la rencontre entre Vincent Macaigne et le public du Festival dâAvignon Que dit le metteur en scĂšne sur son rapport Ă lâĂ©criture ? Vincent Macaigne fait Ă©voluer soir aprĂšs soir la reprĂ©sentation. Lors de la confĂ©rence, il explique disposer de 7 ou 8 heures de matĂ©riau de spectacle, dâoĂč il a extrait 3h30. Le processus dâĂ©criture du spectacle naĂźt du plateau et peut Ă©voluer en fonction des reprĂ©sentations. b Quâest-ce que cela nous apprend du statut du texte dans un tel spectacle ? On est dans un processus dâĂ©criture qui Ă©vacue la littĂ©raritĂ©. Le texte théùtral se construit au prĂ©sent du plateau, il nâest pas figĂ©, certaines phrases pouvant ĂȘtre modifiĂ©es par les comĂ©diens. On rappellera aux Ă©lĂšves que cela explique en grande partie pourquoi Vincent Macaigne refuse lâĂ©dition de ses textes. b Les Ă©lĂšves ont-ils observĂ© Vincent Macaigne en rĂ©gie ? Ont-ils lâhabitude de voir un metteur en scĂšne agir ainsi ? Lors des reprĂ©sentations au Festival dâAvignon, Vincent Macaigne se tenait en rĂ©gie, Ă vue, pendant tout le spectacle. Les spectateurs 17 17 b On pourra faire lire aux Ă©lĂšves la critique de Florence March qui regrette que la place rĂ©servĂ©e au public ne soit pas plus rĂ©elle et leur demander de rĂ©agir http// b De quelles autres pratiques culturelles, sociales ou mĂȘme sportives pourrait-on rapprocher le théùtre de Vincent Macaigne ? Au moins jâaurai laissĂ© un beau cadavre crĂ©e une convivialitĂ©, un partage que lâon trouve dans dâautres formes artistiques ou culturelles. Il emprunte certains codes Ă dâautres formes plus populaires comme le concert, la tĂ©lĂ©vision ou mĂȘme le match. Cela confĂšre au spectacle un caractĂšre festif. Câest le cas par exemple de lâentracte, qui est accompagnĂ© dâune chanson de variĂ©tĂ© italienne, Sara Perche Ti Amo de Ricchi E Poveri. ont pu le voir donner des consignes de jeu aux comĂ©diens, rectifier des Ă©lĂ©ments en communiquant par de grands gestes survoltĂ©s, Ă lâinstar dâun chef dâorchestre. LĂ encore, ce positionnement indique une volontĂ© de se confronter au prĂ©sent du plateau le jeu nâest pas fixĂ© une fois pour toutes, il rĂ©agit et Ă©volue en fonction de lâĂ©nergie de chaque soir. Le travail théùtral nâaboutit pas Ă un produit fini qui serait le spectacle. Au contraire, le spectacle donne Ă voir un processus de travail en direct. b Quâest-ce que ce work in progress induit dans le jeu des comĂ©diens ? Les comĂ©diens auront certainement frappĂ© les Ă©lĂšves par leur Ă©nergie et lâintensitĂ© de leur jeu. Ils sâautorisent de larges parts dâimprovisation, en rĂ©agissant aux dĂ©parts des spectateurs par exemple ou en dĂ©veloppant plus ou moins longuement certaines scĂšnes câest le cas de la bagarre avant le dĂ©but de la piĂšce dâHamlet, lorsque commence la seconde partie. Les comĂ©diens sont aussi associĂ©s Ă lâĂ©criture du spectacle. La scĂšne inaugurale du chauffeur de salle est nĂ©e dâun pari entre Vincent Macaigne et le comĂ©dien Sylvain Sounier. Celui-ci devait gagner 50 euros sâil rĂ©ussissait Ă faire monter tout le public sur scĂšne !
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Le sable gifle le visage et enveloppe le campement dans un voile beige qui laisse Ă peine deviner quelques silhouettes avançant dans un cliquetis de mĂ©tal. Certaines sâappuient sur une lance, dâautres sur une mitraillette. Toutes sâappliquent Ă laisser passer une file de chars vrombissants, surmontĂ©s dâarbalĂštes, de squelettes ou de poupĂ©es dĂ©sarticulĂ©es. Sur un pan de tĂŽle, quelques lettres dĂ©goulinantes inscrites avec du faux sang demandent aux passants Qui a tuĂ© le monde ? ». En plein dĂ©sert aride de Mojave, en Californie, plus de 4 300 personnes se sont retrouvĂ©es fin septembre pour vivre pendant cinq jours dans un dĂ©cor post-apocalyptique. Les participants ont construit de bric et de broc Wasteland City, une citĂ© Ă©phĂ©mĂšre avec ses rues, ses saloons, son journal, sa frĂ©quence radio. On ne peut y entrer que si lâon porte un costume en accord avec le thĂšme un futur oĂč notre civilisation entiĂšre sâest effondrĂ©e, et oĂč les ressources sont devenues rares. Une garde dâĂ©lite » surveille les portes couleur rouille, soucieuse de sâassurer quâun jean trop propre ou un gadget dernier cri ne viendront pas briser lâillusion de ce happening gĂ©ant. Jouer aux survivants Depuis que le Wasteland Weekend est nĂ©, en 2010, dâun simple rassemblement de fans de Mad Max, lâĂ©vĂ©nement nâa fait que sâagrandir. Il continue dâafficher complet, attirant des festivaliers venus des quatre coins des Ătats-Unis et mĂȘme de lâĂ©tranger. Ces derniers parcourent des centaines â voire des milliers â de kilomĂštres pour venir enfiler leurs costumes et jouer le rĂŽle de survivants de lâApocalypse certains par amusement, dâautres par inquiĂ©tude, quelques-uns par fascination. Certains rĂ©pondent aux invitations des DJ perchĂ©s sur des Ă©paves de bateau rongĂ©es par la rouille La journĂ©e, les festivaliers se rĂ©unissent sous les tentures pour deviser sur la fin du monde, Ă©couter des raconteurs dâhistoire, se confectionner de nouveaux accessoires. Câest quand la nuit tombe que le campement se met Ă fourmiller certains rĂ©pondent aux invitations des DJ perchĂ©s sur des Ă©paves de bateau rongĂ©es par la rouille, dâautres encouragent les Ă©quipes qui sâaffrontent au jugger », un sport de contact qui se joue avec un crĂąne de chien en guise de ballon. Au casino de la derniĂšre chance », on parie des capsules de biĂšre comme si les lendemains nâexistaient pas. Quand sâallument enfin les nĂ©ons du dĂŽme du tonnerre », une horde de Wastelanders sâapproche pour grimper Ă mĂȘme la structure en mĂ©tal, rĂ©plique grandeur nature du lieu oĂč se dĂ©roulent les combats Ă mort dans Mad Max 3. La foule rĂ©clame du sang et, sous elle, des binĂŽmes sâaffrontent sous les hurlements⊠dâinoffensives battes en mousse Ă la main. Ă Wasteland, tout le monde a lâair cruel et complĂštement fou mais ce nâest quâun jeu, commente Jared Butler, co-organisateur de lâĂ©vĂ©nement. On laisse justement derriĂšre nous tout ce qui divise lâargent, la politique, la religion. » Pour ce scĂ©nariste dâHollywood, lâesthĂ©tique post-apocalyptique rencontre un tel engouement parce que les temps sont durs » et quâelle porte en elle quelque chose de profondĂ©ment optimiste » Câest lâidĂ©e quâil y a un aprĂšs, rĂ©sume-t-il. MĂȘme si le pire advient, il restera de la vie, il y aura dâautres communautĂ©s possibles. » Bien sĂ»r que lâApocalypse ça va ĂȘtre moche. Mais si elle nous tombe dessus, au moins, il y aura un vrai redĂ©marrage » Beaucoup sont attirĂ©s par Wasteland parce que ce terrain vague reprĂ©sente un monde oĂč tout est Ă rĂ©inventer. Lektor, un retraitĂ© de Las Vegas, vient chaque annĂ©e pour faire du troc de vieux objets et sâextraire dâune culture oĂč lâargent coule Ă flot et oĂč tout doit toujours avoir lâair neuf pour avoir de la valeur. » Lâimaginaire de lâeffondrement le pousse, affirme-t-il, Ă ĂȘtre inventif », ingĂ©nieux », moins futile ». Pour Becky, une infirmiĂšre urgentiste du Dakota du Sud, la perspective de lâApocalypse est Ă la frontiĂšre de lâ angoisse » et de la fascination » Bien sĂ»r que lâApocalypse ça va ĂȘtre moche, concĂšde-t-elle. Mais si elle nous tombe dessus, il faut se dire quâau moins, il y aura un vrai redĂ©marrage quand on nâa plus rien, on est tous Ă©gaux ! » DĂ©filĂ© de bikinis post-apocalyptique Truth vient tout juste dâĂȘtre baptisĂ©e de son nom Wasteland ». Ătudiante Ă San Diego, elle en est Ă son premier festival mais compte bien revenir tous les ans â jusquâĂ la vraie Apocalypse », prĂ©cise-t-elle en riant. Au sein de la tribu » avec qui elle partage un campement, elle a trouvĂ© la possibilitĂ© dâune esthĂ©tique nouvelle » Dans le monde post-apocalyptique, les canons de beautĂ© ne sont pas les mĂȘmes, explique-t-elle. La femme nâa pas besoin dâĂȘtre dĂ©licate et fragile pour ĂȘtre belle. Elle doit ĂȘtre forte, comme moi. » Ăa me remplit de force et de confiance avant de retourner dans le monde rĂ©el » Lors du dĂ©filĂ© de bikinis post-apocalyptique, lâune des activitĂ©s les plus populaires du festival, la foule acclame sans discontinuer la prestation de tous les participants les jeunes, les vieux, les gros, les maigres, les hommes, les femmes et les transgenres. Leurs parties intimes sont drapĂ©es ou non dans du ruban adhĂ©sif, des cannettes de biĂšre, des lambeaux dâemballages. Ici, je peux ĂȘtre moi, poursuit Truth. Ca me remplit de force et de confiance avant de retourner dans le monde rĂ©el. » En pliant bagage le dernier jour, les festivaliers sâinterrompent pour troquer des capsules Ă lâeffigie de leur tribu, petits souvenirs Ă ramener dans lâautre monde. Mark Cordory, un costumier britannique et habituĂ© du festival, rĂ©flĂ©chit dĂ©jĂ Ă les utiliser comme ornement sur un blason Si lâApocalypse arrive, je voudrais au moins que mon cadavre soit bien habillĂ©. » Ă Wasteland, lâhumour est certainement la chose la mieux partagĂ©e. SUR LE MĂME SUJET > East Jesus, mirage hippie du dĂ©sert californien > AfrikaBurn la rĂ©volution en dansant > Le roman post-apocalyptique parfait guide pour survivre Ă la fin du monde ? > Aujourdâhui, presque toutes les formes dâanticipation passent par lâeffondrement » Photos © Laure AndrillonLun de ces prisonniers Ă©tait un certain lieutenant-colonel John K. Waters, rien de moins que le propre gendre du gĂ©nĂ©ral Patton. Patton et son armĂ©e se trouvaient Ă une centaine de kilomĂštres du camp de prisonniers, de sorte que la pensĂ©e des nazis massacrant les prisonniers de guerre amĂ©ricains et, en particulier son propre gendre, a dĂ» hanter le gĂ©nĂ©ral.