Aucatalogue, les grands noms de la chanson au Québec. Chant de mon Pays en affaires depuis 1977. à cÎté de toi P.Huet / P. Piché - P. Huet / M. Hinton / P. Piché "Paul Piché - Le temps d'aimer" à dix-sept ans Eddy Marnay / Janis Ian (Marie Denise Pelletier) "Marie Denise Pelletier - Sélection spéciale" A la claire fontaine Traditionnel - arrangement
2 Et c'est reparti pour un tour de manĂšge gratuit! Ăa devient d'un ridicule au plus haut point! de la bĂȘtise institutionnalisĂ©e? 3 Et c'est reparti pour un tour de manĂšge gratuit! Ăa devient d'un ridicule au plus haut point! de la bĂȘtise institutionnalisĂ©e? On dirait des gamins wallah 4 et aprĂšs ils diront que la communautĂ© musulmane est une secte fermĂ© lol et j'ai envie de dire Ă la femme voilĂ©e "tu a beaucoup de chose Ă faire si tu veux faire du bĂ©nĂ©volat surtout dans la communautĂ© maghrĂ©bine" mais bon!! c'est vrai que les restos du coeur rapporte beaucoup + Felicitee L'essentiel est invisible pour les yeux 5 AprĂšs on s'Ă©tonne que les gens se communautarisent... Mauvaise pub pour les restos du coeur 6 C'est plus le resto du cĆur, c'est le resto du kon wola 7 Je pensais que suite aux manifestations et prises de conscience contre la violence faite aux femmes, ce genre de discrimination n'existerait plus mais je constate que quand on parle de lutte contre les discriminations, la femme qui porte le voile est exclue du champs. A titre info, refuser une femme parce qu'elle porte un voile est aussi une violence. Symbolique mais violence quand mĂȘme. 8 Je pensais que suite aux manifestations et prises de conscience contre la violence faite aux femmes, ce genre de discrimination n'existerait plus mais je constate que quand on parle de lutte contre les discriminations, la femme qui porte le voile est exclue du champs. A titre info, refuser une femme parce qu'elle porte un voile est aussi une violence. Symbolique mais violence quand mĂȘme. le port du voile est une chose trĂšs compliquĂ© pour le gouvernement tu a d'un cotĂ© la voilĂ©e qui crie "au nom de la libertĂ©" et tu a la non voilĂ©e qui crie "au nom de la libertĂ©" va divisĂ© ses deux lĂ ! AncienMembre 9 C est pas la 1ere fois que des bĂ©nĂ©voles voilĂ©es sont refusĂ©es Mdr une association qui se prĂ©tend humaniste ? On devrait tous boycotter et ne plus rien leur donner AncienMembre 10 exclusion stupide il parait qu'ils manquent de bĂ©nĂ©voles en plus !? 11 Et ils refusent de donner des colis alimentaires aux femmes voilĂ©es? Si ça nâest pas le cas, rassurez vous c'est pour bientĂŽt... AncienMembre 12 le port du voile est une chose trĂšs compliquĂ© pour le gouvernement tu a d'un cotĂ© la voilĂ©e qui crie "au nom de la libertĂ©" et tu a la non voilĂ©e qui crie "au nom de la libertĂ©" va divisĂ© ses deux lĂ ! Exact Mais la libertĂ© c est faire ce que l on veut tant qu on est ds la loi Le voile est lĂ©gal , il n opprimĂ© pas les non voilĂ©es .. Pkoi ce refus partout D ailleurs depuis qd les resto du coeur est laĂŻc ? La prochaine Ă©tape c est quoi ? Dire aux femmes voilĂ©es d ĂŽter leur voile pour bĂ©nĂ©ficier des aides ? 13 C'est plus le resto du cĆur, c'est le resto du kon wola les restos du coeur est devenu un job qui rapporte autant que la bourse lol je sais mĂȘme pas si le refus Ă©tait au nom du voile parceque les restos du coeur c'est comme une place Ă la mairie sa s'hĂ©rite de pĂšre/mĂšre en fils/fille l'un va Ă la retraite l'autre prend sa place! AncienMembre 14 Et ils refusent de donner des colis alimentaires aux femmes voilĂ©es? Si ça nâest pas le cas, rassurez vous c'est pour bientĂŽt... En mĂȘme temps lol 15 Et ils refusent de donner des colis alimentaires aux femmes voilĂ©es? Si ça nâest pas le cas, rassurez vous c'est pour bientĂŽt... les concerts qui Ă©taient destinĂ©s Ă rĂ©coltĂ© des fonds sont maintenant divisĂ© par les chanteurs d'ou la disparitĂ© des anciens chanteurs l'esprit des restos du coeur est mort en mĂȘme temps que coluche AncienMembre 16 En plus je viens de lire ils assument au nom de la neutralitĂ© politique syndicale religieuse blabla bla Ok ba moi je resterai neutre devant leurs caddys a remplir ds les grandes surfaces ...je n y mettrai plus rien . Chriski Faite lâhumour , pas la guerre. 17 DerniĂšre Ă©dition 28 Nov. 2019 18 AprĂšs on s'Ă©tonne que les gens se communautarisent... Mauvaise pub pour les restos du coeur Pas besoin de publicitĂ© pour les gens qui ont besoin dây aller parce quâils ne peuvent pas faire autrement. Ăa ne changera rien pour eux. En fait ce nâest pas la premiĂšre fois que ça arrive, câest dĂ©jĂ arrivĂ© lâannĂ©e derniĂšre. Un problĂšme quâont les Resto du CĆur, câest quâils attirent des idĂ©ologues. Ils nâont par exemple pas envie quâun parti politique vienne y faire sa propagande. Je ne dirai pas lesquels sont les plus susceptibles de le faire, mais disons des courants idĂ©ologiques qui ont lâhabitude de prendre les pauvres comme alibi tout en sâen moquant en pratique. AprĂšs, il y a aussi des organisations comme le Secours Catholique qui existe. Elle peut Ă©ventuellement voir lĂ . Ou pourquoi pas crĂ©er un Secours Musulman. Je comprends que ça vexe, mais vu lâurgence dans laquelle sont les gens qui vont au bus rose les soirs dâhiver, je crois que en comparaison il faut savoir mettre certaines vexations dans sa poche et comprendre quâil y a plus grave que ça dans ce cas lĂ . Quâelle ait voulu se proposer, quâelle ait refusĂ© de retirer son foulard pour y ĂȘtre bĂ©nĂ©vole, je peux le comprendre, ça la regarde, mais en faire la publicitĂ©, je trouve ça quandâmĂȘme un peu indĂ©cent, câest presque manquer de respect aux gens qui y vont, en faisant passer cette question devant leur dĂ©tresse. belgika Vis et meurs entre les 2 fais de ton mieux 19 Ici Une source interne explique Ă checknews que parfois "on trouve un compromis avec certaines bĂ©nĂ©voles avec des turbans discrets" 20 La chanson des Resto disait "Moi, je file un rancard A ceux qui n'ont plus rien Sans idĂ©ologie, discours ou baratin" On en est loin. 21 Ă lire certaines ici, les Restos du CĆur, câest un divertissement qui revient tous les ans PlutĂŽt quâinsulter et diffamer lâinitiative, il y en a qui ferait de se taire. belgika Vis et meurs entre les 2 fais de ton mieux 22 La chanson des Resto disait "Moi, je file un rancard A ceux qui n'ont plus rien Sans idĂ©ologie, discours ou baratin" On en est loin. Ăa partait d'un bon sentiment actuellement Fric,fric,chanteurs,spectacles,les pts chefs des antennes resto du cĆur,qui expulsent des femmes bĂ©nĂ©voles voilĂ©es Quelle Ă©poque belgika Vis et meurs entre les 2 fais de ton mieux 23 L'insulte et la diffamation les dirigeants des restos du cĆur ont franchis la limite rouge en expulsant des femmes bĂ©nĂ©voles voilĂ©es C'est caritatif,et quand on parle de solidaritĂ© l'entraide il ne devrait pas y avoir d'expulsions de bĂ©nĂ©voles prĂ©texte le voile,virez aussi les personnes arborant des signes religieux comme les croix catholiques Et oui c'est devenu des divertissements Ă la tĂ©lĂ©vision ça me dĂ©becte de regarder ces singes danser chanter et empocher leurs cachets chaque annĂ©e ils en reversent une partie aux restos du cĆur? Ă lire certaines ici, les Restos du CĆur, câest un divertissement qui revient tous les ans PlutĂŽt quâinsulter et diffamer lâinitiative, il y en a qui ferait de se taire. 24 Ce qui est marrant c'est la neutralitĂ© tant exigĂ©e. En gros, quand tu es Ă table avec tes collĂšgues et qu'on te propose du boudin et que tu refuses en expliquant que tu es musulman et s'ensuit une discussion intelligente oĂč chacun expose son point de vue. Du coup, est-on en porte Ă faux vis-Ă -vis de la charte puisque la neutralitĂ© vient de sauter? AncienMembre 25 moi je dis que je suis vĂ©gĂ©tarienne ca devient trop compliquĂ© de dire "je ne mange pas de porc" le vĂ©ganisme est Ă la mode, profitons en 26 moi je dis que je suis vĂ©gĂ©tarienne ca devient trop compliquĂ© de dire "je ne mange pas de porc" le vĂ©ganisme est Ă la mode, profitons en Du coup, quand on apprend que tu as menti, on te colle l'Ă©tiquette de musulman menteur qui cache des choses. Moi, franchement, je dis je ne mange pas de porc. Et quand on me demande pourquoi, je dis je suis musulman. Tu m'acceptes, bienvenue, tu me refuses, tant pis pour toi! AncienMembre 27 je parle Ă©videmment de situations professionnelles avec des inconnus, pas des gens qui me cotoient sur la longue durĂ©e refuser du vin c'est par contre assez difficile les français ont une culture du vin et ils ne comprennent pratiquement aucun argument Ă part mĂ©dical 28 Coluche doit se retourner dans sa tombe si c est bien vrai Felicitee L'essentiel est invisible pour les yeux 29 Pas besoin de publicitĂ© pour les gens qui ont besoin dây aller parce quâils ne peuvent pas faire autrement. Ăa ne changera rien pour eux. En fait ce nâest pas la premiĂšre fois que ça arrive, câest dĂ©jĂ arrivĂ© lâannĂ©e derniĂšre. Un problĂšme quâont les Resto du CĆur, câest quâils attirent des idĂ©ologues. Ils nâont par exemple pas envie quâun parti politique vienne y faire sa propagande. Je ne dirai pas lesquels sont les plus susceptibles de le faire, mais disons des courants idĂ©ologiques qui ont lâhabitude de prendre les pauvres comme alibi tout en sâen moquant en pratique. AprĂšs, il y a aussi des organisations comme le Secours Catholique qui existe. Elle peut Ă©ventuellement voir lĂ . Ou pourquoi pas crĂ©er un Secours Musulman. Je comprends que ça vexe, mais vu lâurgence dans laquelle sont les gens qui vont au bus rose les soirs dâhiver, je crois que en comparaison il faut savoir mettre certaines vexations dans sa poche et comprendre quâil y a plus grave que ça dans ce cas lĂ . Quâelle ait voulu se proposer, quâelle ait refusĂ© de retirer son foulard pour y ĂȘtre bĂ©nĂ©vole, je peux le comprendre, ça la regarde, mais en faire la publicitĂ©, je trouve ça quandâmĂȘme un peu indĂ©cent, câest presque manquer de respect aux gens qui y vont, en faisant passer cette question devant leur dĂ©tresse. C'est clair ! Je voulais dire que ça peut refroidir quelques donateurs si ça devait se reproduire... 30 Je vais me montrer dure mais bien fait pour cette femme Il faut que les musulmans et musulmanes en france comprennent quâil faut miser sur le communautarisme, quâelle donne de son temps Ă sa famille ou ses amies musulmanes comme elle ou si elle sâennuie quâelle apprenne la couture Quâest ce quâils vont donner de leur temps Ă des bouseux qui les mĂ©prisent Vraiment yâen a il font pitiĂ©, tellement ils veulent sâintĂ©grer et se faire accepter ils acceptent les pires humiliations belgika Vis et meurs entre les 2 fais de ton mieux 31 je parle Ă©videmment de situations professionnelles avec des inconnus, pas des gens qui me cotoient sur la longue durĂ©e refuser du vin c'est par contre assez difficile les français ont une culture du vin et ils ne comprennent pratiquement aucun argument Ă part mĂ©dical Refuser du vin c'est facile Tu rĂ©ponds non merci Et je n'ai pas Ă me justifier AnvienMembre 32 Refuser du vin c'est facile Tu rĂ©ponds non merci Et je n'ai pas Ă me justifier Je ne comprends pas pourquoi on devrait se justifier sur le fait de ne pas manger tel ou tel aliment ou de ne pas consommer d'alcool ni pourquoi on devrait trouver des stratĂ©gies. 33 Je ne comprends pas pourquoi on devrait se justifier sur le fait de ne pas manger tel ou tel aliment ou de ne pas consommer d'alcool ni pourquoi on devrait trouver des stratĂ©gies. C'est tellement plus in quand tu fais partie de la religion des flexitariens, des vĂ©gĂ©tariens, des vĂ©gĂ©taliens, des vegans, des ketodiets, mais la religion musulmane bouhhhhhhhh faut pas dire! 34 Ici Une source interne explique Ă checknews que parfois "on trouve un compromis avec certaines bĂ©nĂ©voles avec des turbans discrets" c'est quoi un turban discret? genre tu dis au turban de ne pas trop faire de bruits quand ya du monde ou bien? shams007 t'en penses quoi? AnvienMembre 35 C'est tellement plus in quand tu fais partie de la religion des flexitariens, des vĂ©gĂ©tariens, des vĂ©gĂ©taliens, des vegans, des ketodiets, mais la religion musulmane bouhhhhhhhh faut pas dire! Ahahaha oui. Tant pis si ça ne plaĂźt pas, je ne vois pas pourquoi je devrais cacher ma religion. AprĂšs, on nous dira qu'il n'y a pas de climat d'islamophobie.
Aujourdhui les héritiers du chanteur martiniquais réclament des excuses publiques. " Nou lévé mouch Rouj " (Nous avons vu rouge), s'indigne Christian Charles-Denis, le fils de Francisco. Sa
Alonzo Aperçu Albums rubrique actuelle Wiki Tags Shouts Albums Afficher les albums comprenant On Met Les Voiles. Avenue de St Antoine Alonzo 8 277 auditeurs 20 Mai 2016 15 titres Chargement en cours Pattaya Bande Originale Various Artists 635 auditeurs 19 Fév 2016 14 titres Chargement en cours 60 Bombes Dancefloor 2016 - by Hotmix Radio Tous les hits Dance, Deep House, Electro, Urban et Reggaeton 2016 / Inclus un mix par Pagadixx Various Artists 10 auditeurs 19 Aoû 2016 61 titres Chargement en cours Playlist Hits Spring 2016 - 80 Hits Various Artists 1 auditeur 11 Oct 2017 80 titres Chargement en cours Raï RnB Mix Party 2016 by DJ Kim Le meilleur du son urbain tous les hits Rap, Raï et Raï RnB Various Artists / 0 auditeur 15 Déc 2016 43 titres Chargement en cours Vous ne voulez pas voir de publicités ?Mettez à niveau maintenant Vous ne voulez pas voir de publicités ?Mettez à niveau maintenant Titres tendances 1 2 3 4 5 6 Voir tous les titres tendances à la une
Parolesde la chanson Hissez la grand'voile ! Hissez la grand'voile et nous partirons droit devant, Hissez la grand'voile, Ă nous la mer et le vent. Animagicus. Musique et chansons Pirates. PoĂšme FĂȘte Des PĂšres. Lecture Cm2. Histoire Cm1. ActivitĂ© Centre De Loisir. Chanson Enfantine. Paroles de la chanson Le pirate sans cravate : Ce matin, le vent
Je suis en vacances en Floride Quand je te tiens entre mes bras T'Ă©tais dans mes rĂȘves dĂ©jĂ On a dĂ» t'inventer pour moi Quand je te tiens entre mes bras Je suis en vacances en Floride Y a du satin sous ta ceinture Des oiseaux au bout de tes doigts Y a des ailes Ă ta chevelure Et tu fais fleurir du lilas Aux saisons noires des froidures Tu m'aimes, on s'aime, aime-moi Je t'aime et nous sommes les rois Les majestĂ©s grandeur nature Y a du satin sous ta ceinture Je suis en croisiĂšre par le monde Quand tu dors appuyĂ©e sur moi La tĂȘte posĂ©e sur ton bras T'es mieux qu' la Belle qui dort au bois Quand tu dors appuyĂ©e sur moi Je suis en croisiĂšre par le monde Y a du rĂȘve sur notre navire Demain matin, il fera beau J'Ă©coute l'air que tu respires Tu remues au fond du bateau Et que m'importe qu'il chavire Nous serons noyĂ©s aussitĂŽt On s'aimera au fond de l'eau J'aurai encore beaucoup Ă dire Y a du rĂȘve sur notre navire Suis Ă la cueillette aux Ă©toiles Quand tu te mets Ă raconter Les mots que tu laisses tomber Faudrait pouvoir les faire graver Quand tu te mets Ă raconter Suis Ă la cueillette aux Ă©toiles Y a des violons dans ta musique Y a des muses dans ton violon T'as gommĂ© l'ennui et sa clique Y a du western dans ta chanson On s'y croirait aux AmĂ©riques Je t'aime et toi, nous nous aimons Mettons les voiles pour de bon Partons plus loin que les tropiques Y a du violon dans ta musique On s'y croirait aux AmĂ©riques Y a des violons dans ta musique Mettons les voiles pour de bon
Alonzoâ On met les voilesExtrait de « Avenue de St Antoine » disponible partout â Produit par : DJ Kore RĂ©alisation
AprĂšs votre entrĂ©e en musique, votre premiĂšre danse et votre playlist bien Ă©laborĂ©e pour la soirĂ©e, vous avez oubliĂ© la musique pour lâarrivĂ©e du gĂąteau de mariage ! Pas de panique, nous avons sĂ©lectionnĂ© avec lâaide de Nicolas, DJ de Mix Moving et Aymeric de Lol EvĂ©menents, 27 musiques idĂ©ales pour accueillir votre gĂąteau de mariage ! Le principal ingrĂ©dient dâune chanson dĂ©diĂ©e Ă lâentrĂ©e du gĂąteau est le rythme. Vous devez dĂ©cider de lâambiance souhaitĂ©e Ă cet instant festive, classique, romantique, mythique, internationale, française⊠La question Ă se poser est simple. Comment voulez-vous que vos invitĂ©s agissent ? Si certains rĂȘvent dâune danse endiablĂ©e, dâautres prĂ©fĂ©reront que la foule sâaccorde sur le refrain ou se regroupe autour des mariĂ©s, attendris par une musique plus douce. Pour vous aider, voici quelques chansons de styles diffĂ©rents⊠Vous nâavez plus quâĂ choisir !Les classiques Donât stop me now â QUEEN Mythique. La cĂ©lĂšbre chanson est arrivĂ©e en tĂȘte du classement des hits qui rendent le plus de bonne humeur dans une rĂ©cente Ă©tude scientifique ! Si, si, câest prouvĂ©. De quoi rendre vos invitĂ©s surexcitĂ©s et heureux, parfait non ? The Time Of My Life â Dirty Dancing I will survive â Gloria Gaynor Dancing Queen â ABBA Letâs dance â David Bowie Heâs a pirate â Hans Zimmer & Klaus Badelt Pour les cinĂ©philes⊠Parce quâon adore Johnny Depp et que tout le monde connait le rythme ! Ce nâest quâun exemple parmi tant dâautres⊠Star Wars, Retour vers le futur, Harry Potter, Pulp Fiction -Misirlou de Dick Dale, dĂ©finitivement mieux que les Black Eyed Peas â Ă vous de voir !Les musiques festives Everybody Needs Somebody to Love â The Blues Brothers Parce quâon aime tous les Blues Brothers et que câest sans aucun doute leur plus belle chanson. Un petit cĂŽtĂ© chorale jazzy qui obligera vos convives Ă se dĂ©hancher autour du gĂąteau ! Si le mariĂ© opte pour un chapeau trilby alors câest un combo gagnant ! Happy â Pharrell Williams Baby -Bakermat Mettons du groove dans cette arrivĂ©e du gĂąteau avec un rythme qui va enflammer la salle et faire se dĂ©hancher vos invitĂ©s avec style ! Canât stop the feeling â Justin Timberlake Un autre classique du cĂ©lĂšbre chanteur qui rĂ©ussit toujours Ă nous mettre en joie. Une belle voix, une musique entraĂźnante, un tube super connu⊠De quoi lancer la soirĂ©e en bonne et due forme ! This girl â Kungs On adore ce hit, alors forcĂ©ment on valide ! Il vous a fait danser toute lâannĂ©e ? Câest le moment de le ressortir pour mettre lâambiance ! Happy â C2C Avec un titre pareil, vous annoncez direct la couleur ! Comme son nom lâindique, cette chanson de C2C mettra vos invitĂ©s en joie en un rien de temps ! Heavy Cross â Gossip Pour se la jouer Charlize Theron dans la pub Dior. Glamour, sexy, puissant⊠Vos invitĂ©s la connaissent et lâaiment sans aucun doute. Qui nâaime pas Gossip, sĂ©rieusement ? Alors pour une entrĂ©e de gĂąteau punchy et remarquĂ©e, ce choix semble Ă©vident. On adore⊠Vous lâavez ?Les musiques romantiques Youâre the first, the last, my everything â Barry White LA chanson romantique. Pas de doute, avec cette musique, on est bien Ă une cĂ©lĂ©bration amoureuse ! Connue de tous, cette chanson fera chantonner vos convives ! Et puis, on adore les paroles ! Happy Together â The Turtles Marry You â Bruno Mars Un classique du mariage quâon ne se lasse pas dâĂ©couter encore et encore pour la voix de Bruno Mars absolument irrĂ©sistible et les paroles tellement romantiques. Moldy Peaches â Anyone Else But You This Old Heart Of Mine â The Isley Brothers Hurricane â Misterwives Pour les amateurs dâIndie -ou les hipters-. Frais, pop⊠Placez le curseur Ă 40 secondes et laissez vous charmer par cette voix et ce rythme ! Vous ferez dĂ©couvrir quelque chose Ă vos invitĂ©s et ne manquerez pas de les Ă©pater avec ce choix original !Les hits internationaux Firework â Katy Perry IdĂ©al pour mettre lâambiance ! La cĂ©lĂšbre chanteuse pop nous offre des musiques plus entraĂźnantes les unes que les autres. Au dĂ©but, on commence doucement et puis câest lâexplosion ! Pour sur, vos convives chanteront tous en chĆur ! We Found Love â Rihanna Summer â Calvin Harris Impossible dâĂȘtre passĂ© Ă cĂŽtĂ© de ce hit ! Calvin Harris nous fait danser Ă tout les coups et accueillera parfaitement votre gĂąteau de mariage. Assurez-vous simplement que vos invitĂ©es ne soient pas aussi dĂ©nudĂ©es que dans le clip⊠You donât know me â Jax Jones Pour les fans dâĂ©lectro, cette chanson est dĂ©finitivement celle qui endiablera le plus le dancefloor ! Un hit rĂ©cent qui parleront aux plus jeunes comme aux moins ! Donât Worry â Madcon Un tube qui a fait carton durant lâĂ©tĂ© 2016 et quâon ne se lasse pas de réécouter tant il nous met de bonne humeur. Waiting for love â Avicii Parce quâil est frais, rythmĂ© et quâil met de lâambiance ! Et mĂȘme si vous ne la choisissez pas pour lâarrivĂ©e du gĂąteau, vous devrez de toute façon lâintĂ©grer Ă votre playlist ! De quoi enflammer le dancefloor !Les chansons françaises Magic in the air â Magic System Ambiance assurĂ©e ! On peut danser, chanter⊠Le tout dans la bonne humeur ! De plus, lâenfant qui chante au dĂ©but permet lâapproche du gĂąteau tranquillement avant lâexplosion de joie de la chanson ! Donnez un peu de couleur Ă votre mariage et entraĂźnez vos invitĂ©s⊠âAllez, allez, allez, levez les mains en lâair !â Câest la vie â Khaled En feu â Soprano Alors, vous avez fait votre choix ? Soyez certains quâavec lâune de ces musiques vous assurez le coup ! Vous nâavez plus quâĂ trouver le gĂąteau de mariage maintenant !
noncornifleur la chanson ça fait soit salli a'la mohamed salli ouw'li ou alors henni 'la mohamed henni 'li c'est le jours du henna que generalement on la chante la futur marié arrive avec un voile sur la tete devant elle il y a un plateau avec du henna des oeux du sucre.. et une dame chante cette chanson et tout le monde chante derriere elle
Beaumarchais ThĂ©ĂÂątre L'Autre Tartuffe ou la mĂšre coupable Un mot sur La MĂšre coupable Pendant ma longue proscription, quelques amis zĂ©lĂ©s avaient imprimĂ© cette piĂšce, uniquement pour prĂ©venir l'abus d'une contrefaçon infidĂšle, furtive, et prise Ă la volĂ©e pendant les reprĂ©sentations. Mais ces amis eux-mĂÂȘmes, pour Ă©viter d'ĂÂȘtre froissĂ©s par les agents de la Terreur, s'ils eussent laissĂ© leurs vrais titres aux personnages espagnols car alors tout Ă©tait pĂ©ril, se crurent obligĂ©s de les dĂ©figurer, d'altĂ©rer mĂÂȘme leur langage, et de mutiler plusieurs scĂšnes. Honorablement rappelĂ© dans ma patrie aprĂšs quatre annĂ©es d'infortune, et la piĂšce Ă©tant dĂ©sirĂ©e par les anciens acteurs du ThĂ©ĂÂątre français, dont on connaĂt les grands talents, je la restitue en entier dans son premier Ă©tat. Cette Ă©dition est celle que j'avoue. Parmi les vues de ces artistes, j'approuve celle de prĂ©senter en trois sĂ©ances consĂ©cutives, tout le roman de la famille Almaviva, dont les deux premiĂšres Ă©poques ne semblent pas, dans leur gaietĂ© lĂ©gĂšre, offrir de rapport bien sensible avec la profonde et touchante moralitĂ© de la derniĂšre; mais elles ont, dans le plan de l'auteur, une connexion intime, propre Ă verser le plus vif intĂ©rĂÂȘt sur les reprĂ©sentations de La MĂšre coupable. J'ai donc pensĂ©, avec les comĂ©diens, que nous pouvions dire au public AprĂšs avoir bien ri, le premier jour, au Barbier de SĂ©ville, de la turbulente jeunesse du Comte Almaviva, laquelle est Ă peu prĂšs celle de tous les hommes. AprĂšs avoir, le second jour, gaiement considĂ©rĂ©, dans La Folle JournĂ©e, les fautes de son ĂÂąge viril, et qui sont trop souvent les nĂÂŽtres. Par le tableau de sa vieillesse, et voyant La MĂšre coupable, venez vous convaincre avec nous que tout homme qui n'est pas nĂ© un Ă©pouvantable mĂ©chant, finit toujours par ĂÂȘtre bon quand l'ĂÂąge des passions s'Ă©loigne, et surtout quand il a goĂ»tĂ© le bonheur si doux d'ĂÂȘtre pĂšre! C'est le but moral de la piĂšce. Elle en renferme plusieurs autres que ces dĂ©tails feront ressortir. Et moi, l'auteur, j'ajoute ici Venez juger La MĂšre coupable, avec le bon esprit qui l'a fait composer pour vous. Si vous trouvez quelque plaisir Ă mĂÂȘler vos larmes aux douleurs, au pieux repentir de cette femme infortunĂ©e; si ses pleurs commandent les vĂÂŽtres, laissez-les couler doucement. Les larmes qu'on verse au thĂ©ĂÂątre, sur des maux simulĂ©s, qui ne font pas le mal de la rĂ©alitĂ© cruelle, sont bien douces. On est meilleur quand on se sent pleurer. On se trouve si bon aprĂšs la compassion! AuprĂšs de ce tableau touchant, si j'ai mis sous vos yeux le machinateur, l'homme affreux qui tourmente aujourd'hui cette malheureuse famille, ah! je vous jure que je l'ai vu agir; je n'aurais pas pu l'inventer. Le Tartuffe de MoliĂšre Ă©tait celui de la religion aussi, de toute la famille d'Orgon, ne trompa-t-il que le chef imbĂ©cile! Celui-ci, bien plus dangereux, Tartuffe de la probitĂ©, a l'art profond de s'attirer la respectueuse confiance de la famille entiĂšre qu'il dĂ©pouille. C'est celui-lĂ qu'il fallait dĂ©masquer. C'est pour vous garantir des piĂšges de ces monstres et il en existe partout, que j'ai traduit sĂ©vĂšrement celui-ci sur la scĂšne française. Pardonnez-le-moi en faveur de sa punition, qui fait la clĂÂŽture de la piĂšce. Ce cinquiĂšme acte m'a coĂ»tĂ©; mais je me serais cru plus mĂ©chant que BĂ©gearss, si je l'avais laissĂ© jouir du moindre fruit de ses atrocitĂ©s, si je ne vous eusse calmĂ©s aprĂšs des alarmes si vives. Peut-ĂÂȘtre ai-je attendu trop tard pour achever cet ouvrage terrible qui me consumait la poitrine, et devait ĂÂȘtre Ă©crit dans la force de l'ĂÂąge. Il m'a tourmentĂ© bien longtemps! Mes deux comĂ©dies espagnoles ne furent faites que pour le prĂ©parer. Depuis, en vieillissant, j'hĂ©sitais de m'en occuper je craignais de, manquer de force; et peut-ĂÂȘtre n'en ai-je plus Ă l'Ă©poque oĂÂč je l'ai tentĂ©; mais enfin, je l'ai composĂ© dans une intention droite et pure avec la tĂÂȘte froide d'un homme et le coeur brĂ»lant d'une femme, comme on l'a pensĂ© de Rousseau. J'ai remarquĂ© que cet ensemble, cet hermaphrodisme moral, est moins rare qu'on ne le croit. Au reste, sans tenir Ă nul parti, Ă nulle secte, La MĂšre coupable est un tableau des peines intĂ©rieures qui divisent bien des familles peines auxquelles malheureusement le divorce, trĂšs bon d'ailleurs, ne remĂ©die point. Quoi qu'on fasse, ces plaies secrĂštes, il les dĂ©chire au lieu de les cicatriser. Le sentiment de la paternitĂ©, la bontĂ© du coeur, l'indulgence en sont les uniques remĂšdes. VoilĂ ce que j'ai voulu peindre et graver dans tous les esprits. Les hommes de lettres qui se sont vouĂ©s au thĂ©ĂÂątre, en examinant cette piĂšce, pourront y dĂ©mĂÂȘler une intrigue de comĂ©die, fondue dans le pathĂ©tique d'un drame. Ce dernier genre, trop dĂ©daignĂ© de quelques juges prĂ©venus, ne leur paraissait pas de force Ă comporter ces deux Ă©lĂ©ments rĂ©unis. L'intrigue, disaient-ils, est le propre des sujets gais, c'est le nerf de la comĂ©die; on adapte le pathĂ©tique Ă la marche simple du drame pour en soutenir la faiblesse. Mais ces principes hasardĂ©s s'Ă©vanouissent Ă l'application, comme on peut s'en convaincre en s'exerçant dans les deux genres. L'exĂ©cution, plus ou moins bonne, assigne Ă chacun son mĂ©rite; et le mĂ©lange heureux de ces deux moyens dramatiques, employĂ©s avec art, peut produire un trĂšs grand effet. Voici comment je l'ai tentĂ©. Sur des Ă©vĂ©nements antĂ©cĂ©dents connus et c'est un fort grand avantage, j'ai fait en sorte qu'un drame intĂ©ressant existĂÂąt aujourd'hui entre le Comte Almaviva, la Comtesse et les deux enfants. Si j'avais reportĂ© la piĂšce Ă l'ĂÂąge inconsistant oĂÂč les fautes se sont commises, voici ce qui fĂ»t arrivĂ©. D'abord le drame eĂ»t dĂ» s'appeler, non La MĂšre coupable, mais L'Epouse infidĂšle, ou Les Epoux coupables. Ce n'Ă©tait dĂ©jĂ plus le mĂÂȘme genre d'intĂ©rĂÂȘt; il eĂ»t fallu y faire entrer des intrigues d'amour, des jalousies, du dĂ©sordre, que sais-je? de tout autres Ă©vĂ©nements et la moralitĂ© que je voulais faire sortir d'un manquement si grave aux devoirs de l'Ă©pouse honnĂÂȘte, cette moralitĂ©, perdue, enveloppĂ©e dans les fougues de l'ĂÂąge, n'aurait pas Ă©tĂ© aperçue. Mais c'est vingt ans aprĂšs que les fautes sont consommĂ©es, quand les passions sont usĂ©es, que leurs objets n'existent plus, que les consĂ©quences d'un dĂ©sordre presque oubliĂ© viennent peser sur l'Ă©tablissement et sur le sort de deux enfants malheureux qui les ont toutes ignorĂ©es, et qui n'en sont pas moins les victimes. C'est de ces circonstances graves que la moralitĂ© tire toute sa force, et devient le prĂ©servatif des jeunes personnes bien nĂ©es qui, lisant peu dans l'avenir, sont beaucoup plus prĂšs du danger de se voir Ă©garĂ©es, que de celui d'ĂÂȘtre vicieuses. VoilĂ sur quoi porte mon drame. Puis, opposant au scĂ©lĂ©rat notre pĂ©nĂ©trant Figaro, vieux serviteur trĂšs attachĂ©, le seul ĂÂȘtre que le fripon n'a pu tromper dans la maison, l'intrigue qui se noue entre eux s'Ă©tablit sous cet autre aspect. Le scĂ©lĂ©rat inquiet se dit "En vain j'ai le secret de tout le monde ici, en vain je me vois prĂšs de le tourner Ă mon profit; si je ne parviens pas Ă faire chasser ce valet, il pourra m'arriver malheur." D'autre cĂÂŽtĂ©, j'entends le Figaro se dire "Si je ne rĂ©ussis Ă dĂ©pister ce monstre, Ă lui faire tomber le masque, la fortune, l'honneur, le bonheur de cette maison, tout est perdu." La Suzanne, jetĂ©e entre ces deux lutteurs, n'est ici qu'un souple instrument, dont chacun entend se servir pour hĂÂąter la chute de l'autre. Ainsi, la comĂ©die d'intrigue, soutenant la curiositĂ©, marche tout au travers du drame, dont elle renforce l'action, sans en diviser l'intĂ©rĂÂȘt, qui se porte tout entier sur la mĂšre. Les deux enfants, aux yeux du spectateur, ne courent aucun danger rĂ©el. On voit bien qu'ils s'Ă©pouseront si le scĂ©lĂ©rat est chassĂ©, car ce qu'il y a de mieux Ă©tabli dans l'ouvrage, c'est qu'ils ne sont parents Ă nul degrĂ©, qu'ils sont Ă©trangers l'un Ă l'autre ce que savent fort bien, dans le secret du coeur, le Comte, la Comtesse, le scĂ©lĂ©rat, Suzanne et Figaro, tous instruits des Ă©vĂ©nements; sans compter le public qui assiste Ă la piĂšce, et Ă qui nous n'avons rien cachĂ©. Tout l'art de l'hypocrite, en dĂ©chirant le coeur du pĂšre et de la mĂšre, consiste Ă effrayer les jeunes gens, Ă les arracher l'un Ă l'autre, en leur faisant croire Ă chacun qu'ils sont enfants du mĂÂȘme pĂšre; c'est lĂ le fond de son intrigue. Ainsi marche le double plan, que l'on peut appeler complexe. Une telle action dramatique peut s'appliquer Ă tous les temps, Ă tous les lieux oĂÂč les grands traits de la nature, et tous ceux qui caractĂ©risent le coeur de l'homme et ses secrets ne seront pas trop mĂ©connus. Diderot, comparant les ouvrages de Richardson avec tous ces romans que nous nommons l'histoire, s'Ă©crie, dans son enthousiasme pour cet auteur juste et profond "Peintre du coeur humain! c'est toi seul qui ne mens jamais!" Quel mot sublime! Et moi aussi j'essaye encore d'ĂÂȘtre peintre du coeur humain mais ma palette est dessĂ©chĂ©e par l'ĂÂąge et les contradictions. La MĂšre coupable a dĂ» s'en ressentir! Que si ma faible exĂ©cution nuit Ă l'intĂ©rĂÂȘt de mon plan, le principe que j'ai posĂ© n'en a pas moins toute sa justesse. Un tel essai peut inspirer le dessein d'en offrir de plus fortement concertĂ©s. Qu'un homme de feu l'entreprenne, y mĂÂȘlant, d'un crayon hardi, l'intrigue avec le pathĂ©tique, qu'il broie et fonde savamment les vives couleurs de chacun, qu'il nous peigne Ă grands traits l'homme vivant en sociĂ©tĂ©, son Ă©tat, ses passions, ses vices, ses vertus, ses fautes et ses malheurs, avec la vĂ©ritĂ© frappante que l'exagĂ©ration mĂÂȘme, qui fait briller les autres genres, ne permet pas toujours de rendre aussi fidĂšlement touchĂ©s, intĂ©ressĂ©s, instruits, nous ne dirons plus que le drame est un genre dĂ©colorĂ©, nĂ© de l'impuissance de produire une tragĂ©die ou une comĂ©die. L'art aura pris un noble essor; il aura fait encore un pas. O mes concitoyens! vous Ă qui j'offre cet essai; s'il vous paraĂt faible ou manquĂ©, critiquez-le, mais sans m'injurier. Lorsque je fis mes autres piĂšces, on m'outragea longtemps, pour avoir osĂ© mettre au thĂ©ĂÂątre ce jeune Figaro, que vous avez aimĂ© depuis. J'Ă©tais jeune aussi, j'en riais. En vieillissant, l'esprit s'attriste, le caractĂšre se rembrunit. J'ai beau faire, je ne ris plus quand un mĂ©chant ou un fripon insulte Ă ma personne, Ă l'occasion de mes ouvrages on n'est pas maĂtre de cela. Critiquez la piĂšce fort bien. Si l'auteur est trop vieux pour en tirer du fruit, votre leçon peut profiter Ă d'autres. L'injure ne profite Ă personne, et mĂÂȘme elle n'est pas de bon goĂ»t. On peut offrir cette remarque Ă une nation renommĂ©e par son ancienne politesse, qui la faisait servir de modĂšle en ce point, comme elle est encore aujourd'hui celui de la haute vaillance. Personnages Le Comte Almaviva, grand seigneur espagnol, d'une fiertĂ© noble, et sans orgueil. La Comtesse Almaviva, trĂšs malheureuse, et d'une angĂ©lique piĂ©tĂ©. Le Chevalier LĂ©on, leur fils, jeune homme Ă©pris de la libertĂ©, comme toutes les ĂÂąmes ardentes et neuves. Florestine, pupille et filleule du Comte Almaviva, jeune personne d'une grande sensibilitĂ©. M. BĂ©gearss, Irlandais, major d'infanterie espagnole, ancien secrĂ©taire des ambassades du Comte; homme trĂšs profond, et grand machinateur d'intrigues, fomentant le trouble avec art. Figaro, valet de chambre, chirurgien et homme de confiance du Comte; homme formĂ© par l'expĂ©rience du monde et des Ă©vĂ©nements. Suzanne, premiĂšre camariste de la Comtesse, Ă©pouse de Figaro; excellente femme, attachĂ©e Ă sa maĂtresse, et revenue des illusions du jeune ĂÂąge. M. Fal, notaire du Comte, homme exact et trĂšs honnĂÂȘte. Guillaume, valet allemand de M. BĂ©gearss, homme trop simple pour un tel maĂtre. La scĂšne est Ă Paris, dans l'hĂÂŽtel occupĂ© par la famille du Comte, et se passe Ă la fin de 1790. L'autre Tartuffe ou La MĂšre coupable Acte Premier Le thĂ©ĂÂątre reprĂ©sente un salon fort ornĂ©. ScĂšne I Suzanne, seule, tenant des fleurs obscures dont elle fait un bouquet. Que madame s'Ă©veille et sonne; mon triste ouvrage est achevĂ©. Elle s'assied avec abandon. A peine il est neuf heures, et je me sens dĂ©jĂ d'une fatigue... Son dernier ordre, en la couchant, m'a gĂÂątĂ© ma nuit tout entiĂšre... Demain, Suzanne, au point du jour, fais apporter beaucoup de fleurs, et garnis-en mes cabinets. - Au portier Que, de la journĂ©e, il n'entre personne pour moi. - Tu me formeras un bouquet de fleurs noires et rouge foncĂ©, un seul oeillet blanc au milieu... Le voilĂ . - Pauvre maĂtresse! Elle pleurait!... Pour qui ce mĂ©lange d'apprĂÂȘts?... Eeeh! si nous Ă©tions en Espagne, ce serait aujourd'hui la fĂÂȘte de son fils LĂ©on... avec mystĂšre et d'un autre homme qui n'est plus! Elle regarde les fleurs. Les couleurs du sang et du deuil! Elle soupire. Ce coeur blessĂ© ne guĂ©rira jamais! - Attachons-le d'un crĂÂȘpe noir, puisque c'est lĂ sa triste fantaisie. Elle attache le bouquet. ScĂšne II Suzanne, Figaro, regardant avec mystĂšre. Cette scĂšne doit marcher chaudement. Suzanne Entre donc, Figaro! Tu prends l'air d'un amant en bonne fortune chez ta femme! Figaro Peut-on vous parler librement? Suzanne Oui, si la porte reste ouverte. Figaro Et pourquoi cette prĂ©caution? Suzanne C'est que l'homme dont il s'agit peut entrer d'un moment Ă l'autre. Figaro, appuyant. HonorĂ© Tartuffe BĂ©gearss? Suzanne Et c'est un rendez-vous donnĂ©. - Ne t'accoutume donc pas Ă charger son nom d'Ă©pithĂštes; cela peut se redire et nuire Ă tes projets. Figaro Il s'appelle HonorĂ©! Suzanne Mais non pas Tartuffe. Figaro Morbleu! Suzanne Tu as le ton bien soucieux! Figaro Furieux. Elle se lĂšve. Est-ce lĂ notre convention? M'aidez-vous franchement, Suzanne, Ă prĂ©venir un grand dĂ©sordre? Serais-tu dupe encore de ce trĂšs mĂ©chant homme? Suzanne Non; mais je crois qu'il se mĂ©fie de moi il ne me dit plus rien. J'ai peur, en vĂ©ritĂ©, qu'il ne nous croie raccommodĂ©s. Figaro Feignons toujours d'ĂÂȘtre brouillĂ©s. Suzanne Mais qu'as-tu donc appris qui te donne une telle humeur? Figaro Recordons-nous d'abord sur les principes. Depuis que nous sommes Ă Paris, et que M. Almaviva... Il faut bien lui donner son nom, puisqu'il ne souffre plus qu'on l'appelle Monseigneur.... Suzanne, avec humeur. C'est beau! et madame sort sans livrĂ©e! Nous avons l'air de tout le monde! Figaro Depuis, dis-je, qu'il a perdu, pour une querelle de jeu, son libertin de fils aĂnĂ©, tu sais comment tout a changĂ© pour nous! comme l'humeur du Comte est devenue sombre et terrible! Suzanne Tu n'es pas mal bourru non plus! Figaro Comme son autre fils paraĂt lui devenir odieux! Suzanne Que trop! Figaro Comme madame est malheureuse! Suzanne C'est un grand crime qu'il commet! Figaro Comme il redouble de tendresse pour sa pupille Florestine! comme il fait surtout des efforts pour dĂ©naturer sa fortune! Suzanne Sais-tu, mon pauvre Figaro! que tu commences Ă radoter? Si je sais tout cela, qu'est-il besoin de me le dire? Figaro Encore faut-il bien s'expliquer pour s'assurer que l'on s'entend! N'est-il pas avĂ©rĂ© pour nous que cet astucieux Irlandais, le flĂ©au de cette famille, aprĂšs avoir chiffrĂ©, comme secrĂ©taire, quelques ambassades auprĂšs du Comte, s'est emparĂ© de leurs secrets Ă tous? Que ce profond machinateur a su les entraĂner de l'indolente Espagne en ce pays, remuĂ© de fond en comble, espĂ©rant y mieux profiter de la dĂ©sunion oĂÂč ils vivent pour sĂ©parer le mari de la femme, Ă©pouser la pupille, et envahir les biens d'une maison qui se dĂ©labre? Suzanne Enfin, moi! que puis-je Ă cela? Figaro Ne jamais le perdre de vue; me mettre au cours de ses dĂ©marches. Suzanne Mais je te rends tout ce qu'il dit. Figaro Oh! ce qu'il dit... n'est que ce qu'il veut dire! Mais saisir, en parlant, les mots qui lui Ă©chappent, le moindre geste, un mouvement; c'est lĂ qu'est le secret de l'ĂÂąme! Il se trame ici quelque horreur. Il faut qu'il s'en croie assurĂ©; car je lui trouve un air... plus faux, plus perfide et plus fat; cet air des sots de ce pays, triomphant avant le succĂšs. Ne peux-tu ĂÂȘtre aussi perfide que lui? l'amadouer, le bercer d'espoir? quoi qu'il demande, ne pas le refuser? Suzanne C'est beaucoup! Figaro Tout est bien, et tout marche au but, si j'en suis promptement instruit. Suzanne ... Et si j'en instruis ma maĂtresse? Figaro Il n'est pas temps encore ils sont tous subjuguĂ©s par lui. On ne te croirait pas tu nous perdrais sans les sauver. Suis-le partout, comme son ombre... et moi, je l'Ă©pie au-dehors... Suzanne Mon ami, je t'ai dit qu'il se dĂ©fie de moi; et s'il nous surprenait ensemble... Le voilĂ qui descend... Ferme! ayons ait de quereller bien fort. Elle pose le bouquet sur la table. Figaro, Ă©levant la voix. Moi, je ne le veux pas! Que je t'y prenne une autre fois!... Suzanne, Ă©levant la voix. Certes! oui, je te crains beaucoup! Figaro, feignant de lui donner un soufflet. Ah! tu me crains!... Tiens, insolente! Suzanne, feignant de l'avoir reçu. Des coups Ă moi... chez ma maĂtresse! ScĂšne III Le Major BĂ©gearss, Figaro, Suzanne. BĂ©gearss en uniforme, un crĂÂȘpe noir au bras. Eh! mais quel bruit! Depuis une heure j'entends disputer de chez moi... Figaro, Ă part. Depuis une heure! BĂ©gearss Je sors, je trouve une femme Ă©plorĂ©e... Suzanne, feignant de pleurer. Le malheureux lĂšve la main sur moi! BĂ©gearss Ah! l'horreur, monsieur Figaro! Un galant homme a-t-il jamais frappĂ© une personne de l'autre sexe? Figaro, brusquement. Eh morbleu! monsieur, laissez-nous! Je ne suis point un galant homme; et cette femme n'est point une personne de l'autre sexe elle est ma femme, une insolente qui se mĂÂȘle dans des intrigues, et qui croit pouvoir me braver, parce qu'elle a ici des gens qui la soutiennent. Ah! j'entends la morigĂ©ner... BĂ©gearss Est-on brutal Ă cet excĂšs? Figaro Monsieur, si je prends un arbitre de mes procĂ©dĂ©s envers elle, ce sera moins vous que tout autre; et vous savez trop bien pourquoi! BĂ©gearss Vous me manquez, monsieur; je vais m'en plaindre Ă votre maĂtre. Figaro, raillant. Vous manquer! moi? c'est impossible. Il sort. ScĂšne IV BĂ©gearss, Suzanne. BĂ©gearss Mon enfant, je n'en reviens point. Quel est donc le sujet de son emportement? Suzanne Il m'est venu chercher querelle; il m'a dit cent horreurs de vous. Il me dĂ©fendait de vous voir, de jamais oser vous parler. J'ai pris votre parti; la dispute s'est Ă©chauffĂ©e; elle a fini par un soufflet... VoilĂ le premier de sa vie; mais moi, je veux me sĂ©parer. Vous l'avez vu... BĂ©gearss Laissons cela. - Quelque lĂ©ger nuage altĂ©rait ma confiance en toi; mais ce dĂ©bat l'a dissipĂ©. Suzanne Sont-ce lĂ vos consolations? BĂ©gearss Va, c'est moi qui t'en vengerai! il est bien temps que je m'acquitte envers toi, ma pauvre Suzanne! Pour commencer, apprends un grand secret... Mais sommes-nous bien sĂ»rs que la porte est fermĂ©e? Suzanne y va voir. - Il dit Ă part Ah! si je puis avoir seulement trois minutes l'Ă©crin au double fond que j'ai fait faire Ă la Comtesse, oĂÂč sont ces importantes lettres... Suzanne, revient. Eh bien! ce grand secret? BĂ©gearss Sers ton ami; ton sort devient superbe. - J'Ă©pouse Florestine; c'est un point arrĂÂȘtĂ©; son pĂšre le veut absolument. Suzanne Qui, son pĂšre? BĂ©gearss, en riant. Eh, d'oĂÂč sors-tu donc? RĂšgle certaine, mon enfant lorsque telle orpheline arrive chez quelqu'un comme pupille ou bien comme filleule, elle est toujours la fille du mari. D'un ton sĂ©rieux. Bref, je puis l'Ă©pouser... si tu me la rends favorable. Suzanne Oh! mais LĂ©on en est trĂšs amoureux. BĂ©gearss Leur fils? Froidement. Je l'en dĂ©tacherai. Suzanne, Ă©tonnĂ©e. Ha!... Elle aussi, elle est fort Ă©prise! BĂ©gearss De lui? Suzanne BĂ©gearss, froidement. Je l'en guĂ©rirai. Suzanne, plus surprise. Ha! ha!... Madame, qui le sait, donne les mains Ă leur union. BĂ©gearss, froidement. Nous la ferons changer d'avis. Suzanne, stupĂ©faite. Aussi?... Mais Figaro, si je vois bien, est le confident du jeune homme. BĂ©gearss C'est le moindre de mes soucis. Ne serais-tu pas aise d'en ĂÂȘtre dĂ©livrĂ©e? Suzanne S'il ne lui arrive aucun mal... BĂ©gearss Fi donc! la seule idĂ©e flĂ©trit l'austĂšre probitĂ©. Mieux instruits sur leurs intĂ©rĂÂȘts, ce sont eux-mĂÂȘmes qui changeront d'avis. Suzanne, incrĂ©dule. Si vous faites cela, monsieur... BĂ©gearss, appuyant. Je le ferai. - Tu sens que l'amour n'est pour rien dans un pareil arrangement. L'air caressant. Je n'ai jamais vraiment aimĂ© que toi. Suzanne, incrĂ©dule. Ah? si madame avait voulu... BĂ©gearss Je l'aurais consolĂ©e sans doute; mais elle a dĂ©daignĂ© mes voeux!... Suivant le plan que le Comte a formĂ©, la Comtesse va au couvent. Suzanne, vivement. Je ne me prĂÂȘte Ă rien contre elle. BĂ©gearss Que diable! il la sert dans ses goĂ»ts! je t'entends toujours dire Ah! C'est un ange sur la terre! Suzanne, en colĂšre. Eh bien! faut-il la tourmenter? BĂ©gearss, riant. Non; mais du moins la rapprocher de ce ciel, la patrie des anges, dont elle est un moment tombĂ©e!... Et puisque, dans ces nouvelles et merveilleuses lois, le divorce s'est Ă©tabli... Suzanne, vivement. Le Comte veut s'en sĂ©parer? BĂ©gearss S'il peut. Suzanne, en colĂšre. Ah! les scĂ©lĂ©rats d'hommes! quand on les Ă©tranglerait tous!... BĂ©gearss, riant. J'aime Ă croire que tu m'en exceptes? Suzanne Ma foi!... pas trop. BĂ©gearss, riant. J'adore ta franche colĂšre elle met Ă jour ton bon coeur! Quant Ă l'amoureux chevalier, il le destine Ă voyager... longtemps. - Le Figaro, homme expĂ©rimentĂ©,. sera son discret conducteur. Il lui prend la main. Et voici ce qui nous concerne. Le Comte, Florestine et moi, habiterons le mĂÂȘme hĂÂŽtel; et la chĂšre Suzanne Ă nous, chargĂ©e de toute la confiance, sera notre surintendant, commandera la domesticitĂ©, aura la grande main sur tout. Plus de mari, plus de soufflets, plus de brutal contradicteur; des jours filĂ©s d'or et de soie, et la vie la plus fortunĂ©e!... Suzanne A vos cajoleries, je vois que vous voulez que je vous serve auprĂšs de Florestine? BĂ©gearss, caressant. A dire vrai, j'ai comptĂ© sur tes soins. Tu fus toujours une excellente femme! J'ai tout le reste dans ma main; ce point seul est entre les tiennes. Vivement. Par exemple, aujourd'hui tu peux nous rendre un signalĂ©... Suzanne l'examine. BĂ©gearss se reprend. Je dis un signalĂ©, par l'importance qu'il y met. Froidement. Car, ma foi! c'est bien peu de chose! Le Comte aurait la fantaisie... de donner Ă sa fille, en signant le contrat, une parure absolument semblable aux diamants de la Comtesse. Il ne voudrait pas qu'on le sĂ»t. Suzanne, surprise. Ha! ha! BĂ©gearss Ce n'est pas trop mal vu! De beaux diamants terminent bien des choses! Peut-ĂÂȘtre il va te demander d'apporter l'Ă©crin de sa femme, pour en confronter les dessins avec ceux de son joaillier. Suzanne Pourquoi comme ceux de madame? C'est une idĂ©e assez bizarre! BĂ©gearss Il prĂ©tend qu'ils soient aussi beaux... Tu sens, pour moi, combien c'Ă©tait Ă©gal! Tiens, vois-tu? le voici qui vient. ScĂšne V Le Comte, Suzanne, BĂ©gearss. Le Comte Monsieur BĂ©gearss; je vous cherchais. BĂ©gearss Avant d'entrer chez vous, monsieur, je venais prĂ©venir Suzanne que vous avez dessein de lui demander cet Ă©crin... Suzanne Au moins, Monseigneur, vous sentez... Le Comte Eh! laisse lĂ ton Monseigneur! N'ai-je pas ordonnĂ©, en passant dans ce pays-ci?... Suzanne Je trouve, Monseigneur, que cela nous amoindrit. Le Comte C'est que tu t'entends mieux en vanitĂ© qu'en vraie fiertĂ©. Quand on veut vivre dans un pays, il n'en faut point heurter les prĂ©jugĂ©s. Suzanne Eh bien! monsieur, du moins vous me donnez votre parole... Le Comte, fiĂšrement. Depuis quand suis-je mĂ©connu? Suzanne Je vais donc vous l'aller chercher. A part. Dame! Figaro m'a dit de ne rien refuser!... ScĂšne VI Le Comte, BĂ©gearss. Le Comte J'ai tranchĂ© sur le point qui paraissait l'inquiĂ©ter. BĂ©gearss Il en est un, monsieur, qui m'inquiĂšte beaucoup plus; je vous trouve un air accablĂ©... Le Comte Te le dirai-je, ami! la perte de mon fils me semblait le plus grand malheur un chagrin plus poignant fait saigner ma blessure, et rend ma vie insupportable. BĂ©gearss Si vous ne m'aviez pas interdit de vous contrarier lĂ -dessus, je vous dirais que votre second fils... Le Comte, vivement. Mon second fils! je n'en ai point! BĂ©gearss Calmez-vous, monsieur;. raisonnons. La perte d'un enfant chĂ©ri peut vous rendre injuste envers l'autre, envers votre Ă©pouse, envers vous. Est-ce donc sur des conjectures qu'il faut juger de pareils faits? Le Comte Des conjectures? Ah! j'en suis trop certain! Mon grand chagrin est de manquer de preuves. Tant que mon pauvre fils vĂ©cut, j'y mettais fort eu d'importance. HĂ©ritier de mon nom, de mes places, de ma fortune... que me faisait cet autre individu? Mon froid dĂ©dain, un nom de terre, une croix de Malte, une pension m'auraient vengĂ© de sa mĂšre et de lui! Mais conçois-tu mon dĂ©sespoir, en perdant un fils adorĂ©, de voir un Ă©tranger succĂ©der Ă ce rang, Ă ces titres; et, pour irriter ma douleur, venir tous les jours me donner le nom odieux de son pĂšre? BĂ©gearss Monsieur, je crains de vous aigrir, en cherchant Ă vous apaiser; mais la vertu de votre Ă©pouse... Le Comte, avec colĂšre. Ah! ce n'est qu'un crime de plus. Couvrir d'une vie exemplaire un affront tel que celui-lĂ ! Commander vingt ans, par ses moeurs, et la piĂ©tĂ© la plus sĂ©vĂšre, l'estime et le respect du monde, et verser sur moi seul, par cette conduite affectĂ©e, tous les torts qu'entraĂne aprĂšs soi ma prĂ©tendue bizarrerie!... Ma haine pour eux s'en augmente. BĂ©gearss Que vouliez-vous donc qu'elle fĂt, mĂÂȘme en la supposant coupable? Est-il au monde quelque faute qu'un repentir de vingt annĂ©es ne doive effacer Ă la fin? FĂ»tes-vous sans reproche vous-mĂÂȘme? Et cette jeune Florestine, que vous nommez votre pupille, et qui vous touche de plus prĂšs... Le Comte Qu'elle assure donc ma vengeance! Je dĂ©naturerai mes biens, et les lui ferai tous passer. DĂ©jĂ trois millions d'or, arrivĂ©s de la Vera-Cruz, vont lui servir de dot; et c'est Ă toi que je les donne. Aide-moi seulement Ă jeter sur ce don un voile impĂ©nĂ©trable. En acceptant mon portefeuille et te prĂ©sentant comme Ă©poux, suppose un hĂ©ritage, un legs de quelque parent Ă©loignĂ©. BĂ©gearss montrant le crĂÂȘpe de son bras. Voyez que, pour vous obĂ©ir, je me suis dĂ©jĂ mis en deuil. Le Comte Quand j'aurai l'agrĂ©ment du Roi pour l'Ă©change entamĂ© de toutes mes terres d'Espagne contre des biens dans ce pays je trouverai moyen de vous en assurer la possession Ă tous deux. BĂ©gearss, vivement. Et moi, je n'en veux point. Croyez-vous que, sur des soupçons... peut-ĂÂȘtre encore trĂšs peu fondĂ©s, j'irai me rendre le complice de la spoliation entiĂšre de l'hĂ©ritier de votre nom, d'un jeune homme plein de mĂ©rite? car il faut avouer qu'il en a... Le Comte, impatientĂ©. Plus que mon fils, voulez-vous dire? Chacun le pense comme vous; cela m'irrite contre lui!... BĂ©gearss Si votre pupille m'accepte, et si, sur vos grands biens, vous prĂ©levez pour la doter ces trois millions d'or du Mexique, je ne supporte point l'idĂ©e d'en devenir propriĂ©taire, et ne les recevrai qu'autant que le contrat en contiendra la donation que mon amour sera censĂ© lui faire. Le Comte le serre dans ses bras. Loyal et franc ami! Quel Ă©poux je donne Ă ma fille! ScĂšne VII Suzanne, Le Comte, BĂ©gearss. Suzanne Monsieur, voilĂ le coffre aux diamants. Ne le gardez pas trop longtemps, que je puisse le remettre en place avant qu'il soit jour chez madame. Le Comte Suzanne, en t'en allant, dĂ©fends qu'on entre, Ă moins que je ne sonne. Suzanne, Ă part. Avertissons Figaro de ceci. Elle sort. ScĂšne VIII Le Comte, BĂ©gearss. BĂ©gearss Quel est votre projet sur l'examen de cet Ă©crin? Le Comte tire de sa poche un bracelet entourĂ© de brillants. Je ne veux plus te dĂ©guiser tous les dĂ©tails de mon affront; Ă©coute. Un certain LĂ©on d'Astorga, qui fut jadis mon page, et que l'on nommait ChĂ©rubin... BĂ©gearss Je l'ai connu; nous servions dans le rĂ©giment dont je vous dois d'ĂÂȘtre major. Mais il y a vingt ans qu'il n'est plus. Le Comte C'est ce qui fonde mon soupçon. Il eut l'audace de l'aimer. Je la crus Ă©prise de lui, je l'Ă©loignai d'Andalousie, par un emploi dans ma lĂ©gion. Un an aprĂšs la naissance du fils... qu'un combat dĂ©testĂ© m'enlĂšve il met la main Ă ses yeux, lorsque je m'embarquai vice-roi du Mexique, au lieu de rester Ă Madrid, ou dans mon palais Ă SĂ©ville, ou d'habiter Aguas Frescas, qui est un superbe sĂ©jour, quelle retraite, ami, crois-tu que ma femme choisit? Le vilain chĂÂąteau d'Astorga, chef-lieu d'une mĂ©chante terre que j'avais achetĂ©e des parents de ce page. C'est lĂ qu'elle a voulu passer les trois annĂ©es de mon absence qu'elle y a mis au monde... aprĂšs neuf ou dix mois, que sais-je? ce misĂ©rable enfant, qui porte les traits d'un perfide! jadis, lorsqu'on m'avait peint pour le bracelet de la Comtesse, le peintre, ayant trouvĂ© ce page fort joli, dĂ©sira d'en faire une Ă©tude; c'est un des beaux tableaux de mon cabinet. BĂ©gearss Oui... il baisse les yeux Ă telles enseignes que votre Ă©pouse... Le Comte, vivement. Ne veut jamais le regarder? Eh bien! sur ce portrait j'ai fait faire celui-ci, dans ce bracelet, pareil en tout au sien, fait par le mĂÂȘme joaillier qui monta tous ses diamants; je vais le substituer Ă la place du mien. Si elle en garde le silence, vous sentez que ma preuve est faite. Sous quelque forme qu'elle en parle une explication sĂ©vĂšre Ă©claircit ma honte Ă l'instant. BĂ©gearss Si vous demandez mon avis, monsieur, je blĂÂąme un tel projet. Le Comte Pourquoi? BĂ©gearss L'honneur rĂ©pugne Ă de pareils moyens. Si quelque hasard, heureux ou malheureux, vous eĂ»t prĂ©sentĂ© certains faits, je vous excuserais de les approfondir. Mais tendre un piĂšge! des surprises! Eh! quel homme, un peu dĂ©licat, voudrait prendre un tel avantage sur son plus mortel ennemi? Le Comte Il est trop tard pour reculer le bracelet est fait, le portrait du page est dedans... BĂ©gearss prend l'Ă©crin. Monsieur, au nom du vĂ©ritable honneur... Le Comte a enlevĂ© le bracelet de l'Ă©crin. Ah! mon cher portrait, je te tiens! j'aurai du moins la joie d'en orner le bras de ma fille, cent fois plus digne de le porter! Il y substitue l'autre. BĂ©gearss feint de s'y opposer. Ils tirent chacun l'Ă©crin de leur cotĂ©; BĂ©gearss fait ouvrir adroitement le double fond, et dit avec colĂšre Ah! voilĂ la boĂte brisĂ©e! Le Comte regarde. Non; ce n'est qu'un secret que le dĂ©bat a fait ouvrir. Ce double fond renferme des papiers! BĂ©gearss, s'y opposant. Je me flatte, monsieur, que vous n'abuserez point... Le Comte, impatient. "Si quelque heureux hasard vous eĂ»t prĂ©sentĂ© certains faits, me disais-tu dans le moment, je vous excuserais de les approfondir..." Le hasard me les offre, et je vais suivre ton conseil. Il arrache les papiers. BĂ©gearss, avec chaleur. Pour l'espoir de ma vie entiĂšre, je ne voudrais pas devenir complice d'un tel attentat! Remettez ces papiers, monsieur, ou souffrez que je me retire. Il s'Ă©loigne. - Le Comte tient des papiers et lit. - BĂ©gearss le regarde en dessous, et s'applaudit secrĂštement. Le Comte, avec fureur. Je n'en veux pas apprendre davantage; renferme tous les autres; et moi, je garde celui-ci. BĂ©gearss Non; quel qu'il soit, vous avez trop d'honneur pour commettre une... Le Comte, fiĂšrement. Une?... Achevez! tranchez le mot; je puis l'entendre. BĂ©gearss, se courbant. Pardon, monsieur, mon bienfaiteur! et n'imputez qu'Ă ma douleur l'indĂ©cence de mon reproche. Le Comte Loin de t'en savoir mauvais grĂ©, je t'en estime davantage. Il rejette sur un fauteuil. Ah! perfide Rosine! car, malgrĂ© mes lĂ©gĂšretĂ©s, elle est la seule pour qui j'aie Ă©prouvĂ©... J'ai subjuguĂ© les autres femmes! Ah! je sens Ă ma rage combien cette indigne passion... Je me dĂ©teste de l'aimer! BĂšgearss Au nom de Dieu, monsieur, remettez ce fatal papier! ScĂšne IX Figaro, Le Comte, BĂ©gearss. Le Comte se lĂšve. Homme importun, que voulez-vous? Figaro J'entre, parce qu'on a sonnĂ©. Le Comte, en colĂšre. J'ai sonnĂ©? Valet curieux!... Figaro Interrogez le joaillier, qui l'a entendu comme moi. Le Comte Mon joaillier? que me veut-il? Figaro Il dit qu'il a un rendez-vous pour un bracelet qu'il a fait. BĂ©gearss, s'apercevant qu'il cherche Ă voir l'Ă©crin qui est sur la table fait ce qu'il peut pour le masquer. Le Comte Ah!... Qu'il revienne un autre jour. Figaro, avec malice. Mais pendant que monsieur a l'Ă©crin de madame ouvert, il serait peut-ĂÂȘtre Ă propos... Le Comte, en colĂšre. Monsieur l'inquisiteur, partez; et s'il vous Ă©chappe un seul mot... Figaro Un seul mot? J'aurais trop Ă dire; je ne veux rien faire Ă demi. Il examine l'Ă©crin, le papier que tient le Comte, lance un fier coup d'oeil Ă BĂ©gearss, et sort. ScĂšne X Le Comte, BĂ©gearss. Le Comte Refermons ce perfide Ă©crin. J'ai la preuve que je cherchais. Je la tiens, j'en suis dĂ©solĂ© pourquoi l'ai-je trouvĂ©e? Ah! Dieu! lisez, lisez, monsieur BĂ©gearss. BĂ©gearss, repoussant le papier. Entrer dans de pareils secrets! Dieu prĂ©serve qu'on m'en accuse! Le Comte Quelle est donc la sĂšche amitiĂ© qui repousse mes confidences? Je vois qu'on n'est compatissant que pour les maux qu'on Ă©prouva soi-mĂÂȘme. BĂ©gearss Quoi! pour refuser ce papier!... Vivement. Serrez-le donc, voici Suzanne. Il referme vite le secret de l'Ă©crin. - Le Comte met la lettre dans sa veste, sur sa poitrine. ScĂšne XI Suzanne, Le Comte, BĂ©gearss. Le Comte est accablĂ©. Suzanne accourt. L'Ă©crin, l'Ă©crin! Madame sonne. BĂ©gearss le lui donne. Suzanne, vous voyez que tout y est en bon Ă©tat. Suzanne Qu'a donc monsieur? il est troublĂ©! BĂ©gearss Ce n'est rien qu'un peu de colĂšre contre votre indiscret mari qui est entrĂ© malgrĂ© ses ordres. Suzanne, finement. Je l'avais dit pourtant de maniĂšre Ă ĂÂȘtre entendue. Elle sort. ScĂšne XII LĂ©on, Le Comte, BĂ©gearss. Le Comte veut sortir, il voit entrer LĂ©on. Voici l'autre! LĂ©on, timidement, veut embrasser le Comte. Mon pĂšre, agrĂ©ez mon respect. Avez-vous bien passĂ© la nuit? Le Comte, sĂšchement le repousse. OĂÂč fĂ»tes-vous, monsieur, hier au soir? LĂ©on Mon pĂšre, on me mena dans une assemblĂ©e estimable... Le Comte OĂÂč vous fĂtes une lecture? LĂ©on On m'invita d'y lire un essai que j'ai fait sur l'abus des voeux monastiques et le droit de s'en relever. Le Comte, amĂšrement. Les voeux des chevaliers en sont? BĂ©gearss Qui fut, dit-on, trĂšs applaudi? LĂ©on Monsieur, on a montrĂ© quelque indulgence pour mon ĂÂąge. Le Comte Donc, au lieu de vous prĂ©parer Ă partir pour vos caravanes, Ă bien mĂ©riter de votre ordre, vous vous faites des ennemis? vous allez composant, Ă©crivant sur le ton du jour!... BientĂÂŽt on ne distinguera plus un gentilhomme savant! LĂ©on, timidement. Mon pĂšre, on en distinguera mieux un ignorant d'un homme instruit, et l'homme libre de l'esclave. Le Comte Discours d'enthousiaste! On voit oĂÂč vous en voulez venir. Il veut sortir. LĂ©on Mon pĂšre!... Le Comte, dĂ©daigneux. Laissez Ă l'artisan des villes ces locutions triviales. Les gens de notre Ă©tat ont un langage plus Ă©levĂ©. Qui est-ce qui dit mon pĂšre, Ă la Cour, monsieur? Appelez-moi monsieur! Vous sentez l'homme du commun! Son pĂšre!... Il sort; LĂ©on le suit en regardant BĂ©gearss qui lui fait un geste de compassion. Allons, monsieur BĂ©gearss, allons! Acte deuxiĂšme Le thĂ©ĂÂątre reprĂ©sente la bibliothĂšque du Comte. ScĂšne I Le Comte. Puisqu'enfin je suis seul, lisons cet Ă©tonnant Ă©crit, qu'un hasard presque inconcevable a fait tomber entre mes mains Il tire de son sein la lettre de l'Ă©crin, et la lit en pesant sur tous les mots. "Malheureux insensĂ©! notre sort est rempli. La surprise nocturne que vous avez osĂ© me faire, dans un chĂÂąteau oĂÂč vous fĂ»tes Ă©levĂ©, dont vous connaissiez les dĂ©tours; la violence 'qui s'en est suivie, enfin votre crime, - le mien... il s'arrĂÂȘte le mien reçoit sa juste punition. Aujourd'hui, jour de saint LĂ©on, patron de ce lieu et le vĂÂŽtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon dĂ©sespoir. GrĂÂące Ă de tristes prĂ©cautions, l'honneur est sauf; mais la vertu n'est plus. - CondamnĂ©e dĂ©sormais Ă des larmes intarissables, je sens qu'elles n'effaceront point un crime... dont l'effet reste subsistant. Ne me voyez jamais; c'est l'ordre irrĂ©vocable de la misĂ©rable Rosine... qui n'ose plus signer un autre nom." Il porte ses mains avec la lettre Ă son front et se promĂšne.... Qui n'ose plus signer un autre nom!... Ah! Rosine! oĂÂč est le temps?... Mais tu t'es avilie!... Il s'agite. Ce n'est point lĂ l'Ă©crit d'une mĂ©chante femme! Un misĂ©rable corrupteur... Mais voyons la rĂ©ponse Ă©crite sur la mĂÂȘme lettre. Il lit. "Puisque je ne dois plus vous voir, la vie m'est odieuse et je vais la perdre avec joie dans la vive attaque d'un fort oĂÂč je ne suis point commandĂ©. "Je vous renvoie tous vos reproches, le portrait que j'ai fait de vous, et la boucle de cheveux que je vous dĂ©robai. L'ami qui vous rendra ceci quand je ne serai plus est sĂ»r. Il a vu tout mon dĂ©sespoir. Si la mort d'un infortunĂ© vous inspirait un reste de pitiĂ©, parmi les noms qu'on va donner Ă l'hĂ©ritier... d'un autre plus heureux!... puis-je espĂ©rer que le nom de LĂ©on vous rappellera quelquefois le souvenir du malheureux... qui expire en vous adorant, et signe pour la derniĂšre fois, ChĂ©rubin-LĂ©on d'Astorga..." Puis, en caractĂšres sanglants!... "BlessĂ© Ă mort, je rouvre cette lettre, et vous Ă©cris avec mon sang ce douloureux, cet Ă©ternel adieu. Souvenez-vous..." Le reste est effacĂ© par des larmes... Il s'agite. Ce n'est point lĂ non plus l'Ă©crit d'un mĂ©chant homme! Un malheureux Ă©garement... Il s'assied et reste absorbĂ©. Je me sens dĂ©chirĂ©! ScĂšne II BĂ©gearss, Le Comte. BĂ©gearss, en entrant, s'arrĂÂȘte, le regarde, et se mord le doigt avec mystĂšre. Le Comte Ah! mon cher ami, venez donc!... Vous me voyez dans un accablement... BĂ©gearss TrĂšs effrayant, monsieur, je n'osais avancer. Le Comte Je viens de lire cet Ă©crit. Non, ce n'Ă©taient point lĂ des ingrats ni des monstres, mais de malheureux insensĂ©s, comme ils se le disent eux-mĂÂȘmes... BĂ©gearss Je l'ai prĂ©sumĂ© comme vous. Le Comte se lĂšve et se promĂšne. Les misĂ©rables femmes, en se laissant sĂ©duire, ne savent guĂšre les maux qu'elles apprĂÂȘtent! Elles vont, elles vont... les affronts s'accumulent... et le monde injuste et lĂ©ger accuse un pĂšre qui se tait, qui dĂ©vore en secret ses peines! On le taxe de duretĂ© pour les sentiments qu'il refuse au fruit d'un coupable adultĂšre!... Nos dĂ©sordres, Ă nous, ne leur enlĂšvent presque rien; ne peuvent, du moins, leur ravir la certitude d'ĂÂȘtre mĂšres, ce bien inestimable de la maternitĂ©! tandis que leur moindre caprice, un goĂ»t, une Ă©tourderie lĂ©gĂšre, dĂ©truit dans l'homme le bonheur... le bonheur de toute sa vie, la sĂ©curitĂ© d'ĂÂȘtre pĂšre. - Ah! ce n'est point lĂ©gĂšrement qu'on a donnĂ© tant d'importance Ă la fidĂ©litĂ© des femmes! Le bien, le mal de la sociĂ©tĂ©, sont attachĂ©s Ă leur conduite; le paradis ou l'enfer des familles dĂ©pend Ă tout jamais de l'opinion qu'elles ont donnĂ©e d'elles. BĂ©gearss Calmez-vous; voici votre fille. ScĂšne III Florestine, Le Comte, BĂ©gearss. Florestine, un bouquet au cĂÂŽtĂ©. On vous disait, monsieur, si occupĂ©, que je n'ai pas osĂ© vous fatiguer de mon respect. Le Comte OccupĂ© de toi, mon enfant! ma fille! Ah! je me plais Ă te donner ce nom; car j'ai pris soin de ton enfance. Le mari de ta mĂšre Ă©tait fort dĂ©rangĂ©; en mourant il ne laissa rien. Elle-mĂÂȘme, en quittant la vie, t'a recommandĂ©e Ă mes soins. Je lui engageai ma parole; je la tiendrai, ma fille, en te donnant un noble Ă©poux. Je te parle avec libertĂ© devant cet ami qui nous aime. Regarde autour de toi; choisis! Ne trouves-tu personne ici digne de possĂ©der ton coeur? Florestine, lui baisant la main. Vous l'avez tout entier, monsieur; et si je me vois consultĂ©e, je rĂ©pondrai que mon bonheur est de ne point changer d'Ă©tat. - Monsieur votre fils en se mariant... car, sans doute, il ne restera plus dans l'ordre de Malte aujourd'hui, monsieur votre fils, en se mariant, peut se sĂ©parer de son pĂšre. Ah! permettez que ce soit moi qui prenne soin de vos vieux jours! C'est un devoir, monsieur, que je remplirai avec joie. Le Comte Laisse, laisse monsieur, rĂ©servĂ© pour l'indiffĂ©rence; on ne sera point Ă©tonnĂ© qu'une enfant si reconnaissante me donne un nom plus doux! Appelle-moi ton pĂšre. BĂ©gearss Elle est digne, en honneur, de votre confidence entiĂšre... Mademoiselle, embrassez ce bon, ce tendre protecteur. Vous lui devez plus que vous ne pensez. Sa tutelle n'est qu'un devoir. Il fut l'ami... l'ami secret de votre mĂšre... et, pour tout dire en un seul mot... ScĂšne IV Figaro, La Comtesse, Le Comte, Florestine, BĂ©gearss. La Comtesse est en robe Ă peigner. Figaro, annonçant. Madame la Comtesse. BĂ©gearss jette un regard furieux sur Figaro. A part. Au diable le faquin La Comtesse, au Comte. Figaro m'avait dit que vous vous trouviez mal; effrayĂ©e, j'accours, et je vois... Le Comte ... Que cet homme officieux vous a fait encore un mensonge. Figaro Monsieur, quand vous ĂÂȘtes passĂ©, vous aviez un air si dĂ©fait... Heureusement il n'en est rien. BĂ©gearss l'examine. La Comtesse Bonjour, monsieur BĂ©gearss... Te voilĂ , Florestine; je te trouve radieuse... Mais voyez donc comme elle est fraĂche et belle! Si le ciel m'eĂ»t donnĂ© une fille, je l'aurais voulue comme toi de figure et de caractĂšre... Il faudra bien que tu m'en tiennes lieu. Le veux-tu, Florestine? Florestine, lui baisant la main. Ah! madame! La Comtesse Qui t'a donc fleurie si matin? Florestine, avec joie. Madame, on ne m'a point fleurie; c'est moi qui ai fait des bouquets. N'est-ce pas aujourd'hui saint LĂ©on? La Comtesse Charmante enfant, qui n'oublie rien! Elle la baise au front. - Le Comte fait an geste terrible; BĂ©gearss le retient. La Comtesse, Ă Figaro. Puisque nous voilĂ rassemblĂ©s, avertissez mon fils que nous prendrons ici le chocolat. Florestine Pendant qu'ils vont le prĂ©parer, mon parrain, faites-nous donc voir ce beau buste de Washington, que vous avez, dit-on, chez vous. Le Comte J'ignore qui me l'envoie je ne l'ai demandĂ© Ă personne; et, sans doute, il est pour LĂ©on. Il est beau; je l'ai lĂ dans mon cabinet venez tous. BĂ©gearss, en sortant le dernier, se retourne deux fois pour examiner Figaro qui le regarde de mĂÂȘme. Ils ont l'air de se menacer sans parier. ScĂšne V Figaro, seul, rangeant la table et les tasses pour le dĂ©jeuner. Serpent ou basilic! tu peux me mesurer, me lancer des regards affreux! Ce sont les miens qui te tueront!... Mais oĂÂč reçoit-il ses paquets? Il ne vient rien pour lui de la poste Ă l'hĂÂŽtel! Est-il montĂ© seul de l'enfer?... Quelque autre diable correspond!... Et moi, je ne puis dĂ©couvrir... ScĂšne VI Figaro, Suzanne. Suzanne, accourt, regarde, et dit trĂšs vivement Ă l'oreille de Figaro. C'est lui que la pupille Ă©pouse. - Il a la promesse du Comte. Il guĂ©rira LĂ©on de son amour. - Il dĂ©tachera Florestine. - Il fera consentir madame. - Il te chasse de la maison. - Il cloĂtre ma maĂtresse en attendant que l'on divorce. - Fait dĂ©shĂ©riter le jeune homme, et me rend maĂtresse de tout. VoilĂ les nouvelles du jour. Elle s'enfuit. ScĂšne VII Figaro, seul. Non, s'il vous plaĂt, monsieur le Major! nous compterons ensemble auparavant. Vous apprendrez de moi qu'il n'y a que les sots qui triomphent. GrĂÂące Ă l'Ariane Suzon, je tiens le fil du labyrinthe, et le minotaure est cernĂ©... Je t'envelopperai dans tes piĂšges et te dĂ©masquerai si bien!... Mais quel intĂ©rĂÂȘt assez pressant lui fait faire une telle Ă©cole, desserre les dents d'un tel homme? S'en croirait-il assez sĂ»r pour?... La sottise et la vanitĂ© sont compagnes insĂ©parables! Mon politique babille et se confie! il a perdu le coup. Y a faute. ScĂšne VIII Guillaume, Figaro. Guillaume, avec une lettre. MeissieĂÂŻr BĂ©gearss! ChĂ© vois qu'il est pas pour ici? Figaro, rangeant le dĂ©jeuner. Tu peux l'attendre, il va rentrer. Guillaume, reculant. Meingoth! ch'attendrai pas meissieĂÂŻr en gombagnie tĂ© vous! Mon maĂtre il voudrait point, jĂ© chure. Figaro Il te le dĂ©fend? Eh bien! donne la lettre; je vais la lui remettre en rentrant. Guillaume, reculant. Pas plis Ă vous tĂ© lettres! O tiaple! il voudra pientĂÂŽt me jasser. Figaro, Ă part. Il faut pomper le sot. - Haut. Tu... viens de la poste, je crois? Guillaume Tiable! non, chĂ© viens pas. Figaro C'est sans doute quelque missive du gentleman... du parent irlandais dont il vient d'hĂ©riter? Tu sais cela, toi, bon Guillaume? Guillaume, riant niaisement. Lettre d'un qu'il est mort, meissieĂÂŻr! Non, chĂ© vous prie! Celui-lĂ , chĂ© crois pas, partiĂ©! Ce sera pien plitĂÂŽt d'un autre. Peut-ĂÂȘtre il viendrait d'un qu'ils sont lĂ ... pas contents, dehors. Figaro D'un de nos mĂ©contents, dis-tu? Guillaume Oui, mais ch'assure pas... Figaro, Ă part. Cela se peut; il est fourrĂ© dans tout. A Guillaume. On pourrait voir au timbre, et s'assurer... Guillaume Ch'assure pas; pourquoi? Les lettres il vient chez M. O'Connor; et puis, je sais pas quoi c'est timprĂ©, moi. Figaro, vivement. O'Connor! banquier irlandais? Guillaume Mon foi! Figaro, revient Ă lui, froidement. Ici prĂšs, derriĂšre l'hĂÂŽtel? Guillaume Ein fort choli maison, partiĂ©! tes chens trĂšs... beaucoup gracieux, si j'osse dire. Il se retire Ă l'Ă©cart. Figaro, Ă lui-mĂÂȘme. O fortune! ĂÂŽ bonheur! Guillaume, revenant. Parle pas, fous, de s'tĂ© banquier, pour personne, entende-fous? ch'aurais pas dĂ»... TertaĂÂŻfle! Il frappe du pied. Figaro Va, je n'ai garde; ne crains rien. Guillaume Mon maĂtre, il dit, meissieĂÂŻr... vous ĂÂąfre tout l'esprit, et moi pas... Alors c'est chuste... Mais peut-ĂÂȘtre chĂ© suis mĂ©content d'avoir dit Ă fous. Figaro Et pourquoi? Guillaume ChĂ© sais pas. - La valet trahir, voye-fous... L'ĂÂȘtre un pĂ©chĂ© qu'il est parpare, vil, et mĂÂȘme... puĂ©ril. Figaro Il est vrai; mais tu n'as rien dit. Guillaume, dĂ©solĂ©. Mon ThiĂ©! mon ThiĂ©! chĂ© sais pas, lĂ ... quoi tire... ou non... Il se retire en soupirant. Ah! Il regarde niaisement les livres de la bibliothĂšque. Figaro, Ă part. Quelle dĂ©couverte! Hasard! je te salue. Il cherche ses tablettes. Il faut pourtant que je dĂ©mĂÂȘle comment un homme si caverneux s'arrange d'un tel imbĂ©cile... De mĂÂȘme que les brigands redoutent les rĂ©verbĂšres... Oui, mais un sot est un falot; la lumiĂšre passe Ă travers. Il dit en Ă©crivant sur ses tablettes O'Connor, banquier irlandais. C'est lĂ qu'il faut que j'Ă©tablisse mon noir comitĂ© de recherches. Ce moyen-lĂ n'est pas trop constitutionnel; ma! Perdio! l'utilitĂ©! Et puis, j'ai mes exemples! Il Ă©crit. Quatre ou cinq louis d'or au valet chargĂ© du dĂ©tail de la poste, pour ouvrir dans un cabaret chaque lettre de l'Ă©criture d'HonorĂ©-Tartuffe BĂ©gearss... Monsieur le tartuffe honorĂ©! vous cesserez enfin de l'ĂÂȘtre! Un dieu m'a mis sur votre piste. Il serre ses tablettes. Hasard! dieu mĂ©connu! les anciens t'appelaient Destin! nos gens te donnent un autre nom. ScĂšne IX La Comtesse, Le Comte, Florestine, BĂ©gearss, Figaro, Guillaume. BĂ©gearss aperçoit Guillaume, et dit avec humeur, en lui prenant la lettre Ne peux-tu pas me les garder chez moi? Guillaume ChĂ© crois celui-ci, c'est tout comme... Il sort. La Comtesse, au Comte. Monsieur, ce buste est un trĂšs beau morceau votre fils l'a-t-il vu? BĂ©gearss, la lettre ouverte. Ah! lettre de Madrid! du secrĂ©taire du ministre! il y a un mot qui vous regarde. Il lit. "Dites au Comte Almaviva que le courrier qui part demain lui porte l'agrĂ©ment du Roi pour l'Ă©change de toutes ses terres." Figaro Ă©coute, et se fait, sans parler, un signe d'intelligence. La Comtesse Figaro, dis donc Ă mon fils que nous dĂ©jeunons tous ici. Figaro Madame, je vais l'avertir. Il sort. ScĂšne X La Comtesse, Le Comte, Florestine, BĂ©gearss. Le Comte, Ă BĂ©gearss. J'en veux donner avis sur-le-champ Ă mon acquĂ©reur. Envoyez-moi du thĂ© dans mon arriĂšre-cabinet. Florestine Bon papa, c'est moi qui vous le porterai. Le Comte, bas Ă Florestine. Pense beaucoup au peu que je t'ai dit. Il la baise au front et sort. ScĂšne XI LĂ©on, La Comtesse, Florestine, BĂ©gearss. LĂ©on, avec chagrin. Mon pĂšre s'en va quand j'arrive! il m'a traitĂ© avec une rigueur... La Comtesse, sĂ©vĂšrement. Mon fils, quels discours tenez-vous? Dois-je me voir toujours froissĂ©e par l'injustice de chacun? Votre pĂšre a besoin d'Ă©crire Ă la personne qui Ă©change ses terres Florestine, gaiement. Vous regrettez votre papa? nous aussi nous le regrettons. Cependant, comme il sait que c'est aujourd'hui votre fĂÂȘte, il m'a chargĂ©e, monsieur, de vous prĂ©senter ce bouquet. Elle lui fait une grande rĂ©vĂ©rence. LĂ©on, pendant qu'elle l'ajuste Ă sa boutonniĂšre. Il n'en pouvait tuer quelqu'un qui me rendĂt ses bontĂ©s aussi chĂšres... Il l'embrasse. Florestine, se dĂ©battant. Voyez, madame, si jamais on peut badiner avec lui, sans qu'il abuse au mĂÂȘme instant... La Comtesse, souriant. Mon enfant, le jour de sa fĂÂȘte, on peut lui passer quelque chose. Florestine, baissant les yeux. Pour l'en punir, madame, faites-lui lire le discours qui fut, dit-on, tant applaudi hier Ă l'assemblĂ©e. LĂ©on Si maman juge que j'ai tort, j'irai chercher ma pĂ©nitence. Florestine Ah! madame, ordonnez-le-lui. La Comtesse Apportez-nous, mon fils, votre discours moi je vais prendre quelque ouvrage, pour l'Ă©couter avec plus d'attention. Florestine, gaiement. ObstinĂ©! c'est bien fait; et je l'entendrai malgrĂ© vous. LĂ©on, tendrement. MalgrĂ© moi, quand vous l'ordonnez? Ah! Florestine, j'en dĂ©fie! La Comtesse et LĂ©on sortent chacun de leur cĂÂŽtĂ©. ScĂšne XII Florestine, BĂ©gearss. BĂ©gearss, bas. Eh bien! mademoiselle, avez-vous devinĂ© l'Ă©poux qu'on vous destine? Florestine, avec joie. Mon cher monsieur BĂ©gearss, vous ĂÂȘtes Ă tel point notre ami, que je me permettrai de penser tout haut avec vous. Sur qui puis-je porter les yeux? Mon parrain m'a bien dit Regarde autour de toi, choisis. Je vois l'excĂšs de sa bontĂ© ce ne peut ĂÂȘtre que LĂ©on. Mais moi, sans biens, dois-je abuser?... BĂ©gearss, d'un ton terrible. Qui? Leon! son fils? votre frĂšre? Florestine, avec un cri douloureux. Ah! monsieur!... BĂ©gearss Ne vous a-t-il pas dit Appelle-moi ton pĂšre? RĂ©veillez-vous, ma chĂšre enfant! Ă©cartez un songe trompeur, qui pouvait devenir funeste. Florestine Ah! oui; funeste pour tous deux! BĂ©gearss Vous sentez qu'un pareil secret doit rester cachĂ© dans votre ĂÂąme. Il sort en la regardant. ScĂšne XIII Florestine, seule en pleurant. O ciel! il est mon frĂšre et j'ose avoir pour lui... Quel coup d'une lumiĂšre affreuse! et dans un tel sommeil, qu'il est cruel de s'Ă©veiller! Elle tombe accablĂ©e sur un siĂšge. ScĂšne XIV LĂ©on, un papier Ă la main, Florestine. LĂ©on, joyeux, Ă part. Maman n'est pas rentrĂ©e, et monsieur BĂ©gearss est sorti profitons d'un moment heureux. - Florestine, vous ĂÂȘtes ce matin, et toujours, d'une beautĂ© parfaite; mais vous avez un air de joie, un ton aimable de gaietĂ© qui ranime mes espĂ©rances. Florestine, au dĂ©sespoir. Ah! LĂ©on! Elle retombe. LĂ©on Ciel! vos yeux noyĂ©s de larmes et votre visage dĂ©fait m'annoncent quelque grand malheur! Florestine Des malheurs! Ah! LĂ©on, il n'y en a plus que pour moi. LĂ©on Floresta, ne m'aimez-vous plus? lorsque mes sentiments pour vous... Florestine, d'un ton absolu. Vos sentiments? ne m'en parlez jamais. LĂ©on Quoi? l'amour le plus pur... Florestine, au dĂ©sespoir. Finissez ces cruels discours, ou je vais vous fuir Ă l'instant. LĂ©on Grand Dieu! qu'est-il donc arrivĂ©? Monsieur BĂ©gearss vous a parlĂ©, mademoiselle. Je veux savoir ce que vous a dit ce BĂ©gearss. ScĂšne XV La Comtesse, Florestine, LĂ©on. LĂ©on, continue. Maman, venez Ă mon secours! Vous me voyez au dĂ©sespoir Florestine ne m'aime plus! Florestine, pleurant. Moi, madame, ne plus l'aimer! Mon parrain, vous et lui, c'est le cri de ma vie entiĂšre. La Comtesse Mon enfant, je n'en doute pas. Ton coeur excellent m'en rĂ©pond. Mais de quoi donc s'afflige-t-il? LĂ©on Maman, vous approuvez l'ardent amour que j'ai pour elle? Florestine, se jetant dans les bras de la Comtesse. Ordonnez-lui donc de se taire! En pleurant. Il me fait mourir de douleur! La Comtesse Mon enfant, je ne t'entends point. Ma surprise Ă©gale la sienne... Elle frissonne entre mes bras! Qu'a-t-il donc fait qui puisse te dĂ©plaire? Florestine, se renversant sur elle. Madame, il ne me dĂ©plaĂt point. Je l'aime et le respecte Ă l'Ă©gal de mon frĂšre; mais qu'il n'exige rien de plus. LĂ©on Vous l'entendez, maman! Cruelle fille, expliquez-vous. Florestine Laissez-moi! laissez-moi! ou vous me causerez la mort. ScĂšne XVI La Comtesse, Florestine, LĂ©on, Figaro arrivant avec l'Ă©quipage du thĂ©; Suzanne, de l'autre cĂÂŽtĂ©, avec un mĂ©tier de tapisserie. La Comtesse Remporte tout, Suzanne, il n'est pas plus question de dĂ©jeuner que de lecture. Vous, Figaro, servez du thĂ© Ă votre maĂtre; il Ă©crit dans son cabinet. Et toi, ma Florestine, viens dans le mien rassurer ton amie. Mes chers enfants, je vous porte en mon coeur! - Pourquoi l'affligez-vous l'un aprĂšs l'autre sans pitiĂ©? Il y a ici des choses qu'il m'est important d'Ă©claircir. Elles sortent. ScĂšne XVII Suzanne, Figaro, LĂ©on. Suzanne, Ă Figaro. Je ne sais pas de quoi il est question; mais je parierais bien que c'est lĂ du BĂ©gearss tout pur. Je veux absolument prĂ©munir ma maĂtresse. Figaro Attends que je sois plus instruit nous nous concerterons ce soir. Oh! j'ai fait une dĂ©couverte... Suzanne Et tu me la diras? Elle sort. ScĂšne XVIII Figaro, LĂ©on. LĂ©on, dĂ©solĂ©. Ah! dieux! Figaro De quoi s'agit-il donc, monsieur? LĂ©on HĂ©las! je l'ignore moi-mĂÂȘme. Jamais je n'avais vu Floresta de si belle humeur, et je savais qu'elle avait eu un entretien avec mon pĂšre. Je la laisse un instant avec monsieur BĂ©gearss; je la trouve seule, en rentrant, les yeux remplis de larmes, et m'ordonnant de la fuir pour toujours. Que peut-il donc lui avoir dit? Figaro Si je ne craignais pas votre vivacitĂ©, je vous instruirais sur des points qu'il vous importe de savoir. Mais lorsque nous avons besoin d'une grande prudence, il ne faudrait qu'un mot de vous, trop vif, pour me faire perdre le fruit de dix annĂ©es d'observations. LĂ©on Ah! s'il ne faut qu'ĂÂȘtre prudent... Que crois-tu donc qu'il lui ait dit? Figaro Qu'elle doit accepter HonorĂ© BĂ©gearss pour Ă©poux; que c'est une affaire arrangĂ©e entre monsieur votre pĂšre et lui. LĂ©on Entre mon pĂšre et lui! Le traĂtre aura ma vie. Figaro Avec ces façons-lĂ , monsieur, le traĂtre n'aura pas votre vie; mais il aura votre maĂtresse, et votre fortune avec elle. LĂ©on Eh bien! ami, pardon; apprends-moi ce que je dois faire. Figaro Deviner l'Ă©nigme du sphinx, ou bien en ĂÂȘtre dĂ©vorĂ©. En d'autres termes, il faut vous modĂ©rer, le laisser dire, et dissimuler avec lui. LĂ©on, avec fureur. Me modĂ©rer!... Oui, je me modĂ©rerai. Mais j'ai la rage dans le coeur! - M'enlever Florestine! Ah! le voici qui vient je vais m'expliquer... froidement. Figaro Tout est perdu si vous vous Ă©chappez. ScĂšne XIX BĂ©gearss, Figaro, LĂ©on. LĂ©on, se contenant mal. Monsieur, monsieur, un mot. Il importe Ă votre repos que vous rĂ©pondiez sans dĂ©tour. - Florestine est au dĂ©sespoir qu'avez-vous dit Ă Florestine? BĂ©gearss, d'un ton glacĂ©. Et qui vous dit que je lui aie parlĂ©? Ne peut-elle avoir des chagrins, sans que j'y sois pour quelque chose? LĂ©on, vivement. Point d'Ă©vasions, monsieur. Elle Ă©tait d'une humeur charmante en sortant d'avec vous, on la voit fondre en larmes. De quelque part qu'elle en reçoive, mon coeur partage ses chagrins. Vous m'en direz la cause, ou bien vous m'en ferez raison. BĂ©gearss Avec un ton moins absolu, on peut tout obtenir de moi; je ne sais point cĂ©der Ă des menaces. LĂ©on, furieux. Eh bien! perfide, dĂ©fends-toi. J'aurai ta vie, ou tu auras la mienne! Il met la main Ă son Ă©pĂ©e. Figaro les arrĂÂȘte. Monsieur BĂ©gearss! au fils de votre ami! dans sa maison oĂÂč vous logez! BĂ©gearss, se contenant. Je sais trop ce que je me dois... Je vais m'expliquer avec lui; mais je n'y veux point de tĂ©moins. Sortez, et laissez-nous ensemble. LĂ©on Va, mon cher Figaro tu vois qu'il ne peut m'Ă©chapper. Ne lui laissons aucune excuse. Figaro Moi, je cours avertir son pĂšre. Il sort. ScĂšne XX LĂ©on, BĂ©gearss. LĂ©on, lui barrant la porte. Il vous convient peut-ĂÂȘtre mieux de vous battre que de parler. Vous ĂÂȘtes le maĂtre du choix; mais je n'admettrai rien d'Ă©tranger Ă ces deux moyens. BĂ©gearss, froidement. LĂ©on! un homme d'honneur n'Ă©gorge pas le fils de son ami... Devais-je m'expliquer devant un malheureux valet, insolent d'ĂÂȘtre parvenu Ă presque gouverner son maĂtre? LĂ©on, s'asseyant. Au fait, monsieur, je vous attends... BĂ©gearss Oh! que vous allez regretter une fureur dĂ©raisonnable! LĂ©on C'est ce que nous verrons bientĂÂŽt. BĂ©gearss, affectant une dignitĂ© froide. LĂ©on! vous aimez Florestine; il y a longtemps que je le vois... Tant que votre frĂšre a vĂ©cu, je n'ai pas cru devoir servir un amour malheureux qui ne vous conduisait Ă rien. Mais depuis qu'un funeste duel, disposant de sa vie, vous a mis en sa place, j'ai eu l'orgueil de croire mon influence capable de disposer monsieur votre pĂšre Ă vous unir Ă celle que vous aimez. Je l'attaquais de toutes les maniĂšres, une rĂ©sistance invincible a repoussĂ© tous mes efforts. DĂ©solĂ© de le voir rejeter un projet qui me paraissait fait pour le bonheur de tous... Pardon, mon jeune ami, je vais vous affliger; mais il le faut en ce moment, pour vous sauver d'un malheur Ă©ternel. Rappelez bien votre raison, vous allez en avoir besoin. - J'ai forcĂ© votre pĂšre Ă rompre le silence, Ă me confier son secret. O mon ami! m'a dit enfin le Comte, je connais l'amour de mon fils; mais puis-je lui donner Florestine pour femme? Celle que l'on croit ma pupille... elle est ma fille, elle est sa soeur. LĂ©on, reculant vivement. Florestine?... Ma soeur?... BĂ©gearss VoilĂ le mot qu'un sĂ©vĂšre devoir... Ah! je vous le dois Ă tous deux mon silence pouvait vous perdre. Eh bien! LĂ©on, voulez-vous vous battre avec moi? LĂ©on Mon gĂ©nĂ©reux ami! Je ne suis qu'un ingrat, un monstre! oubliez ma rage insensĂ©e... BĂ©gearss, bien tartuffe. Mais c'est Ă condition que ce fatal secret ne sortira jamais. DĂ©voiler la honte d'un pĂšre, ce serait un crime... LĂ©on, se jetant dans ses bras. Ah! jamais. ScĂšne XXI Le Comte, Figaro, LĂ©on, BĂ©gearss. Figaro, accourant. Les voilĂ , les voilĂ ! Le Comte Dans les bras l'un de l'autre! Eh! vous perdez l'esprit? Figaro, stupĂ©fait. Ma foi, monsieur... on le perdrait Ă moins. Le Comte, Ă Figaro. M'expliquerez-vous cette Ă©nigme? LĂ©on, tremblant. Ah! c'est Ă moi, mon pĂšre, Ă l'expliquer. Pardon! je dois mourir de honte! Sur un sujet assez frivole, je m'Ă©tais... beaucoup oubliĂ©. Son caractĂšre gĂ©nĂ©reux, non seulement me rend Ă la raison, mais il a la bontĂ© d'excuser ma folie en me la pardonnant. Je lui en rendais grĂÂące lorsque vous nous avez surpris. Le Comte Ce n'est pas la centiĂšme fois que vous lui devez de la reconnaissance. Au fait, nous lui en devons tous. Figaro sans parler se donne un coup de poing au front, BĂ©gearss l'examine et sourit. Le Comte, Ă son fils. Retirez-vous, monsieur. Votre aveu seul enchaĂne ma colĂšre. BĂ©gearss Ah! monsieur, tout est oubliĂ©. Le Comte, Ă LĂ©on. Allez vous repentir d'avoir manquĂ© Ă mon ami, au vĂÂŽtre, Ă l'homme le plus vertueux... LĂ©on, s'en allant. Je suis au dĂ©sespoir! Figaro, Ă part, avec colĂšre. C'est une lĂ©gion de diables enfermĂ©s dans un seul pourpoint. ScĂšne XXII Le Comte, BĂ©gearss, Figaro. Le Comte, Ă BĂ©gearss, Ă part. Mon ami, finissons ce que nous avons commencĂ©. A Figaro. Vous, monsieur l'Ă©tourdi, avec vos belles conjectures, donnez-moi les trois millions d'or que vous m'avez vous-mĂÂȘme apportĂ©s de Cadix, en soixante effets au porteur. Je vous avais chargĂ© de les numĂ©roter. Figaro Je l'ai fait. Le Comte Remettez-m'en le portefeuille. Figaro De quoi? de ces trois millions d'or? Le Comte Sans doute. Eh bien! qui vous arrĂÂȘte? Figaro, humblement. Moi, monsieur?... Je ne les ai plus. BĂ©gearss Comment, vous ne les avez plus? Figaro, fiĂšrement. Non, monsieur. BĂ©gearss, vivement. Qu'en avez-vous fait? Figaro Lorsque mon maĂtre m'interroge, je lui dois compte de mes actions mais Ă vous, je ne vous dois rien. Le Comte, en colĂšre. Insolent! qu'en avez-vous fait? Figaro, froidement. Je les ai portĂ©s en dĂ©pĂÂŽt chez monsieur Fal, votre notaire. BĂ©gearss Mais de l'avis de qui? Figaro, fiĂšrement. Du mien; et j'avoue que j'en suis toujours. BĂ©gearss Je vais gager qu'il n'en est rien. Figaro Comme j'ai sa reconnaissance, vous courez risque de perdre la gageure. BĂ©gearss Ou s'il les a reçus, c'est pour agioter. Ces gens-lĂ partagent ensemble. Figaro Vous pourriez un peu mieux parler d'un homme qui vous a obligĂ©. BĂ©gearss Je ne lui dois rien. Figaro Je le crois; quand on a hĂ©ritĂ© de quarante mille doublons de huit... Le Comte, se fĂÂąchant. Avez-vous donc quelque remarque Ă nous faire aussi lĂ -dessus? Figaro Qui? moi, monsieur? J'en doute d'autant moins, que j'ai beaucoup connu le parent dont monsieur hĂ©rite. Un jeune homme assez libertin, joueur, prodigue et querelleur, sans frein, sans moeurs, sans caractĂšre, et n'ayant rien Ă lui, pas mĂÂȘme les vices qui l'ont tuĂ©; qu'un combat des plus malheureux... Le Comte frappe du pied. BĂ©gearss, en colĂšre. Enfin, nous direz-vous pourquoi vous avez dĂ©posĂ© cet or? Figaro Ma foi, monsieur, c'est pour n'en ĂÂȘtre plus chargĂ©. Ne pouvait-on pas le voler? Que sait-on? Il s'introduit souvent de grands fripons dans les maisons... BĂ©gearss, en colĂšre. Pourtant monsieur veut qu'on le rende. Figaro Monsieur peut l'envoyer chercher. BĂ©gearss Mais ce notaire s'en dessaisira-t-il, s'il ne voit son rĂ©cĂ©pissĂ©? Figaro Je vais le remettre Ă monsieur; et quand j'aurai fait mon devoir, s'il en arrive quelque mal, il ne pourra s'en prendre Ă moi. Le Comte Je l'attends dans mon cabinet. Figaro, au Comte. Je vous prĂ©viens que monsieur Fal ne les rendra que sur votre reçu; je le lui ai recommandĂ©. Il sort. ScĂšne XXIII Le Comte, BĂ©gearss. BĂ©gearss, en colĂšre. Comblez cette canaille, et voyez ce qu'elle devient! En vĂ©ritĂ©, monsieur, mon amitiĂ© me force Ă vous le dire vous devenez trop confiant; il a devinĂ© nos secrets. De valet, barbier, chirurgien, vous l'avez Ă©tabli trĂ©sorier, secrĂ©taire; une espĂšce de factotum. Il est notoire que ce monsieur fait bien ses affaires avec vous. Le Comte Sur la fidĂ©litĂ©, je n'ai rien Ă lui reprocher, mais il est vrai qu'il est d'une arrogance... BĂ©gearss Vous avez un moyen de vous en dĂ©livrer en le rĂ©compensant. Le Comte Je le voudrais souvent. BĂ©gearss, confidentiellement. En envoyant le chevalier Ă Malte, sans doute vous voulez qu'un homme affidĂ© le surveille? Celui-ci, trop flattĂ© d'un aussi honorable emploi, ne peut manquer de l'accepter vous en voilĂ dĂ©fait pour bien du temps. Le Comte Vous avez raison, mon ami. Aussi bien m'a-t-on dit qu'il vit trĂšs mal avec sa femme. Il sort. ScĂšne XXIV BĂ©gearss, seul. Encore un pas de fait!... Ah! noble espion, la fleur des drĂÂŽles, qui faites ici le bon valet et voulez nous souffler la dot, en nous donnant des noms de comĂ©die! GrĂÂące aux soins d'HonorĂ© Tartuffe, vous irez partager le malaise des caravanes, et finirez vos inspections sur nous. Acte troisiĂšme Le thĂ©ĂÂątre reprĂ©sente le cabinet de la Comtesse, ornĂ© de fleurs de toutes parts. ScĂšne I La Comtesse, Suzanne. La Comtesse Je n'ai pu rien tirer de cette enfant. - Ce sont des pleurs, des Ă©touffements!... Elle se croit des torts envers moi, m'a demandĂ© cent fois pardon; elle veut aller au couvent. Si je rapproche tout ceci de sa conduite envers mon fils, je prĂ©sume qu'elle se reproche d'avoir Ă©coutĂ© son amour, entretenu ses espĂ©rances, ne se croyant pas un parti assez considĂ©rable pour lui. - Charmante dĂ©licatesse! excĂšs d'une aimable vertu! Monsieur BĂ©gearss apparemment lui en a touchĂ© quelques mots qui l'auront amenĂ©e Ă s'affliger sur elle! car c'est un homme si scrupuleux et si dĂ©licat sur l'honneur, qu'il s'exagĂšre quelquefois, et se fait des fantĂÂŽmes oĂÂč les autres ne voient rien. Suzanne J'ignore d'oĂÂč provient le mal; mais il se passe ici des choses bien Ă©tranges! Quelque dĂ©mon y souffle un feu secret. Notre maĂtre est sombre Ă pĂ©rir; il nous Ă©loigne tous de lui. Vous ĂÂȘtes sans cesse Ă pleurer. Mademoiselle est suffoquĂ©e; monsieur votre fils, dĂ©solĂ©!... Monsieur BĂ©gearss lui seul, imperturbable comme un dieu, semble n'ĂÂȘtre affectĂ© de rien, voit tous vos chagrins d'un oeil sec... La Comtesse Mon enfant, son coeur les partage. HĂ©las! sans ce consolateur, qui verse un baume sur nos plaies, dont la sagesse nous soutient, adoucit toutes les aigreurs, calme mon irascible Ă©poux, nous serions bien plus malheureux! Suzanne Je souhaite, madame, que vous ne vous abusiez pas. La Comtesse Je t'ai vue autrefois lui rendre plus de justice! Suzanne baisse les yeux. Au reste, il peut seul me tirer du trouble oĂÂč cette enfant m'a mise. Fais-le prier de descendre chez moi. Suzanne Le voici qui vient Ă propos; vous vous ferez coiffer plus tard. Elle sort. ScĂšne II La Comtesse, BĂ©gearss. La Comtesse, douloureusement. Ah! mon pauvre Major! que se passe-t-il donc ici? Touchons-nous enfin Ă la crise que j'ai si longtemps redoutĂ©e, que j'ai vue de loin se former? L'Ă©loignement du Comte pour mon malheureux fils semble augmenter de jour en jour. Quelque lumiĂšre fatale aura pĂ©nĂ©trĂ© jusqu'Ă lui. BĂ©gearss Madame, je ne le crois pas. La Comtesse Depuis que le ciel m'a punie par la mort de mon fils aĂnĂ©, je vois le Comte absolument changĂ© au lieu de travailler avec l'ambassadeur Ă Rome pour rompre les voeux de LĂ©on, je le vois s'obstiner Ă l'envoyer Ă Malte. Je sais de plus, monsieur BĂ©gearss, qu'il dĂ©nature sa fortune, et veut abandonner l'Espagne pour s'Ă©tablir dans ce pays. - L'autre jour Ă dĂner, devant trente personnes, il raisonna sur le divorce d'une façon Ă me faire frĂ©mir. BĂ©gearss J'y Ă©tais, je m'en souviens trop. La Comtesse, en larmes. Pardon, mon digne ami; je ne puis pleurer qu'avec vous! BĂ©gearss DĂ©posez vos douleurs dans le sein d'un homme sensible. La Comtesse Enfin, est-ce lui, est-ce vous qui avez dĂ©chirĂ© le coeur de Florestine? Je la destinais Ă mon fils. - NĂ©e sans biens, il est vrai, mais noble, belle et vertueuse; Ă©levĂ©e au milieu de nous mon fils, devenu hĂ©ritier, n'en a-t-il pas assez pour deux? BĂ©gearss Que trop, peut-ĂÂȘtre; et c'est d'oĂÂč vient le mal! La Comtesse Mais, comme si le ciel n'eĂ»t attendu aussi longtemps que pour me mieux punir d'une imprudence tant pleurĂ©e, tout semble s'unir Ă la fois pour renverser mes espĂ©rances. Mon Ă©poux dĂ©teste mon fils... Florestine renonce Ă lui. Aigrie par je ne sais quel motif, elle veut le fuir pour toujours. Il en mourra, le malheureux! voilĂ ce qui est bien certain. Elle joint les mains. Ciel vengeur! aprĂšs vingt annĂ©es de larmes et de repentir, me rĂ©servez-vous Ă l'horreur de voir ma faute dĂ©couverte? Ah! que je sois seule misĂ©rable! mon Dieu, je ne m'en plaindrai pas; mais que mon fils ne porte point la peine d'un crime qu'il n'a pas commis! Connaissez-vous, monsieur BĂ©gearss, quelque remĂšde Ă tant de maux? BĂ©gearss Oui, femme respectable! et je venais exprĂšs dissiper vos terreurs. Quand on craint une chose, tous nos regards se portent vers cet objet trop alarmant quoi qu'on dise ou qu'on fasse, la frayeur empoisonne tout! Enfin, je tiens la clef de ces Ă©nigmes. Vous pouvez encore ĂÂȘtre heureuse. La Comtesse L'est-on avec une ĂÂąme dĂ©chirĂ©e de remords? BĂ©gearss Votre Ă©poux ne fuit point LĂ©on; il ne soupçonne rien sur le secret de sa naissance. La Comtesse, vivement. Monsieur BĂ©gearss! BĂ©gearss Et tous ces mouvements que vous prenez pour de la haine ne sont que l'effet d'un scrupule. Oh! que je vais vous soulager! La Comtesse, ardemment. Mon cher monsieur BĂ©gearss! BĂ©gearss Mais enterrez dans ce coeur allĂ©gĂ© le grand mot que je vais vous dire. Votre secret Ă vous, c'est la naissance de LĂ©on le sien est celle de Florestine; plus bas il est son tuteur... et son pĂšre. La Comtesse, joignant les mains. Dieu tout-puissant, qui me prends en pitiĂ©! BĂ©gearss Jugez de sa frayeur en voyant ces enfants amoureux l'un de l'autre! Ne pouvant dire son secret, ni supporter qu'un tel attachement devĂnt le fruit de son silence, il est restĂ© sombre, bizarre; et s'il veut Ă©loigner son fils, c'est pour Ă©teindre, s'il se peut, par cette absence et par ces voeux, un malheureux amour qu'il croit ne pouvoir tolĂ©rer. La Comtesse, priant avec ardeur. Source Ă©ternelle des bienfaits! ĂÂŽ mon Dieu! tu permets qu'en partie je rĂ©pare la faute involontaire qu'un insensĂ© me fit commettre; que j'aie de mon cĂÂŽtĂ© quelque chose Ă remettre Ă cet Ă©poux que j'offensai! O Comte Almaviva! mon coeur flĂ©tri, fermĂ© par vingt annĂ©es de peines, va se rouvrir enfin pour toi! Florestine est ta fille; elle me devient chĂšre comme si mon sein l'eĂ»t portĂ©e. Faisons, sans nous parler, l'Ă©change de notre indulgence! Oh! monsieur BĂ©gearss, achevez! BĂ©gearss Mon amie, je n'arrĂÂȘte point ces premiers Ă©lans d'un bon coeur; les Ă©motions de la joie ne sont point dangereuses comme celles de la tristesse; mais au nom de votre repos, Ă©coutez-moi jusqu'Ă la fin. La Comtesse Parlez, mon gĂ©nĂ©reux ami vous Ă qui je dois tout, parlez. BĂ©gearss Votre Ă©poux, cherchant un moyen de garantir sa Florestine de cet amour qu'il croit incestueux, m'a proposĂ© de l'Ă©pouser; mais indĂ©pendamment du sentiment profond et malheureux que mon respect pour vos douleurs... La Comtesse, douloureusement. Ah! mon ami, par compassion pour moi... BĂ©gearss N'en parlons plus. Quelques mots d'Ă©tablissement, tournĂ©s d'une forme Ă©quivoque, ont fait penser Ă Florestine qu'il Ă©tait question de LĂ©on. Son jeune coeur s'en Ă©panouissait, quand un valet vous annonça. Sans m'expliquer depuis sur les vues de son pĂšre, un mot de moi, la ramenant aux sĂ©vĂšres idĂ©es de la fraternitĂ©, a produit cet orage, et la religieuse horreur dont votre fils ni vous ne pĂ©nĂ©triez le motif. La Comtesse Il en Ă©tait bien loin, le pauvre enfant! BĂ©gearss Maintenant qu'il vous est connu, devons-nous suivre ce projet d'une union qui rĂ©pare tout?... La Comtesse, vivement. Il faut s'y tenir, mon ami; mon coeur et mon esprit sont d'accord sur ce point, et c'est Ă moi de la dĂ©terminer. Par lĂ , nos secrets sont couverts; nul Ă©tranger ne les pĂ©nĂ©trera. AprĂšs vingt annĂ©es de souffrances, nous passerons des jours heureux, et c'est Ă vous, mon digne ami, que ma famille les devra. BĂ©gearss, Ă©levant le ton. Pour que rien ne les trouble plus, il faut encore un sacrifice, et mon amie est digne de le faire. La Comtesse HĂ©las! je veux les faire tous. BĂ©gearss, l'air imposant. Ces lettres, ces papiers d'un infortunĂ© qui n'est plus, il faudra les rĂ©duire en cendres. La Comtesse, avec douleur. Ah! Dieu! BĂ©gearss Quand cet ami mourant me chargea de vous les remettre, son dernier ordre fut qu'il fallait sauver votre honneur, en ne laissant aucune trace de ce qui pourrait l'altĂ©rer. La Comtesse Dieu! Dieu! BĂ©gearss Vingt ans se sont passĂ©s sans que j'aie pu obtenir que ce triste aliment de votre Ă©ternelle douleur s'Ă©loignĂÂąt de vos yeux. Mais indĂ©pendamment du mal que tout cela vous fait, voyez quel danger vous courez! La Comtesse Eh! que peut-on avoir Ă craindre! Begearss, regardant si on peut l'entendre. Parlant bas. Je ne soupçonne point Suzanne; mais une femme de chambre, instruite que vous conservez ces papiers, ne pourrait-elle pas un jour s'en faire un moyen de fortune? Un seul remis Ă votre Ă©poux, que peut-ĂÂȘtre il payerait bien cher, vous plongerait dans des malheurs... La Comtesse Non, Suzanne a le coeur trop bon... BĂ©gearss, d'un ton plus Ă©levĂ©, trĂšs ferme. Ma respectable amie, vous avez payĂ© votre dette Ă la tendresse, Ă la douleur, Ă vos devoirs de tous les genres; et si vous ĂÂȘtes satisfaite de la conduite d'un ami, j'en veux avoir la rĂ©compense. Il faut brĂ»ler tous ces papiers, Ă©teindre tous ces souvenirs d'une faute autant expiĂ©e! Mais pour ne jamais revenir sur un sujet si douloureux, j'exige que le sacrifice en soit fait dans ce mĂÂȘme instant. La Comtesse, tremblante. Je crois entendre Dieu qui parle! Il m'ordonne de l'oublier, de dĂ©chirer le crĂÂȘpe obscur dont sa mort a couvert ma vie. Oui, mon Dieu! je vais obĂ©ir Ă cet ami que vous m'avez donnĂ©. Elle sonne. Ce qu'il exige en votre nom, mon repentir le conseillait mais ma faiblesse a combattu. ScĂšne III Suzanne, La Comtesse, BĂ©gearss. La Comtesse Suzanne, apporte-moi le coffret de mes diamants. - Non, je vais le prendre moi-mĂÂȘme; il te faudrait chercher la clef... ScĂšne IV Suzanne, BĂ©gearss. Suzanne, un peu troublĂ©e. Monsieur BĂ©gearss, de quoi s'agit-il donc? Toutes les tĂÂȘtes sont renversĂ©es! Cette maison ressemble Ă l'hĂÂŽpital des fous! Madame pleure; mademoiselle Ă©touffe; le chevalier LĂ©on parle de se noyer; monsieur est enfermĂ©, et ne veut voir personne. Pourquoi ce coffre aux diamants inspire-t-il en ce moment tant d'intĂ©rĂÂȘt Ă tout le monde? BĂ©gearss, mettant son doigt sur sa bouche, en signe de mystĂšre. Chut! ne montre ici nulle curiositĂ©! Tu le sauras dans peu... Tout va bien; tout est bien... Cette journĂ©e vaut... Chut... ScĂšne V La Comtesse, BĂ©gearss, Suzanne. La Comtesse, tenant le coffret aux diamants. Suzanne, apporte-nous du feu dans le brasero du boudoir. Suzanne Si c'est pour brĂ»ler des papiers, la lampe de nuit allumĂ©e est encore lĂ dans l'athĂ©nienne. Elle l'avance. La Comtesse Veille Ă la porte, et que personne n'entre. Suzanne, en sortant, Ă part. Courons, avant, avertir Figaro. ScĂšne VI La Comtesse, BĂ©gearss. BĂ©gearss Combien j'ai souhaitĂ© pour vous le moment auquel nous touchons! La Comtesse, Ă©touffĂ©e. O mon ami! quel jour nous choisissons pour consommer ce sacrifice! celui de la naissance de mon malheureux fils! A cette Ă©poque, tous les ans, leur consacrant cette journĂ©e, je demandais pardon au ciel, et je m'abreuvais de mes larmes en relisant ces tristes lettres. Je me rendais au moins le tĂ©moignage qu'il y eut entre nous plus d'erreur que de crime. Ah! faut-il donc brĂ»ler tout ce qui me reste de lui? BĂ©gearss Quoi! madame, dĂ©truisez-vous ce fils qui vous le reprĂ©sente? Ne lui devez-vous pas un sacrifice qui le prĂ©serve de mille affreux dangers? Vous vous le devez Ă vous-mĂÂȘme, et la sĂ©curitĂ© de votre vie entiĂšre est attachĂ©e peut-ĂÂȘtre Ă cet acte imposant! Il ouvre le secret de l'Ă©crin et en tire les lettres. La Comtesse, surprise. Monsieur BĂ©gearss, vous l'ouvrez mieux que moi!... Que je les lise encore! BĂ©gearss, sĂ©vĂšrement. Non, je ne le permettrai pas. La Comtesse Seulement la derniĂšre, oĂÂč, traçant ses tristes adieux du sang qu'il rĂ©pandit pour moi, il m'a donnĂ© la leçon du courage dont j'ai tant besoin aujourd'hui. BĂ©gearss, s'y opposant. Si vous lisez un mot, nous ne brĂ»lerons rien. Offrez au ciel un sacrifice entier, courageux, volontaire, exempt des faiblesses humaines! ou, si vous n'osez l'accomplir, c'est Ă moi d'ĂÂȘtre fort pour vous. Les voilĂ toutes dans le feu. Il y jette le paquet. La Comtesse, vivement. Monsieur BĂ©gearss! cruel ami! c'est ma vie que vous consumez! Qu'il m'en reste au moins un lambeau. Elle veut se prĂ©cipiter sur les lettres enflammĂ©es. - BĂ©gearss la retient Ă bras-le-corps. BĂ©gearss J'en jetterai la cendre au vent. ScĂšne VII Suzanne, Le Comte, Figaro, La Comtesse, BĂ©gearss. Suzanne accourt. C'est monsieur, il me suit; mais amenĂ© par Figaro. Le Comte, les surprenant en cette posture. Qu'est-ce donc que je vois, madame! D'oĂÂč vient ce dĂ©sordre? quel est ce feu, ce coffre, ces papiers? Pourquoi ce dĂ©bat et ces pleurs? BĂ©gearss et la Comtesse restent confondus. Vous ne rĂ©pondez point? BĂ©gearss se remet, et dit d'un ton pĂ©nible. J'espĂšre, monsieur, que vous n'exigez pas qu'on s'explique devant vos gens. J'ignore quel dessein vous fait surprendre ainsi madame! Quant Ă moi, je suis rĂ©solu de soutenir mon caractĂšre en rendant un hommage pur Ă la vĂ©ritĂ©, quelle qu'elle soit. Le Comte, Ă Figaro et Ă Suzanne. Sortez tous deux. Figaro Mais, monsieur, rendez-moi du moins la justice de dĂ©clarer que je vous ai remis le rĂ©cĂ©pissĂ© du notaire sur le grand objet de tantĂÂŽt. Le Comte Je le fais volontiers, puisque c'est rĂ©parer un tort. A BĂ©gearss. Soyez certain, monsieur, que voilĂ le rĂ©cĂ©pissĂ©. Il le remet dans sa poche. - Figaro et Suzanne sortent chacun de leur cĂÂŽtĂ©. Figaro, bas Ă Suzanne, en s'en allant. S'il Ă©chappe Ă l'explication!... Suzanne, bas. Il est bien subtil! Figaro, bas. Je l'ai tuĂ©! ScĂšne VIII La Comtesse, Le Comte, BĂ©gearss. Le Comte, d'un ton sĂ©rieux. Madame, nous sommes seuls. BĂ©gearss, encore Ă©mu. C'est moi qui parlerai. Je subirai cet interrogatoire. M'avez-vous vu, monsieur, trahir la vĂ©ritĂ© dans quelque occasion que ce fĂ»t? Le Comte, sĂšchement. Monsieur... je ne dis pas cela. BĂ©gearss, tout Ă fait remis. Quoique je sois loin d'approuver cette inquisition peu dĂ©cente, l'honneur m'oblige Ă rĂ©pĂ©ter ce que je disais Ă madame, en rĂ©pondant Ă sa consultation "Tout dĂ©positaire de secrets ne doit jamais conserver de papiers s'ils peuvent compromettre un ami qui n'est plus, et qui les mit sous notre garde. Quelque chagrin qu'on ait Ă s'en dĂ©faire, et quelque intĂ©rĂÂȘt mĂÂȘme qu'on eĂ»t Ă les garder, le saint respect des morts doit avoir le pas devant tout." Il montre Le Comte. Un accident inopinĂ© ne peut-il pas en rendre un adversaire possesseur? Le Comte le tire par la manche pour qu'il ne pousse pas l'explication plus loin. Auriez-vous dit, monsieur, autre chose en ma position? Qui cherche des conseils timides ou le soutien d'une faiblesse honteuse, ne doit point s'adresser Ă moi! vous en avez des preuves l'un et l'autre, et vous surtout, monsieur Le Comte! Le Comte lui fait un signe. VoilĂ sur la demande que m'a faite madame, et sans chercher Ă pĂ©nĂ©trer ce que contenaient ces papiers, ce qui m'a fait lui donner un conseil pour la sĂ©vĂšre exĂ©cution duquel je l'ai vue manquer de courage; je n'ai pas hĂ©sitĂ© d'y substituer le mien, en combattant ses dĂ©lais imprudents. VoilĂ quels Ă©taient nos dĂ©bats; mais, quelque chose qu'on en pense, je ne regretterai point ce que j'ai dit, ce que j'ai fait. Il lĂšve les bras. Sainte amitiĂ©! tu n'es rien qu'un vain titre, si l'on ne remplit pas tes austĂšres devoirs. - Permettez que je me retire. Le Comte, exaltĂ©. O le meilleur des hommes! Non, vous ne nous quitterez ras. - Madame, il va nous appartenir de plus prĂšs; je lui donne ma Florestine. La Comtesse, avec vivacitĂ©. Monsieur, vous ne pouviez pas faire un plus digne emploi du pouvoir que la loi vous donne sur elle. Ce choix a mon assentiment si vous le jugez nĂ©cessaire et le plus tĂÂŽt vaudra le mieux. Le Comte, hĂ©sitant. Eh bien!... ce soir... sans bruit... votre aumĂÂŽnier... La Comtesse, avec ardeur. Eh bien! moi qui lui sers de mĂšre, je vais la prĂ©parer Ă l'auguste cĂ©rĂ©monie mais laisserez-vous votre ami seul gĂ©nĂ©reux envers ce digne enfant? J'ai du plaisir Ă penser le contraire. Le Comte, embarrassĂ©. Ah! madame... croyez... La Comtesse, avec joie. Oui, monsieur, je le crois. C'est aujourd'hui la fĂÂȘte de mon fils; ces deux Ă©vĂ©nements rĂ©unis me rendent cette journĂ©e bien chĂšre. Elle sort. ScĂšne IX Le Comte, BĂ©gearss Le Comte, la regardant aller. Je ne reviens pas de mon Ă©tonnement. Je m'attendais Ă des dĂ©bats, Ă des objections sans nombre; et je la trouve juste, bonne, gĂ©nĂ©reuse envers mon enfant! Moi qui lui sers de mĂšre, dit-elle... Non, ce n'est point une mĂ©chante femme! elle a dans ses actions une dignitĂ© qui m'impose... un ton qui brise les reproches, quand on voudrait l'en accabler. Mais, mon ami, je m'en dois Ă moi-mĂÂȘme, pour la surprise que j'ai montrĂ©e en voyant brĂ»ler ces papiers. BĂ©gearss Quant Ă moi, je n'en ai point eu, voyant avec qui vous veniez. Ce reptile vous a sifflĂ© que j'Ă©tais lĂ pour trahir vos secrets? De si basses imputations n'atteignent point un homme de ma hauteur je les vois ramper loin de moi. Mais, aprĂšs tout, monsieur, que vous importaient ces papiers? n'aviez-vous pas pris malgrĂ© moi tous ceux que vous vouliez garder? Ah! plĂ»t au ciel qu'elle m'eĂ»t consultĂ© plus tĂÂŽt! vous n'auriez pas contre elle des preuves sans rĂ©plique! Le Comte, avec douleur. Oui, sans rĂ©plique! Avec ardeur. Otons-les de mon sein elles me brĂ»lent la poitrine. Il tire la lettre de son sein, et la met dans sa poche. BĂ©gearss continue avec douceur. Je combattrais avec plus d'avantage en faveur du fils de la loi; car enfin il n'est pas comptable du triste sort qui l'a mis dans vos bras. Le Comte, reprend sa fureur. Lui dans mes bras? jamais! BĂ©gearss Il n'est point coupable non plus dans son amour pour Florestine; et cependant, tant qu'il reste prĂšs d'elle, puis-je m'unir Ă cette enfant, qui, peut-ĂÂȘtre Ă©prise elle-mĂÂȘme, ne cĂ©dera qu'Ă son respect pour vous? La dĂ©licatesse blessĂ©e... Le Comte Mon ami, je t'entends! et ta rĂ©flexion me dĂ©cide Ă le faire partir sur-le-champ. Oui, je serai moins malheureux quand ce fatal objet ne blessera plus mes regards. Mais comment entamer ce sujet avec elle? Voudra-t-elle s'en sĂ©parer? Il faudra donc faire un Ă©clat? BĂ©gearss Un Ă©clat!... non... mais le divorce, accrĂ©ditĂ© chez cette nation hasardeuse, vous permettra d'user de ce moyen. Le Comte Moi, publier ma honte! Quelques lĂÂąches l'ont fait! c'est le dernier degrĂ© de l'avilissement du siĂšcle. Que l'opprobre soit le partage de qui donne un pareil scandale, et des fripons qui le provoquent! BĂ©gearss J'ai fait envers elle, envers vous, ce que l'honneur me prescrivait. Je ne suis point pour les moyens violents, surtout quand il s'agit d'un fils... Le Comte Dites d'un Ă©tranger, dont je vais hĂÂąter le dĂ©part. BĂ©gearss N'oubliez pas cet insolent valet. Le Comte J'en suis trop las pour le garder. Toi, cours, ami, chez mon notaire; retire, avec mon reçu que voila, mes trois millions d'or dĂ©posĂ©s. Alors tu peux Ă juste titre ĂÂȘtre gĂ©nĂ©reux au contrat, qu'il nous faut brusquer aujourd'hui... car te voilĂ bien possesseur... Il lui remet le reçu, le prend sous le bras, et ils sortent. Et ce soir Ă minuit, sans bruit, dans la chapelle de madame... On n'entend pas le reste. Acte quatriĂšme Le thĂ©ĂÂątre reprĂ©sente le mĂÂȘme cabinet de la Comtesse. ScĂšne I Figaro, seul, agitĂ©, regardant de cĂÂŽtĂ© et d'autre. Elle me dit "Viens Ă six heures au cabinet c'est le plus sĂ»r pour nous parler..." Je brusque tout dehors, et Je rentre en sueur! OĂÂč est-elle? Il se promĂšne en s'essuyant. Ah! parbleu, je ne suis pas fout je les ai vus sortir d'ici, monsieur le tenant sous le bras!... Eh bien! pour un Ă©chec, abandonnons-nous la partie? Un orateur fuit-il lĂÂąchement la tribune pour un argument tuĂ© sous lui? Mais quel dĂ©testable endormeur! Vivement. Parvenir Ă brĂ»ler les lettres de madame, pour qu'elle ne voie pas qu'il en manque; et se tirer d'un Ă©claircissement!... C'est l'enfer concentrĂ© tel que Milton nous l'a dĂ©peint! D'un ton badin. J'avais raison tantĂÂŽt, dans ma colĂšre HonorĂ© BĂ©gearss est le diable que les HĂ©breux nommaient LĂ©gion; et, si l'on y regardait bien, on verrait le lutin avoir le pied fourchu, seule partie, disait ma mĂšre, que les dĂ©mons ne peuvent dĂ©guiser. Il rit. Ah! ah! ah! ma gaietĂ© me revient; d'abord, parce que j'ai mis l'or du Mexique en sĂ»retĂ© chez Fal; ce qui nous donnera du temps. Il frappe d'un billet sur sa main; et puis... Docteur en toute hypocrisie! Vrai major d'infernal Tartuffe! grĂÂące au hasard qui rĂ©git tout, Ă ma tactique, Ă quelques louis semĂ©s, voici qui me promet une lettre de toi, oĂÂč, dit-on, tu poses le masque, Ă ne rien laisser dĂ©sirer! Il ouvre le billet et dit Le coquin qui l'a lue en veut cinquante louis?... eh bien! il les aura, si la lettre les vaut; une annĂ©e de mes gages sera bien employĂ©e, si je parviens Ă dĂ©tromper un maĂtre Ă qui nous devons tant... Mais oĂÂč es-tu, Suzanne, pour en rire? O che piacere!... A demain donc! car je ne vois pas que rien pĂ©riclite ce soir... Et pourquoi perdre un temps? Je m'en suis toujours repenti... TrĂšs vivement. Point de dĂ©lai, courons attacher le pĂ©tard, dormons dessus la nuit porte conseil, et demain matin nous verrons qui des deux fera sauter l'autre. ScĂšne II BĂ©gearss, Figaro. BĂ©gearss, raillant. Eeeh! c'est mons Figaro! La place est agrĂ©able, puisqu'on y retrouve monsieur. Figaro, du mĂÂȘme ton. Ne fĂ»t-ce que pour avoir la joie de l'en chasser une autre fois. BĂ©gearss De la rancune pour si peu! Vous ĂÂȘtes bien bon d'y songer! chacun n'a-t-il pas sa manie? Figaro Et celle de monsieur est de ne plaider qu'Ă huis clos? BĂ©gearss, lui frappant sur l'Ă©paule. Il n'est pas essentiel qu'un sage entende tout, quand il sait si bien deviner. Figaro Chacun se sert des petits talents que le ciel lui a dĂ©partis. BĂ©gearss Et l'intrigant compte-t-il gagner beaucoup avec ceux qu'il nous montre ici? Figaro Ne mettant rien Ă la partie, j'ai tout gagnĂ©... si je fais perdre l'autre. BĂ©gearss, piquĂ©. On verra le jeu de monsieur. Figaro Ce n'est pas de ces coups brillants qui Ă©blouissent la galerie. Il prend un air niais. Mais chacun pour soi, Dieu pour tous, comme a dit le roi Salomon, BĂ©gearss, souriant. Belle sentence! N'a-t-il pas dit aussi le soleil luit pour tout le monde? Figaro, fiĂšrement. Oui, en dardant sur le serpent prĂÂȘt Ă mordre la main de son imprudent bienfaiteur! Il sort. ScĂšne III BĂ©gearss, seul, le regardant aller. Il ne farde plus ses desseins! Notre homme est fier? Bon signe, il ne sait rien des miens; il aurait la mine bien longue s'il Ă©tait instruit qu'Ă minuit... Il cherche dans ses poches vivement. Eh bien! qu'ai-je fait du papier? Le voici. Il lit. "Reçu de monsieur Fal, notaire, les trois millions d'or spĂ©cifiĂ©s dans le bordereau ci-dessus. A Paris, le... Almaviva." - C'est bon; je tiens la pupille et l'argent! Mais ce n'est point assez cet homme est faible, il ne finira rien pour le reste de sa fortune. La Comtesse lui en impose; il la craint, l'aime encore... Elle n'ira point au couvent, si je ne les mets aux prises, et ne le force Ă s'expliquer... brutalement. Il se promĂšne. - Diable! ne risquons pas ce soir un dĂ©nouement aussi scabreux! En prĂ©cipitant trop les choses, on se prĂ©cipite avec elles! Il sera temps demain, quand j'aurai bien serrĂ© le doux lien sacramentel qui va les enchaĂner Ă moi! Il appuie ses deux mains sur sa poitrine. Eh bien, maudite joie, qui me gonfles le coeur! ne peux-tu donc te contenir?... Elle m'Ă©touffera, la fougueuse, ou me livrera comme un sot, si je ne la laisse un peu s'Ă©vaporer pendant que je suis seul ici. Sainte et douce crĂ©dulitĂ©! l'Ă©poux te doit la magnifique dot! PĂÂąle dĂ©esse de la nuit, il te devra bientĂÂŽt sa froide Ă©pouse. Il frotte ses mains de joie. BĂ©gearss! heureux BĂ©gearss!... Pourquoi l'appelez-vous BĂ©gearss? n'est-il donc pas plus d'Ă moitiĂ© le seigneur Comte Almaviva? D'un ton terrible. Encore un pas, BĂ©gearss! et tu l'es tout Ă fait. - Mais il te faut auparavant... Ce Figaro pĂšse sur ma poitrine! car c'est lui qui l'a fait venir!... Le moindre trouble me perdrait... Ce valet-lĂ me portera malheur... C'est le plus clairvoyant coquin!... Allons, allons, qu'il parte avec son chevalier errant! ScĂšne IV BĂ©gearss, Suzanne. Suzanne, accourant, fait un cri d'Ă©tonnement de voir un autre que Figaro. Ah! A part. Ce n'est pas lui! BĂ©gearss Quelle surprise? Et qu'attendais-tu donc? Suzanne, se remettant. Personne. On se croit seule ici... BĂ©gearss Puisque je t'y rencontre, un mot avant le comitĂ©. Suzanne Que parlez-vous de comitĂ©? RĂ©ellement, depuis deux ans, on n'entend plus du tout la langue de ce pays. BĂ©gearss, riant sardoniquement. HĂ©! hĂ©! Il pĂ©trit dans sa boĂte une prise de tabac, d'un air content de lui. Ce comitĂ©, ma chĂšre, est une confĂ©rence entre la Comtesse, son fils, notre jeune pupille et moi, sur le grand objet que tu sais. Suzanne AprĂšs la scĂšne que j'ai vue, osez-vous encore l'espĂ©rer? BĂ©gearss, bien fat. Oser l'espĂ©rer!... Non. Mais seulement... je l'Ă©pouse ce soir. Suzanne, virement. MalgrĂ© son amour pour LĂ©on? BĂ©gearss Bonne femme, qui me disais Si vous faites cela, monsieur... Suzanne Eh! qui eĂ»t pu l'imaginer? BĂ©gearss, prenant son tabac en plusieurs fois. Enfin que dit-on? parle-t-on? Toi qui vis dans l'intĂ©rieur, qui as l'honneur des confidences, y pense-t-on du bien de moi? car c'est lĂ le point important. Suzanne L'important serait de savoir quel talisman vous employez pour dominer tous les esprits. Monsieur ne parle de vous qu'avec enthousiasme, ma maĂtresse vous porte aux nues, son fils n'a d'espoir qu'en vous seul, notre pupille vous rĂ©vĂšre!... BĂ©gearss, d'un ton bien fat, secouant le tabac de son jabot. Et toi, Suzanne, qu'en dis-tu? Suzanne Ma foi, monsieur, je vous admire! Au milieu du dĂ©sordre affreux que vous entretenez ici, vous seul ĂÂȘtes calme et tranquille; il me semble entendre un gĂ©nie qui fait tout mouvoir Ă son grĂ©. BĂ©gearss, bien fat. Mon enfant, rien n'est plus aisĂ©. D'abord, il n'est que deux pivots sur qui roule tout dans le monde la morale et la politique. La morale, tant soit peu mesquine, consiste Ă ĂÂȘtre juste et vrai; elle est, dit-on, la clef de quelques vertus routiniĂšres, Suzanne Quant Ă la politique?... BĂ©gearss, avec chaleur. Ah! c'est l'art de crĂ©er des faits, de dominer, en se jouant les Ă©vĂ©nements et les hommes; l'intĂ©rĂÂȘt est son but, l'intrigue son moyen toujours sobre de vĂ©ritĂ©s, ses vastes et riches conceptions sont un prisme qui Ă©blouit. Aussi profonde que l'Etna, elle brĂ»le et gronde longtemps avant d'Ă©clater au-dehors; mais alors rien ne lui rĂ©siste. Elle exige de hauts talents le scrupule seul peut lui nuire; en riant c'est le secret des nĂ©gociateurs. Suzanne Si la morale ne vous Ă©chauffe pas, l'autre, en revanche, excite en vous un assez vif enthousiasme! BĂ©gearss, averti, revient a lui. Eh!... ce n'est pas elle; c'est toi! - Ta comparaison d'un gĂ©nie... - Le chevalier vient; laisse-nous. ScĂšne V LĂ©on, BĂ©gearss. LĂ©on Monsieur BĂ©gearss, je suis au dĂ©sespoir! BĂ©gearss, d'un ton protecteur. Qu'est-il arrivĂ©, jeune ami? LĂ©on Mon pĂšre vient de me signifier, avec une duretĂ©!... que j'eusse Ă faire, sous deux jours, tous les apprĂÂȘts de mon dĂ©part pour Malte. Point d'autre train, dit-il, que Figaro, qui m'accompagne, et un valet qui courra devant nous. BĂ©gearss Cette conduite est en effet bizarre pour qui ne sait pas son secret; mais nous qui l'avons pĂ©nĂ©trĂ©, notre devoir est de le plaindre. Ce voyage est le fruit d'une frayeur bien excusable Malte et vos voeux ne sont que le prĂ©texte; un amour qu'il redoute est son vĂ©ritable motif. LĂ©on, avec douleur. Mais, mon ami, puisque vous l'Ă©pousez? BĂ©gearss, confidentiellement. Si son frĂšre le croit utile Ă suspendre un fĂÂącheux dĂ©part!... Je ne verrais qu'un seul moyen... LĂ©on O mon ami! dites-le-moi. BĂ©gearss Ce serait que madame votre mĂšre vainquĂt cette timiditĂ© qui l'empĂÂȘche, avec lui, d'avoir une opinion Ă elle; car sa douceur vous nuit bien plus que ne ferait un caractĂšre trop ferme. - Supposons qu'on lui ait donnĂ© quelque prĂ©vention injuste qui a le droit, comme une mĂšre, de rappeler un pĂšre Ă la raison? Engagez-la Ă le tenter... non pas aujourd'hui, mais... demain, et sans y mettre de faiblesse, LĂ©on Mon ami, vous avez raison cette crainte est son vrai motif. Sans doute, il n'y a que ma mĂšre qui puisse le faire changer. La voici qui vient avec celle... que je n'ose plus adorer. Avec douleur. O mon ami! rendez-la bien heureuse! BĂ©gearss, caressant. En lui parlant tous les jours de son frĂšre. ScĂšne VI La Comtesse, Florestine, BĂ©gearss, Suzanne, LĂ©on. La Comtesse, coiffĂ©e, parĂ©e, portant une robe rouge et noire, et son bouquet de mĂÂȘme couleur. Suzanne, donne mes diamants. Suzanne va les chercher. BĂ©gearss, affectant de la dignitĂ©. Madame, et vous mademoiselle, je vous laisse avec cet ami; je confirme d'avance tout ce qu'il va vous dire. HĂ©las! ne pensez point au bonheur que j'aurais de vous appartenir Ă tous; votre repos doit seul vous occuper. Je n'y veux concourir que sous la forme que vous adopterez mais, soit que mademoiselle accepte ou non mes offres, recevez ma dĂ©claration que toute la fortune dont je viens d'hĂ©riter lui est destinĂ©e de ma part, dans un contrat, ou par un testament; je vais en faire dresser les actes mademoiselle choisira. AprĂšs ce que je viens de dire, il ne conviendrait pas que ma prĂ©sence ici gĂÂȘnĂÂąt un parti qu'elle doit rendre en toute libertĂ© mais, quel qu'il soit, ĂÂŽ mes amis! sachez qu'il est sacrĂ© pour moi je l'adopte sans restrictions. Il salue profondĂ©ment et sort. ScĂšne VII La Comtesse, LĂ©on, Florestine. La Comtesse le regarde aller. C'est un ange envoyĂ© du ciel pour rĂ©parer tous nos malheurs. LĂ©on, avec une douleur ardente. O Florestine! il faut cĂ©der ne pouvant ĂÂȘtre l'un Ă l'autre, nos premiers Ă©lans de douleur nous avaient fait jurer de n'ĂÂȘtre jamais Ă personne; j'accomplirai ce serment pour nous deux. Ce n'est pas tout Ă fait vous perdre, puisque je retrouve une soeur oĂÂč j'espĂ©rais possĂ©der une Ă©pouse. Nous pourrons encore nous aimer. ScĂšne VIII La Comtesse, LĂ©on, Florestine, Suzanne. Suzanne apporte l'Ă©crin. La Comtesse, en parlant, met ses boucles d'oreilles, ses bagues, son bracelet, sans rien regarder. Florestine! Ă©pouse BĂ©gearss, ses procĂ©dĂ©s l'en rendent digne et puisque cet hymen fait le bonheur de ton parrain, il faut l'achever aujourd'hui. Suzanne sort et emporte l'Ă©crin. ScĂšne IX La Comtesse, LĂ©on, Florestine. La Comtesse, Ă LĂ©on. Nous, mon fils, ne sachons jamais ce que nous devons ignorer. Tu pleures, Florestine! Florestine, pleurant. Ayez pitiĂ© de moi, madame! Eh! comment soutenir autant d'assauts dans un seul jour? A peine j'apprends qui je suis, qu'il faut renoncer Ă moi-mĂÂȘme et me livrer... Je meurs de douleur et d'effroi. DĂ©nuĂ©e d'objections contre monsieur BĂ©gearss, je sens mon coeur Ă l'agonie en pensant qu'il peut devenir... Cependant il le faut, il faut me sacrifier au bien de ce frĂšre chĂ©ri, Ă son bonheur... que je ne puis plus faire. Vous dites que je pleure! Ah! je fais plus pour lui que si je lui donnais ma vie! Maman, ayez pitiĂ© de nous..., bĂ©nissez vos enfants! ils sont bien malheureux! Elle se jette Ă genoux. LĂ©on en fait autant. La Comtesse, leur imposant les mains. Je vous bĂ©nis, mes chers enfants. Ma Florestine, je t'adopte. Si tu savais Ă quel point tu m'es chĂšre! Tu seras heureuse, ma fille, et du bonheur de la vertu; celui-lĂ peut dĂ©dommager des autres. Ils se relĂšvent. Florestine Mais, croyez-vous, madame, que mon dĂ©vouement le ramĂšne Ă LĂ©on, Ă son fils? car il ne faut pas se flatter son injuste prĂ©vention va quelquefois jusqu'Ă la haine. La Comtesse ChĂšre fille, j'en ai l'espoir. LĂ©on C'est l'avis de monsieur BĂ©gearss il me l'a dit; mais il m'a dit aussi qu'il n'y a que maman qui puisse opĂ©rer ce miracle. Aurez-vous donc la force de lui parler en ma faveur? La Comtesse Je l'ai tentĂ© souvent, mon fils, mais sans aucun fruit apparent. LĂ©on O ma digne mĂšre! c'est votre douceur qui m'a nui. La crainte de le contrarier vous a trop empĂÂȘchĂ©e d'user de la juste influence que vous donnent votre vertu et le respect profond dont vous ĂÂȘtes entourĂ©e. Si vous lui parliez avec force, il ne vous rĂ©sisterait pas. La Comtesse Vous le croyez, mon fils? je vais l'essayer devant vous. Vos reproches m'affligent presque autant que son injustice. Mais pour que vous ne gĂÂȘniez pas le bien que je dirai de vous, mettez-vous dans mon cabinet; vous m'entendrez, de lĂ , plaider une cause si juste vous n'accuserez plus une mĂšre de manquer d'Ă©nergie quand il faut dĂ©fendre son fils! Elle sonne. Florestine, la dĂ©cence ne te permet pas de rester va t'enfermer; demande au ciel qu'il m'accorde quelque succĂšs et rende enfin la paix Ă ma famille dĂ©solĂ©e. Florestine sort. ScĂšne X Suzanne, La Comtesse, LĂ©on. Suzanne Que veut madame? elle a sonnĂ©. La Comtesse Prie monsieur, de ma part, de passer un moment ici. Suzanne, effrayĂ©e. Madame! vous me faites trembler! Ciel! que va-t-il donc se passer? Quoi! monsieur qui ne vient jamais... sans... La Comtesse Fais ce que je te dis, Suzanne, et ne prends nul souci du reste. Suzanne sort, en levant les bras au ciel de terreur. ScĂšne XI La Comtesse, LĂ©on. La Comtesse Vous allez voir, mon fils, si votre mĂšre est faible en dĂ©fendant vos intĂ©rĂÂȘts! Mais laissez-moi me recueillir, me prĂ©parer, par la priĂšre, Ă cet important plaidoyer. LĂ©on entre au cabinet de sa mĂšre. ScĂšne XII La Comtesse, seule, une genou sur son fauteuil. Ce moment me semble terrible comme le jugement dernier! Mon sang est prĂÂȘt Ă s'arrĂÂȘter... O mon Dieu! donnez-moi la force de frapper au coeur d'un Ă©poux! Plus bas. Vous seul connaissez les motifs qui m'ont toujours fermĂ© la bouche! Ah! s'il ne s'agissait du bonheur de mon fils, vous savez, ĂÂŽ mon Dieu! si j'oserais dire un seul mot pour moi! Mais enfin, s'il est vrai qu'une faute pleurĂ©e vingt ans ait obtenu de vous un pardon gĂ©nĂ©reux, comme un ami sage m'en assure, ĂÂŽ mon Dieu, donnez-moi la force de frapper au coeur d'un Ă©poux! ScĂšne XIII La Comtesse, Le Comte, LĂ©on cachĂ©. Le Comte, sĂšchement. Madame, on dit que vous me demandez? La Comtesse, timidement. J'ai cru, monsieur, que nous serions plus libres dans ce cabinet que chez vous. Le Comte M'y voilĂ , madame; parlez. La Comtesse, tremblante. Asseyons-nous, monsieur, je vous conjure, et prĂÂȘtez-moi votre attention. Le Comte, impatient, Non, j'entendrai debout; vous savez qu'en parlant je ne saurais tenir en place. La Comtesse, s'asseyant, avec un soupir, et parlant bas. Il s'agit de mon fils... monsieur. Le Comte, brusquement. De votre fils, madame? La Comtesse Et quel autre intĂ©rĂÂȘt pourrait vaincre ma rĂ©pugnance Ă engager un entretien que vous ne recherchez jamais? Mais je viens de le voir dans un Ă©tat Ă faire compassion l'esprit troublĂ©, le coeur serrĂ© de l'ordre que vous lui donnez de partir sur-le-champ; surtout du ton de duretĂ© qui accompagne cet exil. Eh! comment a-t-il encouru la disgrĂÂące d'un p... d'un homme si juste? Depuis qu'un exĂ©crable duel nous a ravi notre autre fils... Le Comte, les mains sur le visage, avec un air de douleur. Ah!... La Comtesse Celui-ci, qui jamais ne dĂ»t connaĂtre le chagrin, a redoublĂ© de soins et d'attentions pour adoucir l'amertume des nĂÂŽtres! Le Comte, se promenant doucement. Ah!... La Comtesse Le caractĂšre emportĂ© de son frĂšre, son dĂ©sordre, ses goĂ»ts et sa conduite dĂ©rĂ©glĂ©e nous en donnaient souvent de bien cruels. Le ciel sĂ©vĂšre, mais sage en ses dĂ©crets, en nous privant de cet enfant, nous en a peut-ĂÂȘtre Ă©pargnĂ© de plus cuisants pour l'avenir. Le Comte, avec douleur. Ah!... ah!... La Comtesse Mais enfin, celui qui nous reste a-t-il jamais manquĂ© Ă ses devoirs? Jamais le plus lĂ©ger reproche fut-il mĂ©ritĂ© de sa part? Exemple des hommes de son ĂÂąge, il a l'estime universelle il est aimĂ©, recherchĂ©, consultĂ©. Son p... protecteur naturel, mon Ă©poux seul, paraĂt avoir les yeux fermĂ©s sur un mĂ©rite transcendant, dont l'Ă©clat frappe tout le monde. Le Comte se promĂšne plus vite sans parler. - La Comtesse, prenant courage de son silence, continue d'un ton plus ferme, et l'Ă©lĂšve par degrĂ©s. En tout autre sujet, monsieur, je tiendrais Ă fort grand honneur de vous soumettre mon avis, de modeler mes sentiments, ma faible opinion sur la vĂÂŽtre; mais il s'agit... d'un fils... Le Comte s'agite en marchant. Quand il avait un frĂšre aĂnĂ©, l'orgueil d'un trĂšs grand nom le condamnant au cĂ©libat, l'ordre de Malte Ă©tait son sort. Le prĂ©jugĂ© semblait alors couvrir l'injustice de ce partage entre deux fils timidement Ă©gaux en droits. Le Comte s'agite plus fort. A part, d'un ton Ă©touffĂ©. Egaux en droits!... La Comtesse, un peu plus fort. Mais depuis deux annĂ©es qu'un accident affreux... les lui a tous transmis, n'est-il pas Ă©tonnant que vous n'ayez rien entrepris pour le relever de ses voeux? Il est de notoriĂ©tĂ© que vous n'avez quittĂ© l'Espagne que pour dĂ©naturer vos biens, par la vente ou par des Ă©changes. Si c'est pour l'en priver, monsieur, la haine ne va pas plus loin! Puis, vous le chassez de chez vous, et semblez lui fermer la maison p... par vous habitĂ©e. Permettez-moi de vous le dire, un traitement aussi Ă©trange est sans excuse aux yeux de la raison. Qu'a-t-il fait pour le mĂ©riter? Le Comte s'arrĂÂȘte; d'un ton terrible. Ce qu'il a fait! La Comtesse, effrayĂ©e. Je voudrais bien, monsieur, ne pas vous offenser! Le Comte, plus fort. Ce qu'il a fait, madame? Et c'est vous qui le demandez? La Comtesse, en dĂ©sordre. Monsieur, monsieur! vous m'effrayez beaucoup! Le Comte, avec fureur. Puisque vous avez provoquĂ© l'explosion du ressentiment qu'un respect humain enchaĂnait, vous entendrez son arrĂÂȘt et le vĂÂŽtre. La Comtesse, plus troublĂ©e. Ah! monsieur! Ah! monsieur! Le Comte Vous demandez ce qu'il a fait? La Comtesse, levant les bras. Non, monsieur, ne me dites rien! Le Comte, hors de lui. Rappelez-vous, femme perfide, ce que vous avez fait vous-mĂÂȘme! et comment, recevant un adultĂšre dans vos bras, vous avez mis dans ma maison cet enfant Ă©tranger, que vous osez nommer mon fils! La Comtesse, au dĂ©sespoir, veut se lever. Laissez-moi m'enfuir, je vous prie. Le Comte, la clouant sur son fauteuil. Non, vous ne fuirez pas; vous n'Ă©chapperez point Ă la conviction qui vous presse. Lui montrant sa lettre. Connaissez-vous cette Ă©criture? Elle est tracĂ©e de votre main coupable! et ces caractĂšres sanglants qui lui servirent de rĂ©ponse... La Comtesse, anĂ©antie. Je vais mourir! je vais mourir! Le Comte, avec force. Non, non! vous entendrez les traits que j'en ai soulignĂ©s! Il lit avec Ă©garement. "Malheureux insensĂ©! notre sort est rempli; votre crime, le mien, reçoit sa punition. Aujourd'hui, jour de saint LĂ©on, patron de ce lieu et le vĂÂŽtre, je viens de mettre au monde un fils, mon opprobre et mon dĂ©sespoir..." Il parle. Et cet enfant est nĂ© le jour de saint LĂ©on, plus de dix mois aprĂšs mon dĂ©part pour la Vera-Cruz! Pendant qu'il lit trĂšs fort, on entend la Comtesse, Ă©garĂ©e, dire des mots coupĂ©s qui partent du dĂ©lire. La Comtesse, priant, les mains jointes. Grand Dieu! tu ne permets donc pas que le crime le plus cachĂ© demeure toujours impuni! Le Comte ... Et de la main du corrupteur. Il lit. "L'ami qui vous rendra ceci, quand je ne serai plus, est sĂ»r." La Comtesse, priant. Frappe, mon Dieu, car je l'ai mĂ©ritĂ©! Le Comte, lit. "Si la mort d'un infortunĂ© vous inspirait un reste de pitiĂ©, parmi les noms qu'on va donner Ă ce fils, hĂ©ritier 'un autre..." La Comtesse, priant. Accepte l'horreur que j'Ă©prouve, en expiation de ma faute! Le Comte, lit. "Puis-je espĂ©rer que le nom de LĂ©on..." Il parle. Et ce fils s'appelle LĂ©on! La Comtesse, Ă©garĂ©e, les yeux fermĂ©s. O Dieu! mon crime fut bien grand, s'il Ă©gala ma punition! Que ta volontĂ© s'accomplisse! Le Comte, plus fort. Et, couverte de cet opprobre, vous osez me demander compte de mon Ă©loignement pour lui? La Comtesse, priant toujours. Qui suis-je pour m'y opposer, lorsque ton bras s'appesantit? Le Comte Et, lorsque vous plaidez pour l'enfant de ce malheureux, vous avez au bras mon portrait! La Comtesse, en le dĂ©tachant, le regarde. Monsieur, monsieur, je le rendrai; je sais que je n'en suis pas digne. Dans le plus grand Ă©garement. Ciel! que m'arrive-t-il? Ah! je perds la raison! Ma conscience troublĂ©e fait naĂtre des fantĂÂŽmes! - RĂ©probation anticipĂ©e! - Je vois ce qui n'existe pas... Ce n'est plus vous, c'est lui qui me fait signe de le suivre, d'aller le rejoindre au tombeau! Le Comte, effrayĂ©. Comment? Eh bien! non, ce n'est pas... La Comtesse, en dĂ©lire. Ombre terrible! Ă©loigne-toi!... Le Comte crie avec douleur. Ce n'est pas ce que vous croyez! La Comtesse jette le bracelet par terre. Attends... Oui, je t'obĂ©irai... Le Comte, plus troublĂ©. Madame, Ă©coutez-moi... La Comtesse J'irai... Je t'obĂ©is... Je meurs. Elle reste Ă©vanouie. Le Comte, effrayĂ©, ramasse le bracelet. J'ai passĂ© la mesure. Elle se trouve mal... Ah! Dieu, courons lui chercher du secours. Il sort, il s'enfuit. - Les convulsions de la douleur font glisser la Comtesse Ă terre. ScĂšne XIV LĂ©on, accourant; La Comtesse, Ă©vanouie. LĂ©on, avec force. O ma mĂšre! ma mĂšre! c'est moi qui te donne la mort! Il l'enlĂšve et la remet sur son fauteuil, Ă©vanouie. Que ne suis-je parti sans rien exiger de personne! j'aurais prĂ©venu ces horreurs! ScĂšne XV Le Comte, Suzanne, LĂ©on, La Comtesse, Ă©vanouie. Le Comte, en rentrant, s'Ă©crie Et son fils! LĂ©on, Ă©garĂ©. Elle est morte! Ah! je ne lui survivrai pas! Il l'embrasse en criant. Le Comte, effrayĂ©. Des sels! des sels! Suzanne! Un million si vous la sauvez! LĂ©on O malheureuse mĂšre! Suzanne Madame, aspirez ce flacon. Soutenez-la, monsieur; je vais tĂÂącher de la desserrer. Le Comte, Ă©garĂ©. Romps tout, arrache tout! Ah! j'aurais dĂ» la mĂ©nager! LĂ©on, criant avec dĂ©lire. Elle est morte! elle est morte! ScĂšne XVI Le Comte, Suzanne, LĂ©on, La Comtesse, Ă©vanouie, Figaro, accourant. Figaro Eh! qui morte? madame? Apaisez donc ces cris! c'est vous qui la ferez mourir! Il lui prend le bras. Non, elle ne l'est pas ce n'est qu'une suffocation; le sang qui monte avec violence. Sans perdre de temps, il faut la soulager. Je vais chercher ce qu'il lui faut. Le Comte, hors de lui. Des ailes, Figaro! ma fortune est Ă toi. Figaro, vivement. J'ai bien besoin de vos promesses lorsque madame est en pĂ©ril! Il sort en courant. ScĂšne XVII Le Comte, LĂ©on, La Comtesse, Ă©vanouie, Suzanne. LĂ©on, lui tenant le flacon sous le nez. Si l'on pouvait la faire respirer! O Dieu! rends-moi ma malheureuse mĂšre!... La voici qui revient. Suzanne, pleurant. Madame! allons, madame!... La Comtesse, revenant Ă elle. Ah! qu'on a de peine Ă mourir! LĂ©on, Ă©garĂ©. Non, maman, vous ne mourrez pas! La Comtesse, Ă©garĂ©e. O ciel! Entre mes juges! entre mon Ă©poux et mon fils! tout est connu... et, criminelle envers tous deux... Elle se jette Ă terre et se prosterne. Vengez-vous l'un et l'autre! Il n'est plus de pardon pour moi! Avec horreur. MĂšre coupable! Ă©pouse indigne! un instant nous a tous perdus. J'ai mis l'horreur dans ma famille! j'allumai la guerre intestine entre le pĂšre et les enfants! Ciel juste, il Fallait bien que ce crime fĂ»t dĂ©couvert! Puisse ma mort expier mon forfait! Le Comte, au dĂ©sespoir. Non, revenez Ă vous! votre douleur a dĂ©chirĂ© mon ĂÂąme! Asseyons-la, LĂ©on!... mon fils! LĂ©on fait un grand mouvement. Suzanne, asseyons-la. Ils la remettent sur le fauteuil. ScĂšne XVIII Les PrĂ©cĂ©dents, Figaro. Figaro, accourant. Elle a repris sa connaissance? Suzanne Ah! Dieu! j'Ă©touffe aussi. Elle se desserre. Le Comte crie. Figaro! vos secours! Figaro, Ă©touffĂ©. Un moment, calmez-vous. Son Ă©tat n'est plus si pressant. Moi qui Ă©tais dehors, grand Dieu! Je suis rentrĂ© bien Ă propos!... Elle m'avait fort effrayĂ©! Allons, madame, du courage! La Comtesse, priant, renversĂ©e. Dieu de bontĂ©, fais que je meure! LĂ©on, en l'asseyant mieux. Non, maman, vous ne mourrez pas, et nous rĂ©parerons nos torts. Monsieur! vous que je n'outragerai plus en vous donnant un autre nom, reprenez vos titres, vos biens; je n'y avais nul droit hĂ©las! je l'ignorais. Mais, par pitiĂ©, n'Ă©crasez point d'un dĂ©shonneur public cette infortunĂ©e qui fut vĂÂŽtre... Une erreur expiĂ©e par vingt annĂ©es de larmes est-elle encore un crime, a lors qu'on fait justice? Ma mĂšre et moi, nous nous bannissons de chez vous. Le Comte, exaltĂ©. Jamais! Vous n'en sortirez point. LĂ©on Un couvent sera sa retraite; et moi, sous mon nom de LĂ©on, sous le simple habit d'un soldat, je dĂ©fendrai la libertĂ© de notre nouvelle patrie. Inconnu, je mourrai pour elle, ou je la servirai en zĂ©lĂ© citoyen. Suzanne pleure dans un coin; Figaro est absorbĂ© dans l'autre. La Comtesse, pĂ©niblement. LĂ©on! mon cher enfant! ton courage me rend la vie. Je puis encore la supporter, puisque mon fils a la vertu de ne pas dĂ©tester sa mĂšre. Cette fiertĂ© dans le malheur sera ton noble patrimoine. Il m'Ă©pousa sans biens; n'exigeons rien de lui. Le travail de mes mains soutiendra ma faible existence, et toi, tu serviras l'Etat. Le Comte, avec dĂ©sespoir. Non, Rosine! jamais! C'est moi qui suis le vrai coupable! De combien de vertus je privais ma triste vieillesse! La Comtesse Vous en serez enveloppĂ©. - Florestine et BĂ©gearss vous restent. Floresta, votre fille, l'enfant chĂ©ri de votre coeur!... Le Comte, Ă©tonnĂ©. Comment?... d'oĂÂč savez-vous?... qui vous l'a dit?... La Comtesse Monsieur, donnez-lui tous vos biens; mon fils et moi n'y mettrons point d'obstacle; son bonheur nous consolera. Mais, avant de nous sĂ©parer, que j'obtienne au moins une grĂÂące! Apprenez-moi comment vous ĂÂȘtes possesseur d'une lettre que je croyais brĂ»lĂ©e avec les autres? Quelqu'un m'a-t-il trahie? Figaro, s'Ă©criant. Oui! l'infĂÂąme BĂ©gearss! Je l'ai surpris tantĂÂŽt qui la remettait Ă monsieur. Le Comte, parlant vite. Non, je la dois au seul hasard. Ce matin, lui et moi, pour un tout autre objet, nous examinions votre Ă©crin, sans nous douter qu'il eĂ»t un double fond. Dans le dĂ©bat, et sous ses doigts, le secret s'est ouvert soudain, Ă son trĂšs grand Ă©tonnement. Il a cru le coffre brisĂ©! Figaro, criant plus fort. Son Ă©tonnement d'un secret? Monstre! c'est lui qui l'a fait faire! Le Comte Est-il possible? La Comtesse Il est trop vrai! Le Comte Des papiers frappent nos regards; il en ignorait l'existence; et, quand j'ai voulu les lui lire, il a refusĂ© de les voir. Suzanne, s'Ă©criant. Il les a lus cent fois avec madame! Le Comte Est-il vrai? Les connaissait-il? La Comtesse Ce fut lui qui me les remit, qui les apporta de l'armĂ©e, lorsqu'un infortunĂ© mourut. Le Comte Cet ami sĂ»r, instruit de tout?... Figaro, La Comtesse, Suzanne, ensemble, criant. C'est lui! Le Comte O scĂ©lĂ©ratesse infernale! Avec quel art il m'avait engagĂ©! A prĂ©sent je sais tout. Figaro Vous le croyez! Le Comte Je connais son affreux projet. Mais, pour en ĂÂȘtre plus certain, dĂ©chirons le voile en entier. Par qui savez-vous donc ce qui touche ma Florestine? La Comtesse, vite. Lui seul m'en a fait confidence. LĂ©on, vite. Il me l'a dit sous le secret. Suzanne, vite. Il me l'a dit aussi. Le Comte, avec horreur. O monstre! Et moi j'allais la lui donner! mettre ma fortune en ses mains! Figaro, vivement. Plus d'un tiers y serait dĂ©jĂ , si je n'avais portĂ©, sans vous le dire, vos trois millions d'or en dĂ©pĂÂŽt chez monsieur Fal; vous alliez l'en rendre le maĂtre; heureusement je m'en suis doutĂ©; je vous ai donnĂ© son reçu... Le Comte, vivement. Le scĂ©lĂ©rat vient de me l'enlever pour en aller toucher la somme. Figaro, dĂ©solĂ©. O proscription sur moi! Si l'argent est remis, tout ce que j'ai fait est perdu! Je cours chez monsieur Fal. Dieu veuille qu'il ne soit pas trop tard! Le Comte, Ă Figaro. Le traĂtre n'y peut ĂÂȘtre encore. Figaro S'il a perdu un temps, nous le tenons. J'y cours. Il veut sortir. Le Comte, vivement, l'arrĂÂȘte. Mais, Figaro, que le fatal secret dont ce moment vient de t'instruire reste enseveli dans ton sein! Figaro, avec une grande sensibilitĂ©. Mon maĂtre, il y a vingt ans qu'il est dans ce sein-lĂ , et dix que je travaille Ă empĂÂȘcher qu'un monstre n'en abuse! Attendez surtout mon retour, avant de prendre aucun parti. Le Comte, vivement. Penserait-il se disculper? Figaro Il fera tout pour le tenter. Il tire une lettre de sa poche. Mais voici le prĂ©servatif. Lisez le contenu de cette Ă©pouvantable lettre; le secret de l'enfer est lĂ . Vous me saurez bon grĂ© d'avoir tout fait pour me la procurer. Il lui remet la lettre de BĂ©gearss. Suzanne! des gouttes Ă ta maĂtresse. Tu sais comment je les prĂ©pare. Il lui donne un flacon. Passez-la sur sa chaise longue; et le plus grand calme autour d'elle. Monsieur, au moins ne recommencez pas; elle s'Ă©teindrait dans nos mains! Le Comte, exaltĂ©. Recommencer! Je me ferais horreur! Figaro, Ă la Comtesse. Vous l'entendez, madame? Le voilĂ dans son caractĂšre! Et c'est mon maĂtre que j'entends. Ah! je l'ai toujours dit de lui la colĂšre, chez les bons coeurs, n'est qu'un besoin pressant de pardonner! Il s'enfuit. - Le Comte et LĂ©on la prennent sous les bras, ils sortent tous. Acte cinquiĂšme Le thĂ©ĂÂątre reprĂ©sente le grand salon du premier acte. ScĂšne I Le Comte, La Comtesse, LĂ©on, Suzanne. La Comtesse, sans rouge, dans le plus grand dĂ©sordre de parure. LĂ©on, soutenant sa mĂšre. Il fait trop chaud, maman, dans l'appartement intĂ©rieur. Suzanne, avance une bergĂšre. On l'assied. Le Comte, attendri, arrangeant les coussins. Etes-vous bien assise? Eh quoi! pleurer encore? La Comtesse, accablĂ©e. Ah! laissez-moi verser des larmes de soulagement! Ces rĂ©cits affreux m'ont brisĂ©e! cette infĂÂąme lettre surtout. Le Comte, dĂ©lirant. MariĂ© en Irlande, il Ă©pousait ma fille! Et tout mon bien placĂ© sur la banque de Londres eĂ»t fait vivre un repaire affreux jusqu'Ă la mort du dernier de nous tous!... Et qui sait, grand Dieu, quels moyens?... La Comtesse Homme infortunĂ©, calmez-vous! mais il est temps de faire descendre Florestine; elle avait le coeur si serrĂ© de ce qui devait lui arriver! Va la chercher, Suzanne; et ne l'instruis de rien. Le Comte, avec dignitĂ©. Ce que j'ai dit Ă Figaro, Suzanne, Ă©tait pour vous comme pour lui. Suzanne Monsieur, celle qui vit madame pleurer, prier pendant vingt ans, a trop gĂ©mi de ses douleurs pour rien faire qui les accroisse! Elle sort. ScĂšne II Le Comte, La Comtesse, LĂ©on. Le Comte, avec un vif sentiment. Ah! Rosine, sĂ©chez vos pleurs; et maudit soit qui vous affligera! La Comtesse Mon fils! embrasse les genoux de ton gĂ©nĂ©reux protecteur, et rends-lui grĂÂące pour ta mĂšre. Il veut se mettre Ă genoux. Le Comte le relĂšve. Oublions le passĂ©, LĂ©on. Gardons-en le silence, et n'Ă©mouvons plus votre mĂšre. Figaro demande un grand calme. Ah! Respectons surtout la jeunesse de Florestine, en lui cachant soigneusement les causes de cet accident. ScĂšne III Florestine, Suzanne, Les PrĂ©cĂ©dents. Florestine, accourant. Mon Dieu! maman, qu'avez-vous donc? La Comtesse Rien que d'agrĂ©able Ă t'apprendre; et ton parrain va t'en instruire. Le Comte HĂ©las! ma Florestine, je frĂ©mis du pĂ©ril oĂÂč j'allais plonger ta jeunesse. GrĂÂące au ciel, qui dĂ©voile tout, tu n'Ă©pouseras point BĂ©gearss! Non, tu ne seras point la femme du plus Ă©pouvantable ingrat!... Florestine Ah! Ciel! LĂ©on!... LĂ©on Ma soeur, il nous a tous jouĂ©s! Florestine, au Comte. Sa soeur! Le Comte Il nous trompait. Il trompait les uns par les autres, et tu Ă©tais le prix de ses horribles perfidies. Je vais le chasser de chez moi. La Comtesse L'instinct de ta frayeur te servait mieux que nos lumiĂšres. Aimable enfant, rends grĂÂąces au ciel qui te sauve d'un tel danger. LĂ©on Ma soeur, il nous a tous jouĂ©s! Florestine, au Comte. Monsieur, il m'appelle sa soeur! La Comtesse, exaltĂ©e. Oui, Floresta, tu es Ă nous. C'est lĂ notre secret chĂ©ri. VoilĂ ton pĂšre, voilĂ ton frĂšre; et moi, je suis ta mĂšre pour la vie. Ah! garde-toi de l'oublier jamais! Elle tend la main au Comte. Almaviva, pas vrai qu'elle est ma fille? Le Comte, exaltĂ©. Et lui, mon fils; voilĂ nos deux enfants. Tous se serrent dans les bras l'un de l'autre. ScĂšne IV Figaro, M. Fal, notaire; Les PrĂ©cĂ©dents. Figaro, accourant et jetant son manteau. MalĂ©diction! Il a le portefeuille. J'ai vu le traĂtre l'emporter, quand je suis entrĂ© chez monsieur. Le Comte O monsieur Fal! vous vous ĂÂȘtes pressĂ©! M. Fal, vivement. Non, monsieur, au contraire. Il est restĂ© plus d'une heure avec moi, m'a fait achever le contrat, y insĂ©rer la donation qu'il fait. Puis il m'a remis mon reçu, au bas duquel Ă©tait le vĂÂŽtre, en me disant que la somme est Ă lui, qu'elle est un fruit d'hĂ©rĂ©ditĂ©, qu'il vous l'a remise en confiance... Le Comte O scĂ©lĂ©rat! Il n'oublie rien! Figaro Que de trembler sur l'avenir! M. Fal Avec ces Ă©claircissements, ai-je pu refuser le portefeuille qu'il exigeait? Ce sont trois millions au porteur. Si vous rompez le mariage et qu'il veuille garder l'argent, c'est un mal presque sans remĂšde. Le Comte, avec vĂ©hĂ©mence. Que tout l'or du monde pĂ©risse, et que je sois dĂ©barrassĂ© de lui! Figaro, jetant son chapeau sur un fauteuil, DussĂ©-je ĂÂȘtre pendu, il n'en gardera pas une obole. A Suzanne. Veille au-dehors, Suzanne. Elle sort. M. Fal Avez-vous un moyen de lui faire avouer devant de bons tĂ©moins qu'il tient ce trĂ©sor de monsieur? Sans cela, je dĂ©fie qu'on puisse le lui arracher. Figaro S'il apprend par son Allemand ce qui se passe dans l'hĂÂŽtel, il n'y rentrera plus. Le Comte, vivement. Tant mieux! c'est tout ce que je veux. Ah! qu'il garde le reste. Figaro, vivement. Lui laisser par dĂ©pit l'hĂ©ritage de vos enfants? ce n'est pas vertu, c'est faiblesse. LĂ©on, fĂÂąchĂ©. Figaro! Figaro, plus fort. Je ne m'en dĂ©dis point. Au Comte. Qu'obtiendra donc de vous l'attachement, si vous payez ainsi la perfidie? Le Comte, se fĂÂąchant. Mais l'entreprendre sans succĂšs, c'est lui mĂ©nager un triomphe... ScĂšne V Les PrĂ©cĂ©dents, Suzanne. Suzanne, Ă la porte et criant. Monsieur BĂ©gearss qui rentre! Elle sort. ScĂšne VI Les PrĂ©cĂ©dents, exceptĂ© Suzanne. Ils font tous un grand mouvement. Le Comte, hors de lui. Oh! traĂtre! Figaro, trĂšs vite. On ne peut plus se concerter; mais si vous m'Ă©coutez et me secondez tous pour lui donner une sĂ©curitĂ© profonde, j'engage ma tĂÂȘte au succĂšs. M. Fal Vous allez lui parler du portefeuille et du contrat? Figaro, trĂšs vite. Non pas; il en sait trop pour l'entamer si brusquement! Il faut l'amener de plus loin Ă faire un aveu volontaire. Au Comte. Feignez de vouloir me chasser. Le Comte, troublĂ©. Mais, mais... sur quoi? ScĂšne VII Les PrĂ©cĂ©dents, Suzanne, BĂ©gearss. Suzanne, accourant. Monsieur BĂ©geaaaaaaarss! Elle se range prĂšs de La Comtesse. - BĂ©gearss montre une grande surprise. Figaro, s'Ă©crie en le voyant. Monsieur BĂ©gearss! Humblement. Eh bien! ce n'est qu'une humiliation de plus. Puisque vous attachez Ă l'aveu de mes torts le pardon que je sollicite, j'espĂšre que monsieur ne sera pas moins gĂ©nĂ©reux. BĂ©gearss, Ă©tonnĂ©. Qu'y a-t-il donc? je vous trouve assemblĂ©s! Le Comte, brusquement. Pour chasser un sujet indigne. BĂ©gearss, plus surpris encore, voyant le notaire. Et monsieur Fal? M. Fal, lui montrant le contrat. Voyez qu'on ne perd point de temps; tout ici concourt avec vous. BĂ©gearss, surpris. Ha! Ha!... Le Comte, impatient, Ă Figaro. Pressez-vous; ceci me fatigue. Pendant cette scĂšne, BĂ©gearss les examine l'un aprĂšs l'autre avec la plus grande attention. Figaro, l'air suppliant, adressant la parole au Comte. Puisque la feinte est inutile, achevons mes tristes aveux. Oui, pour nuire Ă monsieur BĂ©gearss, je rĂ©pĂšte avec confusion que je me suis mis Ă l'Ă©pier, le suivre et le troubler partout au Comte car monsieur n'avait pas sonnĂ© lorsque je suis entrĂ© chez lui pour savoir ce qu'on y faisait du coffre aux brillants de madame, que j'ai trouvĂ© lĂ tout ouvert. BĂ©gearss Certes! ouvert Ă mon grand regret! Le Comte fait un mouvement inquiĂ©tant. A part. Quelle audace! Figaro, se courbant, le tire par l'habit pour l'avertir. Ah! mon maĂtre! M. Fal, effrayĂ©. Monsieur! BĂ©gearss, du Comte, Ă part. ModĂ©rez-vous, ou nous ne saurons rien. Le Comte frappe du pied; BĂ©gearss l'examine. Figaro, soupirant, dit au Comte C'est ainsi que, sachant madame enfermĂ©e avec lui, pour brĂ»ler de certains papiers dont je connaissais l'importance, je vous ai fait venir subitement. BĂ©gearss, au Comte. Vous l'ai-je dit? Le Comte mord son mouchoir de fureur. Suzanne, bas Ă Figaro, par-derriĂšre. AchĂšve, achĂšve! Figaro Enfin, vous voyant tous d'accord j'avoue que j'ai fait l'impossible pour provoquer entre madame et vous la vive explication... qui n'a pas eu la fin que j'espĂ©rais... Le Comte, Ă Figaro, avec colĂšre. Finissez-vous ce plaidoyer? Figaro, bien humble. HĂ©las! je n'ai plus rien Ă dire, puisque c'est cette explication qui a fait chercher monsieur Fal, pour finir ici le contrat. L'heureuse Ă©toile de monsieur a triomphĂ© de tous mes artifices... Mon maĂtre! en faveur de trente ans... Le Comte, avec humeur. Ce n'est pas Ă moi de juger. Il marche vite. Figaro Monsieur BĂ©gearss! BĂ©gearss, qui a repris sa sĂ©curitĂ©, dit ironiquement Qui! moi? cher ami, je ne comptais guĂšre vous avoir tant d'obligations! Elevant son ton. Voir mon bonheur accĂ©lĂ©rĂ© par le coupable effort destinĂ© Ă me le ravir! A LĂ©on et Florestine. O jeunes gens! quelle leçon! Marchons avec candeur dans le sentier de la vertu. Voyez que tĂÂŽt ou tard l'intrigue est la perte de son auteur. Figaro, prosternĂ©. Ah! Oui! BĂ©gearss, au Comte. Monsieur, pour cette fois encore, et qu'il parte! Le Comte, Ă BĂ©gearss, durement. C'est lĂ votre arrĂÂȘt?... J'y souscris. Figaro, ardemment. Monsieur BĂ©gearss! je vous le dois. Mais je vois M. Fal pressĂ© d'achever un contrat... Le Comte, brusquement. Les articles m'en sont connus. M. Fal Hors celui-ci. Je vais vous lire la donation que monsieur fait... Cherchant l'endroit. M, M, M, messire James-HonorĂ© BĂ©gearss... Ah! Il lit. "Et pour donner Ă la demoiselle future Ă©pouse une preuve non Ă©quivoque de son attachement pour elle, ledit seigneur futur Ă©poux lui fait donation entiĂšre de tous les grands biens qu'il possĂšde; consistant aujourd'hui il appuie en lisant ainsi qu'il le dĂ©clare et les a exhibĂ©s Ă nous notaires soussignĂ©s, en trois millions d'or ici joints, en trĂšs bons effets au porteur." Il tend la main en lisant. BĂ©gearss Les voilĂ dans ce portefeuille. Il donne le portefeuille Ă Fal.! Il manque deux milliers de louis, que je viens d'en ĂÂŽter pour fournir aux apprĂÂȘts des noces. Figaro, montrant le Comte, et vivement. Monsieur a dĂ©cidĂ© qu'il payerait tout; j'ai l'ordre. BĂ©gearss, tirant les effets de sa poche, et les remettant au notaire. En ce cas, enregistrez-les; que la donation soit entiĂšre! Figaro, retournĂ©, se tient la bouche pour ne pas rire. M. Fal ouvre le portefeuille, y remet les effets. M. Fal, montrant Figaro. Monsieur va tout additionner, pendant que nous achĂšverons. Il donne le portefeuille ouvert Ă Figaro qui, voyant les effets, dit Figaro, l'air exaltĂ©. Et moi j'Ă©prouve qu'un bon repentir est comme toute bonne action, qu'il porte aussi sa rĂ©compense. BĂ©gearss En quoi? Figaro J'ai le bonheur de m'assurer qu'il est ici plus d'un gĂ©nĂ©reux homme. Oh! que le ciel comble les voeux de deux amis aussi parfaits! Nous n'avons nul besoin d'Ă©crire. ,Au Comte. Ce sont vos effets au porteur oui, monsieur, je les reconnais. Entre monsieur BĂ©gearss et vous, c'est un combat de gĂ©nĂ©rositĂ© l'un donne ses biens Ă l'Ă©poux, l'autre les rend Ă sa future! Aux jeunes gens. Monsieur, mademoiselle! ah! quel bienfaisant protecteur, et que vous allez le chĂ©rir!... Mais que dis-je? l'enthousiasme m'aurait-il fait commettre une indiscrĂ©tion offensante? Tout le monde garde le silence. BĂ©gearss, un peu surpris, se remet, prend son parti, et dit Elle ne peut l'ĂÂȘtre pour personne, si mon ami ne la dĂ©savoue pas; s'il met mon ĂÂąme Ă l'aise, en me permettant d'avouer que je tiens de lui ces effets. Celui-lĂ n'a pas un bon coeur, que la gratitude fatigue, et cet aveu manquait Ă ma satisfaction. Montrant le Comte. Je lui dois bonheur et fortune; et quand je les partage avec sa digne fille, je ne fais que lui rendre ce qui lui appartient de droit. Remettez-moi le portefeuille; je ne veux avoir que l'honneur de le mettre Ă ses pieds moi-mĂÂȘme, en signant notre heureux contrat. Il veut le reprendre. Figaro, sautant de joie. Messieurs, vous l'avez entendu? Vous tĂ©moignerez s'il le faut. Mon maĂtre voilĂ vos effets; donnez-les Ă leur dĂ©tenteur, si votre coeur l'en juge digne. Il lui remet le portefeuille. Le Comte, se levant, Ă BĂ©gearss. Grand Dieu! Les lui donner! Homme cruel, sortez de ma maison l'enfer n'est pas aussi profond que vous! GrĂÂące Ă ce bon vieux serviteur, mon imprudence est rĂ©parĂ©e sortez Ă l'instant de chez moi! BĂ©gearss O mon ami, vous ĂÂȘtes encore trompĂ©! Le Comte, hors de lui, le bride de sa lettre ouverte. Et cette lettre, monstre m'abuse-t-elle aussi? BĂ©gearss la voit; furieux, il arrache au Comte la lettre, et se montre tel qu'il est. Ah!... je suis jouĂ©! mais j'en aurai raison. LĂ©on Laissez en paix une famille que vous avez remplie d'horreur. BĂ©gearss, furieux. Jeune insensĂ©! c'est toi qui vas payer pour tous; je t'appelle au combat. LĂ©on, vite. J'y cours. Le Comte, vite. LĂ©on! La Comtesse, vite. Mon fils! Florestine, Vite. Mon frĂšre! Le Comte LĂ©on! je vous dĂ©fends... A BĂ©gearss. Vous vous ĂÂȘtes rendu indigne de l'honneur que vous demandez ce n'est point par cette voie-lĂ qu'un homme comme vous doit terminer sa vie. BĂ©gearss fait un geste affreux, sans parler. Figaro, arrĂÂȘtant LĂ©on, vivement. Non, jeune homme, vous n'irez point, monsieur votre pĂšre a raison, et l'opinion est rĂ©formĂ©e sur cette horrible frĂ©nĂ©sie on ne combattra plus ici que les ennemis de l'Etat. Laissez-le en proie Ă sa fureur; et s'il ose vous attaquer, dĂ©fendez-vous comme d'un assassin. Personne ne trouve mauvais qu'on tue une bĂÂȘte enragĂ©e! Mais il se gardera de l'oser l'homme capable de tant d'horreurs doit ĂÂȘtre aussi lĂÂąche que vil! BĂ©gearss, hors de lui. Malheureux! Le Comte, frappant du pied. Nous laissez-vous enfin? c'est un supplice de vous voir, La Comtesse est effrayĂ©e sur son siĂšge; Florestine et Suzanne la soutiennent; LĂ©on se rĂ©unit Ă elles. BĂ©gearss, les dents serrĂ©es. Oui, morbleu! je vous laisse; mais j'ai la preuve en main de votre infĂÂąme trahison! Vous n'avez demandĂ© l'agrĂ©ment de Sa MajestĂ©, pour Ă©changer vos biens d'Espagne, que pour ĂÂȘtre Ă portĂ©e de troubler sans pĂ©ril l'autre cĂÂŽtĂ© des PyrĂ©nĂ©es. Le Comte O monstre! que dit-il? BĂ©gearss Ce que je vais dĂ©noncer Ă Madrid. N'y eĂ»t-il que le buste en grand d'un Washington dans votre cabinet, j'y fais confisquer tous vos biens. Figaro, criant. Certainement; le tiers au dĂ©nonciateur. BĂ©gearss Mais pour que vous n'Ă©changiez rien, je cours chez notre ambassadeur arrĂÂȘter dans ses mains l'agrĂ©ment de Sa MajestĂ© que l'on attend par ce courrier. Figaro, tirant un paquet de sa poche, s'Ă©crie vivement L'agrĂ©ment du Roi? le voici. J'avais prĂ©vu le coup je viens, de votre part, d'enlever le paquet au secrĂ©tariat d'ambassade. Le courrier d'Espagne arrivait! Le Comte, avec vivacitĂ©, prend le paquet. BĂ©gearss, furieux, frappe sur son front, fait deux pas pour sortir, et se retourne. Adieu, famille abandonnĂ©e, maison sans moeurs et sans honneur! Vous aurez l'impudeur de conclure un mariage abominable, en unissant le frĂšre avec sa soeur mais l'univers saura votre infamie! Il sort. Scene VIII et derniĂšre. - Les PrĂ©cĂ©dents, exceptĂ© BĂ©gearss. Figaro, follement. Qu'il fasse des libelles, derniĂšre ressource des lĂÂąches! il n'est plus dangereux. Bien dĂ©masquĂ©, Ă bout de voie, et pas vingt-cinq louis dans le monde! Ah! monsieur Fal, je me serais poignardĂ© s'il eĂ»t gardĂ© les deux mille louis qu'il avait soustraits du paquet! Il reprend un ton grave. D'ailleurs, nul ne sait mieux que lui, que, par la nature et la loi, ces jeunes gens ne se sont rien, qu'ils sont Ă©trangers l'un Ă l'autre. Le Comte, l'embrasse et crie O Figaro!... Madame, il a raison. LĂ©on, trĂšs vite. Dieux! maman! quel espoir! Florestine, au Comte. Eh quoi! monsieur, n'ĂÂȘtes-vous plus?... Le Comte, ivre de joie. Mes enfants, nous y reviendrons; et nous consulterons, sous des noms supposĂ©s, des gens de loi discrets, Ă©clairĂ©s, pleins d'honneur. O mes enfants! Il vient un ĂÂąge oĂÂč les honnĂÂȘtes gens se pardonnent leurs torts, leurs anciennes faiblesses, font succĂ©der un doux attachement aux passions orageuses qui les avaient trop dĂ©sunis. Rosine c'est le nom que votre Ă©poux vous rend allons nous reposer des fatigues de la journĂ©e. Monsieur Fal! restez avec nous. Venez, mes deux enfants! Suzanne, embrasse ton mari! et que nos sujet de querelles soient ensevelis pour toujours! A Figaro. Les deux mille louis qu'il avait soustraits, je te les donne, en attendant la rĂ©compense qui t'est bien due! Figaro, vivement. A moi, monsieur? Non, s'il vous plaĂt! moi, gĂÂąter par un vil salaire le bon service que j'ai fait! Ma rĂ©compense est de mourir chez vous. Jeune, si j'ai failli souvent, que ce jour acquitte ma vie! O ma vieillesse, pardonne Ă ma jeunesse; elle s'honorera de toi. Un jour a changĂ© notre Ă©tat! plus d'oppresseur, d'hypocrite insolent; chacun a bien fait son devoir. Ne plaignons point quelques moments de trouble; on gagne assez dans les familles, quand on en expulse un mĂ©chant. FIN DU CINQUIEME ET DERNIER ACTE. Le Barbier de SĂ©ville ou La prĂ©caution inutile Lettre modĂ©rĂ©e sur la chute et la critique du Barbier de SĂ©ville L'auteur vĂÂȘtu modestement et courbĂ© prĂ©sentant sa piĂšce au lecteur Monsieur, J'ai l'honneur de vous offrir un nouvel opuscule de ma façon. Je souhaite vous rencontrer dans un de ces moments heureux oĂÂč, dĂ©gagĂ© de soins, content de votre santĂ©, de vos affaires, de votre maĂtresse, de votre dĂner, de votre estomac, vous puissiez vous plaire un moment Ă la lecture de mon Barbier de SĂ©ville; car il faut tout cela pour ĂÂȘtre homme amusable et lecteur indulgent. Mais si quelque accident a dĂ©rangĂ© votre santĂ©; si votre Ă©tat est compromis; si votre belle a forfait Ă ses serments; si votre dĂner fut mauvais ou votre digestion laborieuse, ah! laissez mon Barbier; ce n'est pas lĂ l'instant examinez l'Ă©tat de vos dĂ©penses, Ă©tudiez le factum de votre adversaire, relisez ce traĂtre billet surpris Ă Rose, ou parcourez les chefs-d'oeuvre de Tissot sur la tempĂ©rance, et faites des rĂ©flexions politiques, Ă©conomiques, diĂ©tĂ©tiques, philosophiques ou morales. Ou si votre Ă©tat est tel qu'il vous faille absolument l'oublier, enfoncez-vous dans une bergĂšre, ouvrez le journal Ă©tabli dans Bouillon avec encyclopĂ©die, approbation et privilĂšge, et dormez vite une heure ou deux. Quel charme aurait une production lĂ©gĂšre au milieu des plus noires vapeurs? Et que vous importe en effet si Figaro le barbier s'est bien moquĂ© de Bartholo le mĂ©decin, en aidant un rival Ă lui souffler sa maĂtresse? On rit peu de la gaietĂ© d'autrui, quand on a de l'humeur pour son propre compte. Que vous fait encore si ce barbier espagnol, en arrivant dans Paris, essuya quelques traverses, et si la prohibition de ses exercices a donnĂ© trop d'importance aux rĂÂȘveries de mon bonnet? On ne s'intĂ©resse guĂšre aux affaires des autres que lorsqu'on est sans inquiĂ©tude sur les siennes. Mais enfin tout va-t-il bien pour vous? Avez-vous Ă souhait double estomac, bon cuisinier, maĂtresse honnĂÂȘte et repos imperturbable? Ah! parlons, parlons donnez audience Ă mon Barbier. Je sens trop, monsieur, que ce n'est plus le temps oĂÂč, tenant mon manuscrit en rĂ©serve, et semblable Ă la coquette qui refuse souvent ce qu'elle brĂ»le toujours d'accorder, j'en faisais quelque avare lecture Ă des gens prĂ©fĂ©rĂ©s, qui croyaient devoir payer ma complaisance par un Ă©loge pompeux de mon ouvrage. O jours heureux! Le lieu, le temps, l'auditoire Ă ma dĂ©votion, et la magie d'une lecture adroite assurant mon succĂšs, je glissais sur le morceau faible en appuyant les bons endroits; puis, recueillant les suffrages du coin de l'oeil avec une orgueilleuse modestie, je jouissais d'un triomphe d'autant plus doux, que le jeu d'un fripon d'acteur ne m'en dĂ©robait pas les trois quarts pour son compte. Que reste-t-il, hĂ©las! de toute cette gibeciĂšre? A l'instant qu'il faudrait des miracles pour vous subjuguer, quand la verge de MoĂÂŻse y suffirait Ă peine, je n'ai plus mĂÂȘme la ressource du bĂÂąton de Jacob; plus d'escamorage, de tricherie de coquetterie, d'inflexions de voix, d'illusion thĂ©ĂÂątrale, rien. C'est ma vertu toute nue que vous allez juger. Ne trouvez donc pas Ă©trange, monsieur, si, mesurant mon style Ă ma situation, je ne fais pas comme ces Ă©crivains qui se donnent le ton de vous appeler nĂ©gligemment lecteur, ami lecteur, cher lecteur, bĂ©nin ou benoĂt lecteur, ou de telle autre dĂ©nomination cavaliĂšre, je dirais mĂÂȘme indĂ©cente, par laquelle ces imprudents essayent de se mettre au pair avec leur juge, et qui ne fait bien souvent que leur en attirer l'animadversion J'ai toujours vu que les airs ne sĂ©duisaient personne, et que le ton modeste d'un auteur pouvait seul inspirer un peu d'indulgence Ă son fier lecteur. Eh! quel Ă©crivain en eut jamais plus besoin que moi? Je voudrais le cacher en vain; j'eus la faiblesse autrefois, monsieur, de vous prĂ©senter, en diffĂ©rents temps, deux tristes drames; productions monstrueuses, comme on sait! car entre la tragĂ©die et la comĂ©die, on n'ignore plus qu'il n'existe rien, c'est un point dĂ©cidĂ©, le maĂtre l'a dit, l'Ă©cole en retentit et pour moi, j'en suis tellement convaincu que si je voulais aujourd'hui mettre au thĂ©ĂÂątre une mĂšre Ă©plorĂ©e, une Ă©pouse trahie, une soeur Ă©perdue, un fils dĂ©shĂ©ritĂ©, pour les prĂ©senter dĂ©cemment au public, je commencerais par leur supposer un beau royaume oĂÂč ils auraient rĂ©gnĂ© de leur mieux, vers l'un des archipels, ou dans tel autre coin du monde; certain aprĂšs cela que l'invraisemblance du roman, l'Ă©normitĂ© des faits, l'enflure des caractĂšres, le gigantesque des idĂ©es et la bouffissure du langage, loin de m'ĂÂȘtre imputĂ©s Ă reproche, assureraient encore mon succĂšs. PrĂ©senter des hommes d'une condition moyenne accablĂ©s et dans le malheur! fi donc! On ne doit jamais les montrer que bafouĂ©s. Les citoyens ridicules et les rois malheureux, voilĂ tout le thĂ©ĂÂątre existant et possible; et je me le tiens pour dit, c'est fait, je ne veux plus quereller avec personne. J'ai donc eu la faiblesse autrefois, monsieur, de faire des drames qui n'Ă©taient pas du bon genre; et je m'en repens beaucoup. PressĂ© depuis par les Ă©vĂ©nements, j'ai hasardĂ© de malheureux MĂ©moires, que mes ennemis n'ont pas trouvĂ©s du bon style, et j'en ai le remords cruel. Aujourd'hui je fais glisser sous vos yeux une comĂ©die fort gaie, que certains maĂtres de goĂ»t n'estiment pas du bon ton; et je ne m'en console point. Peut-ĂÂȘtre un jour oserai-je affliger votre oreille d'un opĂ©ra dont les jeunes gens d'autrefois diront que la musique n'est pas du bon français; et j'en suis tout honteux d'avance. Ainsi, de fautes en pardons, et d'erreurs en excuses, je passerai ma vie Ă mĂ©riter votre indulgence par la bonne foi naĂÂŻve avec laquelle je reconnaĂtrai les unes en vous prĂ©sentant les autres. Quant au Barbier de SĂ©ville, ce n'est pas pour corrompre votre jugement que je prends ici le ton respectueux mais on m'a fort assurĂ© que lorsqu'un auteur Ă©tait sorti, quoique Ă©chinĂ©, vainqueur au thĂ©ĂÂątre, il ne lui manquait plus que d'ĂÂȘtre agréé par vous, monsieur, et lacĂ©rĂ© dans quelques journaux, pour avoir obtenu tous les lauriers littĂ©raires. Ma gloire est donc certaine, si vous daignez m'accorder le laurier de votre agrĂ©ment, persuadĂ© que plusieurs de messieurs les journalistes ne me refuseront pas celui de leur dĂ©nigrement. DĂ©jĂ l'un d'eux, Ă©tabli dans Bouillon avec approbation et privilĂšge, m'a fait l'honneur encyclopĂ©dique d'assurer Ă ses abonnĂ©s que ma piĂšce Ă©tait sans plan, sans unitĂ©, sans caractĂšres, vide d'intrigue et dĂ©nuĂ©e de comique. Un autre plus naĂÂŻf encore, Ă la vĂ©ritĂ© sans approbation, sans privilĂšge, et mĂÂȘme sans encyclopĂ©die, aprĂšs un candide exposĂ© de mon drame, ajoute au laurier de sa critique cet Ă©loge flatteur de ma personne "La rĂ©putation du sieur de Beaumarchais est bien tombĂ©e; et les honnĂÂȘtes gens sont enfin convaincus que, lorsqu'on lui aura arrachĂ© les plumes du paon, il ne restera plus qu'un vilain corbeau noir, avec son effronterie et sa voracitĂ©." Puisqu'en effet j'ai eu l'effronterie de faire la comĂ©die du Barbier de SĂ©ville, pour remplir l'horoscope entier, je pousserai la voracitĂ© jusqu'Ă vous prier humblement, monsieur, de me juger vous-mĂÂȘme, et sans Ă©gard aux critiques passĂ©s, prĂ©sents et futurs; car vous savez que, par Ă©tat, les gens de feuilles sont souvent ennemis des gens de lettres; j'aurai mĂÂȘme la voracitĂ© de vous prĂ©venir qu'Ă©tant saisi de mon affaire, il faut que vous soyez mon juge absolument, soit que vous le vouliez ou non; car vous ĂÂȘtes mon lecteur. Et vous sentez bien, monsieur, que si, pour Ă©viter ce tracas ou me prouver que je raisonne mal, vous refusiez constamment de me lire, vous feriez vous-mĂÂȘme une pĂ©tition de principe au-dessous de vos lumiĂšres n'Ă©tant pas mon lecteur, vous ne seriez pas celui Ă qui s'adresse ma requĂÂȘte. Que si, par dĂ©pit de la dĂ©pendance oĂÂč je parais vous mettre, vous vous avisiez de jeter le livre en cet instant de votre lecture, c'est, monsieur, comme si, au milieu de tout autre jugement, vous Ă©tiez enlevĂ© du tribunal par la mort, ou tel accident qui vous rayĂÂąt du nombre des magistrats. Vous ne pouvez Ă©viter de me juger qu'en devenant nul, nĂ©gatif, anĂ©anti, qu'en cessant d'exister en qualitĂ© de mon lecteur. Eh! quel tort vous fais-je en vous Ă©levant au-dessus de moi? AprĂšs le bonheur de commander aux hommes, le plus grand honneur, monsieur, n'est-il pas de les juger? VoilĂ donc qui est arrangĂ©. Je ne reconnais plus d'autre juge que vous; sans excepter messieurs les spectateurs, qui ne jugeant qu'en premier ressort, voient souvent leur sentence infirmĂ©e Ă votre tribunal. L'affaire avait d'abord Ă©tĂ© plaidĂ©e devant eux au thĂ©ĂÂątre; et, ces messieurs ayant beaucoup ri, j'ai pu penser que j'avais gagnĂ© ma cause Ă l'audience. Point du tout; le journaliste Ă©tabli dans Bouillon prĂ©tend que c'est de moi qu'on a ri. Mais ce n'est lĂ , monsieur, comme on dit en style de palais, qu'une mauvaise chicane de procureur mon but ayant Ă©tĂ© d'amuser les spectateurs, qu'ils aient ri de ma piĂšce ou de moi, s'ils ont ri de bon coeur, le but est Ă©galement rempli ce que j'appelle avoir gagnĂ© ma cause Ă l'audience. Le mĂÂȘme journaliste assure encore, ou du moins laisse entendre que j'ai voulu gagner quelques-uns de ces messieurs, en leur faisant des lectures particuliĂšres, en achetant d'avance leur suffrage par cette prĂ©dilection. Mais ce n'est encore lĂ , monsieur, qu'une difficultĂ© de publiciste allemand. Il est manifeste que mon intention n'a jamais Ă©tĂ© que de les instruire c'Ă©taient des espĂšces de consultations que je faisais sur le fond de l'affaire. Que si les consultants, aprĂšs avoir donnĂ© leur avis, se sont mĂÂȘlĂ©s parmi les juges, vous voyez bien, monsieur, que je n'y pouvais rien de ma part, et que c'Ă©tait Ă eux de se rĂ©cuser par dĂ©licatesse, s'ils se sentaient de la partialitĂ© pour mon barbier andalou. Eh! plĂ»t au ciel qu'ils en eussent un peu conservĂ© pour ce jeune Ă©tranger! Nous aurions eu moins de peine Ă soutenir notre malheur Ă©phĂ©mĂšre. Tels sont les hommes avez-vous du succĂšs, ils vous accueillent, vous portent, vous caressent, ils s'honorent de vous; mais gardez de broncher dans la carriĂšre au moindre Ă©chec, ĂÂŽ mes amis! Souvenez-vous qu'il n'est plus d'amis. Et c'est prĂ©cisĂ©ment ce qui nous arriva le lendemain de la plus triste soirĂ©e. Vous eussiez vu les faibles amis du Barbier se disperser, se cacher le visage ou s'enfuir les femmes, toujours si braves quand elles protĂšgent, enfoncĂ©es dans les coqueluchons jusqu'aux panaches, et baissant des yeux confus; les hommes courant se visiter, se faire amende honorable du bien qu'ils avaient dit de ma piĂšce, et rejetant sur ma maudite façon de lire les choses tout le faux plaisir qu'ils y avaient goĂ»tĂ©. C'Ă©tait une dĂ©sertion totale, une vraie dĂ©solation. Les uns lorgnaient Ă gauche, en me sentant passer Ă droite et ne faisaient plus semblant de me voir ah! dieux! D'autres, plus courageux, mais s'assurant bien si personne ne les regardait, m'attiraient dans un coin pour me dire "Eh! comment avez-vous produit en nous cette illusion? car, il faut en convenir, mon ami, votre piĂšce est la plus grande platitude du monde. - HĂ©las! messieurs, j'ai lu ma platitude, en vĂ©ritĂ©, tout platement comme je l'avais faite; mais, au nom de la bontĂ© que vous avez de me parler encore aprĂšs ma chute, et pour l'honneur de votre second jugement, ne souffrez pas qu'on redonne la piĂšce au thĂ©ĂÂątre si, par malheur, on venait Ă la jouer comme je l'ai lue, on vous ferait peut-ĂÂȘtre une nouvelle tromperie, et vous vous en prendriez Ă moi de ne plus savoir quel jour vous eĂ»tes raison ou tort; ce qu'Ă Dieu ne plaise!" On ne m'en crut point; on laissa rejouer la piĂšce, et pour le coup je fus prophĂšte en mon pays. Ce pauvre Figaro, fessĂ© par la cabale en faux-bourdon, et presque enterrĂ© le vendredi ne fit point comme Candide; il prit courage, et mon hĂ©ros se releva le dimanche avec une vigueur que l'austĂ©ritĂ© d'un carĂÂȘme entier et la fatigue de dix-sept sĂ©ances publiques n'ont pas encore altĂ©rĂ©e. Mais qui sait combien cela durera? Je ne voudrais pas jurer qu'il en fĂ»t seulement question dans cinq ou six siĂšcles, tant notre nation est inconstante et lĂ©gĂšre! Les ouvrages de thĂ©ĂÂątre, monsieur, sont comme les enfants des hommes. Conçus avec voluptĂ©, menĂ©s Ă terme avec fatigue, enfantĂ©s avec douleur, et vivant rarement assez pour payer les parents de leurs soins, ils coĂ»tent plus de chagrins qu'ils ne donnent de plaisirs. Suivez-les dans leur carriĂšre Ă peine ils voient le jour, que, sous prĂ©texte d'enflure, on leur applique les censeurs; plusieurs en sont restĂ©s en chartre. Au lieu de jouer doucement avec eux, le cruel parterre les rudoie et les fait tomber. Souvent, en les berçant, le comĂ©dien les estropie. Les perdez-vous un instant de vue, on les trouve, hĂ©las! traĂnant partout, mais dĂ©penaillĂ©s, dĂ©figurĂ©s, rouges d'extraits et couverts de critiques. EchappĂ©s Ă tant de maux, s'ils brillent un moment dans le monde, le plus grand de tous les atteint le mortel oubli les tue; ils meurent, et, replongĂ©s au nĂ©ant, les voilĂ perdus Ă jamais dans l'immensitĂ© des livres. Je demandais Ă quelqu'un pourquoi ces combats, cette guerre animĂ©e entre le parterre et l'auteur, Ă la premiĂšre reprĂ©sentation des ouvrages, mĂÂȘme de ceux qui devaient plaire un autre jour. "Ignorez-vous, me dit-il, que Sophocle et le vieux Denys sont morts de joie d'avoir remportĂ© le prix des vers au thĂ©ĂÂątre? Nous aimons trop nos auteurs pour souffrir qu'un excĂšs de joie nous prive d'eux, en les Ă©touffant aussi, pour les conserver, avons-nous grand soin que leur triomphe ne soit jamais si pur qu'ils puissent en expirer de plaisir." Quoi qu'il en soit des motifs de cette rigueur, l'enfant de mes loisirs, ce jeune, cet innocent Barbier, tarit dĂ©daignĂ© le premier jour, loin d'abuser le surlendemain de son triomphe, ou de montrer de l'humeur Ă ses critiques, ne s'en est que plus empressĂ© de les dĂ©sarmer par l'enjouement de son caractĂšre. Exemple rare et frappant, monsieur, dans un siĂšcle d'ergotisme, oĂÂč l'on calcule tout jusqu'au rire; oĂÂč la plus lĂ©gĂšre diversitĂ© d'opinions fait germer les bonnes Ă©ternelles; oĂÂč tous les jeux tournent en guerre; oĂÂč l'injure qui repousse l'injure est Ă son tour payĂ©e par l'injure, jusqu'Ă ce qu'une autre effaçant cette derniĂšre en enfante une nouvelle, auteur de plusieurs autres, et propage ainsi l'aigreur Ă l'infini, depuis le rire jusqu'Ă la satiĂ©tĂ©, jusqu'au dĂ©goĂ»t, Ă l'indignation mĂÂȘme du lecteur le plus caustique. Quant Ă moi, monsieur, s'il est vrai, comme on l'a dit, que tous les hommes soient frĂšres et c'est une belle idĂ©e, je voudrais qu'on pĂ»t engager nos frĂšres les gens de lettres Ă laisser, en discutant, le ton rogue et tranchant Ă nos frĂšres les libellistes qui s'en acquittent si bien! ainsi que les injures Ă nos frĂšres les plaideurs... qui ne s'en acquittent pas mal non plus! Je voudrais surtout qu'on pĂ»t engager nos frĂšres les journalistes Ă renoncer Ă ce ton pĂ©dagogue et magistral avec lequel ils gourmandent les fils d'Apollon, et font rire la sottise aux dĂ©pens de l'esprit. Ouvrez un journal ne semble-t-il pas voir un dur rĂ©pĂ©titeur, la fĂ©rule ou la verge levĂ©e sur des Ă©coliers nĂ©gligents, les traiter en esclaves au plus lĂ©ger dĂ©faut dans le devoir? Eh! mes frĂšres, il s'agit bien de devoir ici! la littĂ©rature en est le dĂ©lassement et la douce rĂ©crĂ©ation. A mon Ă©gard au moins, n'espĂ©rez pas asservir dans ses jeux mon esprit Ă la rĂšgle il est incorrigible, et, la classe du devoir une fois fermĂ©e, il devient si lĂ©ger et badin que je ne puis que jouer avec lui. Comme un liĂšge emplumĂ© qui bondit sur la raquette, il s'Ă©lĂšve, il retombe, il Ă©gaye mes yeux, repart en l'air, y fait la roue, et revient encore. Si quelque joueur adroit veut entrer en partie et ballotter Ă nous deux le lĂ©ger volant de mes pensĂ©es, de tout mon coeur; s'il riposte avec grĂÂące et lĂ©gĂšretĂ©, le jeu m'amuse et la partie s'engage. Alors on pourrait voir les coups portĂ©s, parĂ©s, reçus, rendus, accĂ©lĂ©rĂ©s, pressĂ©s, relevĂ©s mĂÂȘme avec une prestesse, une agilitĂ© propre Ă rĂ©jouir autant les spectateurs qu'elle animerait les acteurs. Telle au moins, monsieur, devrait ĂÂȘtre la critique; et c'est ainsi que j'ai toujours conçu la dispute entre les gens polis qui cultivent les lettres. Voyons, je vous prie, si le journaliste de Bouillon a conservĂ© dans sa critique ce caractĂšre aimable et surtout de candeur pour lequel on vient de faire des voeux. "La piĂšce est une farce", dit-il. Passons sur les qualitĂ©s. Le mĂ©chant nom qu'un cuisinier Ă©tranger donne aux ragoĂ»ts français ne change rien Ă leur saveur c'est en passant par ses mains qu'ils se dĂ©naturent. Analysons la farce de Bouillon. "La piĂšce, a-t-il dit, n'a pas de plan." Est-ce parce qu'il est trop simple qu'il Ă©chappe Ă la sagacitĂ© de ce critique adolescent? Un vieillard amoureux prĂ©tend Ă©pouser demain sa pupille; un jeune amant plus adroit le prĂ©vient, et ce jour mĂÂȘme en fait sa femme Ă la barbe et dans la maison du tuteur. VoilĂ le fond, dont un eĂ»t pu faire, avec un Ă©gal succĂšs, une tragĂ©die, une comĂ©die, un drame, un opĂ©ra, et caetera. L'Avare de MoliĂšre est-il autre chose? le grand Mithridate est-il autre chose? Le genre d'une piĂšce, comme celui de toute autre action, dĂ©pend moins du fond des choses que des caractĂšres qui les mettent en oeuvre. Quant Ă moi, ne voulant faire, sur ce plan, qu'une piĂšce amusante et sans fatigue, une espĂšce d'imbroille, il m'a suffi que le machiniste au lieu d'ĂÂȘtre un noir scĂ©lĂ©rat, fĂ»t un drĂÂŽle de garçon, un homme insouciant, qui rit Ă©galement du succĂšs et de la chute de ses entreprises, pour que l'ouvrage, loin de tourner en drame sĂ©rieux, devĂnt une comĂ©die fort gaie et de cela seul que le tuteur est un peu moins sot que tous ceux qu'on trompe au thĂ©ĂÂątre, il est rĂ©sultĂ© beaucoup de mouvement dans la piĂšce, et surtout la nĂ©cessitĂ© d'y donner plus de ressort aux intrigants. Au lieu de rester dans ma simplicitĂ© comique, si j'avais voulu compliquer, Ă©tendre et tourmenter mon plan Ă la maniĂšre tragique ou dramique, imagine-t-on que j'aurais manquĂ© de moyens dans une aventure dont je n'ai mis en scĂšnes que la partie la moins merveilleuse? En effet, personne aujourd'hui n'ignore qu'Ă l'Ă©poque historique oĂÂč la piĂšce finit gaiement dans mes mains, la querelle commença sĂ©rieusement Ă s'Ă©chauffer, comme qui dirait derriĂšre la toile, entre le docteur et Figaro, sur les cent Ă©cus. Des injures on en vint aux coups. Le docteur, Ă©trillĂ© par Figaro, fit tomber, en se dĂ©battant, le rescille ou filet qui coiffait le barbier; et l'on vit, non sans surprise, une forme de spatule imprimĂ©e Ă chaud sur sa tĂÂȘte rasĂ©e. Suivez-moi, monsieur, je vous prie. A cet aspect, moulu de coups en qu'il est, le mĂ©decin s'Ă©crie avec transport "Mon fils! ĂÂŽ ciel, mon fils! mon cher fils!..." Mais avant que Figaro l'entende, il a redoublĂ© de horions sur son cher pĂšre. En effet, ce l'Ă©tait. Ce Figaro, qui pour toute famille avait jadis connu sa mĂšre, est fils naturel de Bartholo. Le mĂ©decin, dans sa jeunesse, eut cet enfant d'une personne en condition, que les suites de son imprudence firent passer du service au plus affreux abandon. Mais avant de les quitter, le dĂ©solĂ© Bartholo, frater alors, a fait rougir sa spatule; il en a timbrĂ© son fils Ă l'occiput, pour le reconnaĂtre un jour, si jamais le sort les rassemble. La mĂšre et l'enfant avaient passĂ© six annĂ©es dans une honorable mendicitĂ©; lorsqu'un chef de bohĂ©miens, descendu de Luc Gauric, traversant l'Andalousie avec sa troupe, et consultĂ© par la mĂšre sur le destin de son fils, dĂ©roba l'enfant furtivement, et laissa par Ă©crit cet horoscope Ă sa place AprĂšs avoir versĂ© le sang dont il est nĂ©, Ton fils assommera son pĂšre infortunĂ©; Puis, tournant sur lui-mĂÂȘme et le fer et le crime, Il se frappe, et devient heureux et lĂ©gitime. En changeant d'Ă©tat sans le savoir, l'infortunĂ© jeune homme a changĂ© de nom sans le vouloir; il s'est Ă©levĂ© sous celui de Figaro il a vĂ©cu. Sa mĂšre est cette Marceline, devenue vieille et gouvernante chez le docteur, que l'affreux horoscope de son fils a consolĂ© de sa perte. Mais aujourd'hui tout s'accomplit. En saignant Marceline au pied, comme on le voit dans ma piĂšce, ou plutĂÂŽt comme on ne l'y voit pas, Figaro remplit le premier vers AprĂšs avoir versĂ© le sang dont il est nĂ©, Quand il Ă©trille innocemment le docteur, aprĂšs la toile tombĂ©e, il accomplit le second vers Ton fils assommera son pĂšre infortunĂ©; A l'instant, la plus touchante reconnaissance a lieu entre le mĂ©decin, la vieille et Figaro C'est vous! C'est lui! C'est toi! C'est moi! Quel coup de thĂ©ĂÂątre! Mais le fils, au dĂ©sespoir de son innocente vivacitĂ©, fond en larmes, et se donne un coup de rasoir, selon le sens du troisiĂšme vers Puis tournant sur lui-mĂÂȘme et le fer et le crime, Il se frappe, et... Quel tableau! En n'expliquant point si, du rasoir, il se coupe la gorge ou seulement le poil du visage, on voit que j'avais le choix de finir ma piĂšce au plus grand pathĂ©tique. Enfin, le docteur Ă©pouse la vieille; et Figaro, suivant la derniĂšre leçon, ... devient heureux et lĂ©gitime. Quel dĂ©nouement! Il ne m'en eĂ»t coĂ»tĂ© qu'un sixiĂšme acte! Eh, quel sixiĂšme acte! Jamais tragĂ©die au ThĂ©ĂÂątre-Français... Il suffit. Reprenons ma piĂšce Ă l'Ă©tat oĂÂč elle a Ă©tĂ© jouĂ©e et critiquĂ©e. Lorsqu'on me reproche avec aigreur ce que j'ai fait, ce n'est pas l'instant de louer ce que j'aurais pu faire. "La piĂšce est invraisemblable dans sa conduite", a dit encore le journaliste Ă©tabli dans Bouillon avec approbation et privilĂšge. - Invraisemblable? Examinons cela par plaisir. Son Excellence M. le Comte Almaviva, dont j'ai, depuis longtemps, l'honneur d'ĂÂȘtre ami particulier, est un jeune seigneur, ou, pour mieux dire, Ă©tait; car l'ĂÂąge et les grands emplois en ont fait depuis un homme fort grave, ainsi que je le suis devenu moi-mĂÂȘme. Son Excellence Ă©tait donc un jeune seigneur espagnol, vif, ardent, comme tous les amants de sa nation, que l'on croit froide et qui n'est que paresseuse. Il s'Ă©tait mis secrĂštement Ă la poursuite d'une belle personne qu'il avait entrevue Ă Madrid, et que son tuteur a bientĂÂŽt ramenĂ©e au lieu de sa naissance. Un matin qu'il se promenait sous ses fenĂÂȘtres Ă SĂ©ville, oĂÂč, depuis huit jours, il cherchait Ă s'en faire remarquer, le hasard conduisit au mĂÂȘme endroit Figaro le barbier. - Ah! le hasard, dira mon critique et si le hasard n'eĂ»t pas conduit ce jour-lĂ le barbier dans cet endroit, que devenait la piĂšce? - Elle eĂ»t commencĂ©, mon frĂšre, Ă quelque autre Ă©poque. - Impossible, puisque le tuteur, selon vous-mĂÂȘme, Ă©pousait le lendemain. - Alors il n'y aurait pas eu de piĂšce; ou, s'il y en avait eu, mon frĂšre, elle aurait Ă©tĂ© diffĂ©rente. Une chose est-elle invraisemblable, parce qu'elle Ă©tait possible autrement? RĂ©ellement vous avez un peu d'humeur. Quand le cardinal de Retz nous dit froidement; "Un jour j'avais besoin d'un homme; Ă la vĂ©ritĂ©, je ne voulais qu'un fantĂÂŽme j'aurais dĂ©sirĂ© qu'il fĂ»t petit-fils de Henri le Grand; qu'il eĂ»t de longs cheveux blonds; qu'il fĂ»t beau, bien fait, bien sĂ©ditieux, qu'il eĂ»t le langage et l'amour des halles; et voilĂ que le hasard me fait rencontrer Ă Paris M. de Beaufort, Ă©chappĂ© de la prison du roi c'Ă©tait justement l'homme qu'il me fallait"; va-t-on dire au coadjuteur "Ah! le hasard! Mais si vous n'eussiez pas rencontrĂ© M. de Beaufort? Mais ceci, mais cela?" Le hasard donc conduisit en ce mĂÂȘme endroit Figaro le barbier, beau diseur, mauvais poĂšte, hardi musicien, grand fringueneur de guitare, et jadis valet de chambre du Comte, Ă©tabli dans SĂ©ville, y faisant avec succĂšs des barbes, des romances et des mariages; y maniant Ă©galement le fer du phlĂ©botome et le piston du pharmacien; la terreur des maris, la coqueluche des femmes, et justement l'homme qu'il nous fallait. Et comme en toute recherche ce qu'on nomme passion n'est autre chose qu'un dĂ©sir irritĂ© par la contradiction, le jeune amant, qui n'eĂ»t peut-ĂÂȘtre eu qu'un goĂ»t de fantaisie pour cette beautĂ© s'il l'eĂ»t rencontrĂ©e dans le monde, en devient amoureux parce qu'elle est enfermĂ©e, au point de faire l'impossible pour l'Ă©pouser. Mais vous donner ici l'extrait entier de la piĂšce, monsieur, serait douter de la sagacitĂ©, de l'adresse avec laquelle vous saisirez le dessein de l'auteur, et suivrez le fil de l'intrigue, Ă travers un lĂ©ger dĂ©dale. Moins prĂ©venu que le journal de Bouillon, qui se trompe, avec approbation et privilĂšge, sur toute la conduite de cette piĂšce, vous verrez que tous les soins de l'amant ne sont pas destinĂ©s Ă remettre simplement une lettre, qui n'est lĂ qu'un lĂ©ger accessoire Ă l'intrigue, mais bien Ă s'Ă©tablir dans un fort dĂ©fendu par la vigilance et le soupçon, surtout Ă tromper un homme qui, sans cesse Ă©ventant la manoeuvre, oblige l'ennemi de se retourner assez lestement pour n'ĂÂȘtre pas dĂ©sarçonnĂ© d'emblĂ©e. Et lorsque vous verrez que tout le mĂ©rite du dĂ©nouement consiste en ce que le tuteur a fermĂ© sa porte, en donnant son passe-partout Ă Bazile, pour que lui seul et le notaire pussent entrer et conclure son mariage, vous ne laisserez pas d'ĂÂȘtre Ă©tonnĂ© qu'un critique aussi Ă©quitable se joue de la confiance de son lecteur, ou se trompe, au point d'Ă©crire, et dans Bouillon encore Le Comte s'est donnĂ© la peine de monter au balcon par une Ă©chelle avec Figaro, quoique la porte ne soit pas fermĂ©e. Enfin, lorsque vous verrez le malheureux tuteur, abusĂ© par toutes les prĂ©cautions qu'il prend pour ne le point ĂÂȘtre, Ă la fin forcĂ© de signer au contrat du Comte et d'approuver ce qu'il n'a pu prĂ©venir, vous laisserez au critique Ă dĂ©cider si ce tuteur Ă©tait un imbĂ©cile, de ne pas deviner une intrigue dont on lui cachait tout, lorsque lui, critique, Ă qui l'on ne cachait rien, ne l'a pas devinĂ©e plus que le tuteur. En effet, s'il l'eĂ»t bien conçue, aurait-il manquĂ© de louer tous les beaux endroits de l'ouvrage? Qu'il n'ait point remarquĂ© la maniĂšre dont le premier acte annonce et dĂ©ploie avec gaietĂ© tous les caractĂšres de la piĂšce, on peut lui pardonner. Qu'il n'ait pas aperçu quelque peu de comĂ©die dans la grande scĂšne du second acte, oĂÂč, malgrĂ© la dĂ©fiance et la fureur du jaloux, la pupille parvient Ă lui donner le change sur une lettre remise en sa prĂ©sence, et Ă lui faire demander pardon Ă genoux du soupçon qu'il a montrĂ©, je le conçois encore aisĂ©ment. Qu'il n'ait pas dit un seul mot de la scĂšne de stupĂ©faction de Bazile au troisiĂšme acte, qui a paru si neuve au thĂ©ĂÂątre, et a tant rĂ©joui les spectateurs, je n'en suis point surpris du tout. Passe encore qu'il n'ait pas entrevu l'embarras oĂÂč l'auteur s'est jetĂ© volontairement au dernier acte, en faisant avouer par la pupille Ă son tuteur que le Comte avait dĂ©robĂ© la clef de sa jalousie; et comment l'auteur s'en dĂ©mĂÂȘle en deux mots et sort, en se jouant, de la nouvelle inquiĂ©tude qu'il a imprimĂ©e aux spectateurs. C'est peu de chose en vĂ©ritĂ©. Je veux bien qu'il ne lui soit pas venu Ă l'esprit que la piĂšce, une des plus gaies qui soient au thĂ©ĂÂątre, est Ă©crite sans la moindre Ă©quivoque, sans une pensĂ©e, un seul mot dont la pudeur, mĂÂȘme des petites loges, ait Ă s'alarmer; ce qui pourtant est bien quelque chose, monsieur, dans un siĂšcle oĂÂč l'hypocrisie de la dĂ©cence est poussĂ©e presque aussi loin que le relĂÂąchement des moeurs. TrĂšs volontiers. Tout cela sans doute pouvait n'ĂÂȘtre pas digne de l'attention d'un critique aussi majeur. Mais comment n'a-t-il pas admirĂ© ce que tous les honnĂÂȘtes gens n'ont pu voir sans rĂ©pandre des larmes de tendresse et de plaisir? Je veux dire la piĂ©tĂ© filiale de ce bon Figaro, qui ne saurait oublier sa mĂšre! Tu connais donc ce tuteur? lui dit le Comte au premier acte. Comme ma mĂšre, rĂ©pond Figaro. Un avare aurait dit; Comme mes poches. Un petit-maĂtre eĂ»t rĂ©pondu Comme moi-mĂÂȘme; un ambitieux Comme le chemin de Versailles; et le journaliste de Bouillon Comme mon libraire; les comparaisons de chacun se tirant toujours de l'objet intĂ©ressant. Comme ma mĂšre, a dit le fils tendre et respectueux. Dans un autre endroit encore Ah! vous ĂÂȘtes charmant! lui dit le tuteur. Et ce bon, cet honnĂÂȘte garçon qui pouvait gaiement assimiler cet Ă©loge Ă tous ceux qu'il a reçus de ses maĂtresses, en revient toujours Ă sa bonne mĂšre, et rĂ©pond Ă ce mot Vous ĂÂȘtes charmant! - Il est vrai, monsieur, que ma mĂšre me l'a dit autrefois. Et le journal de Bouillon ne relĂšve point de pareils traits! Il faut avoir le cerveau bien dessĂ©chĂ© pour ne les pas voir, ou le coeur bien dur pour ne pas les sentir. Sans compter mille autres finesses de l'art rĂ©pandues Ă pleines mains dans cet ouvrage. Par exemple, on sait que les comĂ©diens ont multipliĂ© chez eux les emplois Ă l'infini emplois de grande, moyenne et petite amoureuse; emplois de grands, moyens et petits valets; emplois de niais, d'important, de croquant, de paysan, de tabellion, de bailli mais on sait qu'ils n'ont pas encore appointĂ© celui de bĂÂąillant. Qu'a fait l'auteur pour former un comĂ©dien peu exercĂ© au talent d'ouvrir largement la bouche au thĂ©ĂÂątre? Il s'est donnĂ© le soin de lui rassembler, dans une seule phrase, toutes les syllabes bĂÂąillantes du français Rien... qu'en... l'en... ten... dant... parler syllabes, en effet, qui feraient bĂÂąiller un mort, et parviendraient Ă desserrer les dents mĂÂȘme de l'envie! En cet endroit admirable oĂÂč, pressĂ© par les reproches du tuteur qui lui crie Que direz-vous Ă ce malheureux qui bĂÂąille et dort tout Ă©veillĂ©? Et l'autre qui, depuis trois heures, Ă©ternue Ă se faire sauter le crĂÂąne et jaillir la cervelle? Que leur direz-vous? Le naĂÂŻf barbier rĂ©pond Eh! parbleu, je dirai Ă celui qui Ă©ternue Dieu vous bĂ©nisse! et Va te coucher Ă celui qui bĂÂąille. RĂ©ponse en effet si juste, si chrĂ©tienne et si admirable, qu'un de ces fiers critiques qui ont leurs entrĂ©es au paradis n'a pu s'empĂÂȘcher de s'Ă©crier "Diable! l'auteur a dĂ» rester au moins huit jours Ă trouver cette rĂ©plique!" Et le journal de Bouillon, au lieu de louer ces beautĂ©s sans nombre, use encre et papier, approbation et privilĂšge, Ă mettre un pareil ouvrage au-dessous mĂÂȘme de la critique! On me couperait le cou, monsieur, que je ne saurais m'en taire. N'a-t-il pas Ă©tĂ© jusqu'Ă dire, le cruel! que, pour ne pas voir expirer ce Barbier sur le thĂ©ĂÂątre, il a fallu le mutiler, le changer, le refondre, l'Ă©laguer, le rĂ©duire en quatre actes, et le purger d'un grand nombre de pasquinades, de calembours, de jeux de mots, en un mot, de bas comique? A le voir ainsi frapper comme un sourd, on juge assez qu'il n'a pas entendu le premier mot de l'ouvrage qu'il dĂ©compose. Mais j'ai l'honneur d'assurer ce journaliste, ainsi que le jeune homme qui lui taille ses plumes et ses morceaux, que loin d'avoir purgĂ© la piĂšce d'aucun des calembours, jeux de mots, etc., qui lui eussent nui le premier jour, l'auteur a fait rentrer dans les actes restĂ©s au thĂ©ĂÂątre tout ce qu'il en a pu reprendre Ă l'acte au portefeuille tel un charpentier Ă©conome cherche, dans ses copeaux Ă©pars sur le chantier, tout ce qui peut servir Ă cheviller et boucher les moindres trous de son ouvrage. Passerons-nous sous silence le reproche aigu qu'il fait Ă la jeune personne, d'avoir sous les dĂ©fauts d'une fille mal Ă©levĂ©e? Il est vrai que, pour Ă©chapper aux consĂ©quences d'une telle imputation, il tente Ă la rejeter sur autrui, comme s'il n'en Ă©tait pas l'auteur, en employant cette expression banale; On trouve Ă la jeune personne, etc. On trouve!... Que voulait-il donc qu'elle fĂt? Quoi! qu'au lieu de se prĂÂȘter aux vues d'un jeune amant trĂšs aimable et qui se trouve un homme de qualitĂ©, notre charmante enfant Ă©pousĂÂąt le vieux podagre mĂ©decin? Le noble Ă©tablissement qu'il lui destinait lĂ ! Et parce qu'on n'est pas de l'avis de monsieur, on a tous les dĂ©fauts d'une fille mal Ă©levĂ©e! En vĂ©ritĂ© si le journal de Bouillon se fait des amis en France par la justesse et la candeur de ses critiques, il faut avouer qu'il en aura beaucoup moins au-delĂ des PyrĂ©nĂ©es, et qu'il est surtout un peu bien dur pour les dames espagnoles. Eh! qui sait si Son Excellence madame la comtesse Almaviva, l'exemple des femmes de son Ă©tat, et vivant comme un ange avec son mari, quoiqu'elle ne l'aime plus, ne se ressentira pas un jour des libertĂ©s qu'on se donne Ă Bouillon sur elle avec approbation et privilĂšge? L'imprudent journaliste a-t-il au moins rĂ©flĂ©chi que Son Excellence, ayant, par le rang de son mari, le plus grand crĂ©dit dans les bureaux, eĂ»t pu lui faire obtenir quelque pension sur la Gazette d'Espagne, ou la Gazette elle-mĂÂȘme; et que, dans la carriĂšre qu'il embrasse, il faut garder plus de mĂ©nagements pour les femmes de qualitĂ©? Qu'est-ce que cela me fait, Ă moi? L'on sent bien que c'est pour lui seul que j'en parle. Il est temps de laisser cet adversaire, quoiqu'il soit Ă la tĂÂȘte des gens qui prĂ©tendent que, n'ayant pu me soutenir en cinq actes, je me suis mis en quatre pour ramener le public. Et quand cela serait! Dans un moment d'oppression, ne vaut-il pas mieux sacrifier un cinquiĂšme de son bien que de le voir aller tout entier au pillage? Mais ne tombez pas, cher lecteur... monsieur, veux-je dire, ne tombez pas, je vous prie, dans une erreur populaire qui ferait grand tort Ă votre jugement. Ma piĂšce, qui paraĂt n'ĂÂȘtre aujourd'hui qu'en quatre actes, est rĂ©ellement et de fait, en cinq, qui sont le premier, le deuxiĂšme, le troisiĂšme, le quatriĂšme et le cinquiĂšme, Ă l'ordinaire. Il est vrai que, le jour du combat, voyant les ennemis acharnĂ©s, le parterre ondulant, agitĂ©, grondant au loin comme les flots de la mer, et trop certain que ces mugissements sourds, prĂ©curseurs des tempĂÂȘtes, ont amenĂ© plus d'un naufrage, je vins Ă rĂ©flĂ©chir que beaucoup de piĂšces en cinq actes comme la mienne, toutes trĂšs bien faites d'ailleurs comme la mienne, n'auraient pas Ă©tĂ© au diable en entier comme la mienne, si l'auteur eĂ»t pris un parti vigoureux comme le mien. Le dieu des cabales est irritĂ©, dis-je aux comĂ©diens avec force Enfants! un sacrifice est ici nĂ©cessaire. Alors, faisant la part au diable, et dĂ©chirant mon manuscrit - Dieu des siffleurs, moucheurs, cracheurs, tousseurs et perturbateurs, m'Ă©criai-je, il te faut du sang; bois mon quatriĂšme acte, et que ta fureur s'apaise! A l'instant vous eussiez vu ce bruit infernal, qui faisait pĂÂąlir et broncher les acteurs, s'affaiblir, s'Ă©loigner, s'anĂ©antir; l'applaudissement lui succĂ©der, et des bas-fonds du parterre un bravo gĂ©nĂ©ral s'Ă©lever en circulant jusqu'aux hauts bancs du paradis. De cet exposĂ©, monsieur, il suit que ma piĂšce est restĂ©e en cinq actes, qui sont le premier, le deuxiĂšme, le troisiĂšme au thĂ©ĂÂątre, le quatriĂšme au diable et le cinquiĂšme avec les trois premiers. Tel auteur mĂÂȘme vous soutiendra que ce quatriĂšme acte, qu'on n'y voit point, n'en est pas moins celui qui fait le plus de bien Ă la piĂšce, en ce qu'on ne l'y voit point. Laissons jaser le monde; il me suffit d'avoir prouvĂ© mon dire; il me suffit, en faisant mes cinq actes, d'avoir montrĂ© mon respect pour Aristote, Horace, Aubignac et les modernes, et d'avoir mis ainsi l'honneur de la rĂšgle Ă couvert. Par le second arrangement, le diable a son affaire mon char n'en roule pas moins bien sans la cinquiĂšme roue le public est content, je le suis aussi. Pourquoi le journal de Bouillon ne l'est-il pas? - Ah! pourquoi? C'est qu'il est bien difficile de plaire Ă des gens qui, par mĂ©tier, doivent ne jamais trouver les choses gaies assez sĂ©rieuses, ni les graves assez enjouĂ©es. Je me flatte, monsieur, que cela s'appelle raisonner principes, et que vous n'ĂÂȘtes pas mĂ©content de mon petit syllogisme. Reste Ă rĂ©pondre aux observations dont quelques personnes ont honorĂ© le moins important des drames hasardĂ©s depuis un siĂšcle au thĂ©ĂÂątre. Je mets Ă part les lettres Ă©crites aux comĂ©diens, Ă moi-mĂÂȘme, sans signature, et vulgairement appelĂ©es anonymes; on juge, Ă l'ĂÂąpretĂ© du style, que leurs auteurs, peu versĂ©s dans la critique, n'ont pas assez senti qu'une mauvaise piĂšce n'est point une mauvaise action, et que telle injure convenable Ă un mĂ©chant homme est toujours dĂ©placĂ©e Ă un mĂ©chant Ă©crivain. Passons aux autres. Des connaisseurs ont remarquĂ© que j'Ă©tais tombĂ© dans l'inconvĂ©nient de faire critiquer des usages français par un plaisant de SĂ©ville Ă SĂ©ville; tandis que la vraisemblance exigeait qu'il s'Ă©tayĂÂąt sur les moeurs espagnoles. Ils ont raison j'y avais mĂÂȘme tellement pensĂ© que, pour rendre la vraisemblance encore plus parfaite, j'avais d'abord rĂ©solu d'Ă©crire et de faire jouer la piĂšce en langage espagnol; mais un homme de goĂ»t m'a fait observer qu'elle en perdrait peut-ĂÂȘtre un peu de sa gaietĂ© pour le public de Paris; raison qui m'a dĂ©terminĂ© Ă l'Ă©crire en français en sorte que j'ai fait, comme on voit, une multitude de sacrifices Ă la gaietĂ©, mais sans pouvoir parvenir Ă dĂ©rider le journal de Bouillon. Un autre amateur, saisissant l'instant qu'il y avait beaucoup de monde au foyer, m'a reprochĂ©, du ton le plus sĂ©rieux, que ma piĂšce ressemblait Ă On ne s'avise jamais de tout. - Ressembler, monsieur! Je tiens que ma piĂšce est On ne s'avise jamais de tout lui-mĂÂȘme. - Et comment cela? - C'est qu'on ne s'Ă©tait pas encore avisĂ© de ma piĂšce. L'amateur resta court, et l'on en rit d'autant plus, que celui-lĂ qui me reprochait On ne s'avise jamais de tout est un homme qui ne s'est jamais avisĂ© de rien. Quelques jours aprĂšs ceci est plus sĂ©rieux chez une dame incommodĂ©e, un monsieur grave, en habit noir, coiffure bouffante et canne Ă corbin, lequel touchait lĂ©gĂšrement le poignet de la dame, proposa civilement plusieurs doutes sur la vĂ©ritĂ© des traits que j'avais lancĂ©s contre les mĂ©decins. Monsieur, lui dis-je, ĂÂȘtes-vous ami de quelqu'un d'eux? Je serais dĂ©solĂ© qu'un badinage... - On ne peut pas moins je vois que vous ne me connaissez pas; je ne prends jamais le parti d'aucun; je parle ici pour le corps en gĂ©nĂ©ral. - Cela me fit beaucoup chercher quel homme ce pouvait ĂÂȘtre. En fait de plaisanterie, ajoutai-je, vous savez, monsieur, qu'on ne demande jamais si l'histoire est vraie, mais si elle est bonne. - Eh! croyez-vous moins perdre Ă cet examen qu'au premier? - A merveille, docteur, dit la dame. Le monstre qu'il est! n'a-t-il pas osĂ© parler aussi mal de nous? Faisons cause commune. A ce mot de docteur, je commençai Ă soupçonner qu'elle parlait Ă son mĂ©decin. - Il est vrai, madame et monsieur, repris-je avec modestie, que je me suis permis ces lĂ©gers torts d'autant plus aisĂ©ment qu'ils tirent moins Ă consĂ©quence. Eh! qui pourrait nuire Ă deux corps puissants dont l'empire embrasse l'univers et se partage le monde? MalgrĂ© les envieux, les belles y rĂ©gneront toujours par le plaisir, et les mĂ©decins par la douleur et la brillante santĂ© nous ramĂšne Ă l'amour, comme la maladie nous rend Ă la mĂ©decine. Cependant je ne sais si, dans la balance des avantages, la FacultĂ© ne l'emporte pas un peu sur la BeautĂ©. Souvent on voit les belles nous renvoyer aux mĂ©decins; mais plus souvent encore les mĂ©decins nous gardent, et ne nous renvoient plus aux belles. En plaisantant donc, il faudrait peut-ĂÂȘtre avoir Ă©gard Ă la diffĂ©rence des ressentiments, et songer que, si les belles se vengent en se sĂ©parant de nous, ce n'est lĂ qu'un mal nĂ©gatif; au lieu que les mĂ©decins se vengent en s'en emparant, ce qui devient trĂšs positif. Que, quand ces derniers nous tiennent, ils font de nous tout ce qu'ils veulent; au lieu que les belles, toutes belles qu'elles sont, n'en font jamais que ce qu'elles peuvent. Que le commerce des belles nous les rend bientĂÂŽt moins nĂ©cessaires; au lieu que l'usage des mĂ©decins finit par nous les rendre indispensables. Enfin, que l'un de ces empires ne semble Ă©tabli que pour assurer la durĂ©e de l'autre; puisque, plus la verte jeunesse est livrĂ©e Ă l'amour, plus la pĂÂąle vieillesse appartient sĂ»rement Ă la mĂ©decine. Au reste, ayant fait contre moi cause commune, il Ă©tait juste, madame et monsieur, que je vous offrisse en commun mes justifications. Soyez donc persuadĂ©s que, faisant profession d'adorer les belles et de redouter les mĂ©decins, c'est toujours en badinant que je dis du mal de la BeautĂ©; comme ce n'est jamais sans trembler que je plaisante un peu la FacultĂ©. Ma dĂ©claration n'est point suspecte Ă votre Ă©gard, mesdames; et mes plus acharnĂ©s ennemis sont forcĂ©s d'avouer que, dans un instant d'humeur, oĂÂč mon dĂ©pit contre une belle allait s'Ă©pancher trop librement sur toutes les autres, on m'a vu m'arrĂÂȘter tout court au vingt-cinquiĂšme couplet, et, par le plus prompt repentir, faire ainsi, dans le vingt-sixiĂšme, amende honorable aux belles irritĂ©es Sexe charmant, si je dĂ©cĂšle Votre coeur en proie au dĂ©sir, Souvent Ă l'amour infidĂšle, Mais toujours fidĂšle au plaisir, D'un badinage, ĂÂŽ mes dĂ©esses! Ne cherchez point Ă vous venger Tel glose, hĂ©las! sur vos faiblesses, Qui brĂ»le de les partager. Quant Ă vous, monsieur le docteur, on sait assez que MoliĂšre... - Au dĂ©sespoir, dit-il en se levant, de ne pouvoir profiter plus longtemps de vos lumiĂšres; mais l'humanitĂ© qui gĂ©mit ne doit pas souffrir de mes plaisirs. Il me laissa, ma foi! la bouche ouverte avec ma phrase en l'air. - Je ne sais pas, dit la belle malade en riant, si je vous pardonne; mais je vois bien que notre docteur ne vous pardonne pas. - Le nĂÂŽtre, madame! Il ne sera jamais le mien, - Eh! pourquoi? - Je ne sais; je craindrais qu'il ne fĂ»t au-dessous de son Ă©tat, puisqu'il n'est pas au-dessus des plaisanteries qu'on en peut faire. Ce docteur n'est pas de mes gens. L'homme assez consommĂ© dans son art pour en avouer de bonne foi l'incertitude, assez spirituel pour rire avec moi de ceux qui le disent infaillible, tel est mon mĂ©decin. En me rendant ses soins qu'ils appellent des visites, en me donnant ses conseils qu'ils nomment des ordonnances, il remplit dignement, et sous faste, la plus noble fonction d'une ĂÂąme Ă©clairĂ©e et sensible. Avec plus d'esprit, il calcule plus de rapports, et c'est tout ce qu'on peut dans un art aussi utile qu'incertain. Il me raisonne, il me console, il me guide, et la nature fait le reste. Aussi, loin de s'offenser de la plaisanterie, est-il le premier Ă l'opposer au pĂ©dantisme. A l'infatuĂ© qui lui dit gravement "De quatre-vingts fluxions de poitrine que j'ai traitĂ©es cet automne, un seul malade a pĂ©ri dans mes mains", mon docteur rĂ©pond en souriant; "Pour moi, j'ai prĂÂȘtĂ© mes secours Ă plus de cent cet hiver; hĂ©las! je n'en ai pu sauver qu'un seul." Tel est mon aimable mĂ©decin. - Je le connais. - Vous permettez bien que je ne l'Ă©change pas contre le vĂÂŽtre. Un pĂ©dant n'aura pas plus ma confiance en maladie, qu'une bĂ©gueule n'obtiendrait mon hommage en santĂ©. Mais je ne suis qu'un sot. Au lieu de vous rappeler mon amende honorable au beau sexe, je devais lui chanter le couplet de la bĂ©gueule; il est tout fait pour lui Pour Ă©gayer ma poĂ©sie, Au hasard j'assemble des traits; J'en fais, peintre de fantaisie, Des tableaux, jamais des portraits; La femme d'esprit, qui s'en moque, Sourit finement Ă l'auteur Pour l'imprudente qui s'en choque, Sa colĂšre est son dĂ©lateur. - A propos de chanson, dit la dame, vous ĂÂȘtes bien honnĂÂȘte d'avoir Ă©tĂ© donner votre piĂšce aux Français! moi qui n'ai de petite loge qu'aux Italiens! Pourquoi n'en avoir pas fait un opĂ©ra-comique? Ce fut, dit-on, votre premiĂšre idĂ©e. La piĂšce est d'un genre Ă comporter de la musique. - Je ne sais si elle est propre Ă la supporter, ou si je m'Ă©tais trompĂ© d'abord en le supposant mais, sans entrer dans les raisons qui m'ont fait changer d'avis, celle-ci, madame, rĂ©pond Ă tout. Notre musique dramatique ressemble trop encore Ă notre musique chansonniĂšre, pour en attendre un vĂ©ritable intĂ©rĂÂȘt ou de la gaietĂ© franche. Il faudra commencer Ă l'employer sĂ©rieusement au thĂ©ĂÂątre, quand on sentira bien qu'on ne doit y chanter que pour parler; quand nos musiciens se rapprocheront de la nature, et surtout cesseront de s'imposer l'absurde loi de toujours revenir Ă la premiĂšre partie d'un air aprĂšs qu'ils en ont dit la seconde. Est-ce qu'il y a des reprises et des rondeaux dans un drame? Ce cruel radotage est la mort de l'intĂ©rĂÂȘt, et dĂ©note un vide insupportable dans les idĂ©es. Moi qui ai toujours chĂ©ri la musique sans inconstance et mĂÂȘme sans infidĂ©litĂ©, souvent, aux piĂšces qui m'attachent le plus, je me surprends Ă pousser de l'Ă©paule, Ă dire tout bas avec humeur Eh! va donc, musique! pourquoi toujours rĂ©pĂ©ter? N'es-tu pas assez lente? Au lieu de narrer vivement, tu rabĂÂąches! au lieu de peindre la passion, tu t'accroches aux mots! Le poĂšte se tue Ă serrer l'Ă©vĂ©nement, et toi tu le dĂ©layes! Que lui sert de rendre son style Ă©nergique et pressĂ©, si tu l'ensevelis sous d'inutiles fredons? Avec ta stĂ©rile abondance, reste, reste aux chansons pour toute nourriture, jusqu'Ă ce que tu connaisses le langage sublime et tumultueux des passions. En effet, si la dĂ©clamation est dĂ©jĂ un abus de la narration au thĂ©ĂÂątre, le chant, qui est un abus de la dĂ©clamation, n'est donc, comme on voit, que l'abus de l'abus. Ajoutez-y la rĂ©pĂ©tition des phrases, et voyez ce que devient l'intĂ©rĂÂȘt. Pendant que le vice ici va toujours en croissant, l'intĂ©rĂÂȘt marche Ă sens contraire; l'action s'alanguit; quelque chose me manque; je deviens distrait; l'ennui me gagne; et si je cherche alors Ă deviner ce que je voudrais, il m'arrive souvent de trouver que je voudrais la fin du spectacle. Il est un autre art d'imitation, en gĂ©nĂ©ral beaucoup moins avancĂ© que la musique, mais qui semble en ce point lui servir de leçon. Pour la variĂ©tĂ© seulement, la danse Ă©levĂ©e est dĂ©jĂ le modĂšle du chant. Voyez le superbe Vestris ou le fier d'Auberval engager un pas de caractĂšre. Il ne danse pas encore; mais d'aussi loin qu'il paraĂt, son port libre et dĂ©gagĂ© fait dĂ©jĂ lever la tĂÂȘte aux spectateurs. Il inspire autant de fiertĂ© qu'il promet de plaisirs. Il est parti... Pendant que le musicien redit vingt fois ses phrases et monotone ses mouvements, le danseur varie les siens Ă l'infini. Le voyez-vous s'avancer lĂ©gĂšrement Ă petits bonds, reculer Ă grands pas, et faire oublier le comble de l'art par la plus ingĂ©nieuse nĂ©gligence? TantĂÂŽt sur un pied, gardant le plus savant Ă©quilibre, et suspendu sans mouvement pendant plusieurs mesures, il Ă©tonne, il surprend par l'immobilitĂ© de son aplomb... Et soudain, comme s'il regrettait le temps du repos, il part comme un trait, vole au fond du thĂ©ĂÂątre, et revient en pirouettant, avec une rapiditĂ© que l'oeil peut suivre Ă peine. L'air a beau recommencer, rigaudonner, se rĂ©pĂ©ter, se radoter, il ne se rĂ©pĂšte point, lui! Tout en dĂ©ployant les mĂÂąles beautĂ©s d'un corps souple et puissant, il peint les mouvements violents dont son ĂÂąme est agitĂ©e il vous lance un regard passionnĂ© que ses bras mollement ouverts rendent plus expressif et, comme s'il se lassait bientĂÂŽt de vous plaire, il se relĂšve avec dĂ©dain, se dĂ©robe Ă l'oeil qui le suit, et la passion la plus fougueuse semble alors naĂtre et sortir de la plus douce ivresse. ImpĂ©tueux, turbulent, il exprime une colĂšre si bouillante et si vraie, qu'il m'arrache Ă mon siĂšge et me fait froncer le sourcil. Mais, reprenant soudain le geste et l'accent d'une voluptĂ© paisible, il erre nonchalamment avec une grĂÂące, une mollesse et des mouvements si dĂ©licats, qu'il enlĂšve autant de suffrages qu'il y a de regards attachĂ©s sur sa danse enchanteresse. Compositeurs, chantez comme il danse, et nous aurons, au lieu d'opĂ©ras, des mĂ©lodrames! Mais j'entends mon Ă©ternel censeur je ne sais plus s'il est d'ailleurs ou de Bouillon qui me dit Que prĂ©tend-on par ce tableau? Je vois un talent supĂ©rieur, et non la danse en gĂ©nĂ©ral. C'est dans sa marche ordinaire qu'il faut saisir un art pour le comparer, et non dans ses efforts les plus sublimes. N'avons-nous pas... Je l'arrĂÂȘte Ă mon tour. - Eh quoi! si je veux peindre un coursier et me former une juste idĂ©e de ce noble animal, irai-je le chercher hongre et vieux, gĂ©missant au timon du fiacre, ou trottinant sous le plĂÂątrier qui siffle? Je le prends au haras, fier Ă©talon, vigoureux, dĂ©couplĂ©, l'oeil ardent, frappant la terre et soufflant le feu par les naseaux; bondissant de dĂ©sirs et d'impatience, ou fendant l'air qu'il Ă©lectrise, et dont le brusque hennissement rĂ©jouit l'homme, et fait tressaillir toutes les cavales de la contrĂ©e. Tel est mon danseur. Et quand je crayonne un art, c'est parmi les grands sujets qui l'exercent que j'entends choisir mes modĂšles; tous les efforts du gĂ©nie... Mais je m'Ă©loigne trop de mon sujet, revenons au Barbier de SĂ©ville... ou plutĂÂŽt, monsieur, n'y revenons pas. C'est assez pour une bagatelle. Insensiblement je tomberais dans le dĂ©faut reprochĂ© trop justement Ă nos Français, de toujours faire de petites chansons sur les grandes affaires, et de grandes dissertations sur les petites. Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur, Votre trĂšs humble et trĂšs obĂ©issant serviteur. L'AUTEUR. Personnages Les habits des acteurs doivent ĂÂȘtre dans l'ancien costume espagnol. Le Comte Almaviva, grand d'Espagne, amant inconnu de Rosine, paraĂt, au premier acte, en veste et culotte de satin; il est enveloppĂ© d'un grand manteau brun ou cape espagnole; chapeau noir rabattu, avec un ruban de couleur autour de la forme. Au deuxiĂšme acte, habit uniforme de cavalier, avec des moustaches et des bottines. Au troisiĂšme, habillĂ© en bachelier; cheveux ronds, grande fraise au cou; veste, culotte, bas et manteau d'abbĂ©. Au quatriĂšme acte, il est vĂÂȘtu superbement Ă l'espagnole avec un riche manteau; par-dessus tout, le large manteau brun dont il se tient enveloppĂ©. Bartholo, mĂ©decin, tuteur de Rosine habit noir, court, boutonnĂ©; grande perruque; fraise et manchettes relevĂ©es; une ceinture noire; et quand il veut sortir de chez lui, un long manteau Ă©carlate. Rosine, jeune personne d'extraction noble, et pupille de Bartholo; habillĂ©e Ă l'espagnole. Figaro, barbier de SĂ©ville en habit de majo espagnol. La tĂÂȘte couverte d'un rescille ou filet; chapeau blanc, ruban de couleur autour de la forme, un fichu de soie attachĂ© fort lĂÂąche Ă son cou, gilet et haut-de-chausse de satin, avec des boutons et boutonniĂšres frangĂ©s d'argent; une grande ceinture de soie, les jarretiĂšres nouĂ©es avec des glands qui pendent sur chaque jambe; veste de couleur tranchante, Ă grands revers de la couleur du gilet; bas blancs et souliers gris. Don Bazile, organiste, maĂtre Ă chanter de Rosine chapeau noir rabattu, soutanelle et long manteau, sans fraise ni manchettes. La Jeunesse, vieux domestique de Bartholo. L'EveillĂ©, autre valet de Bartholo, garçon niais et endormi. Tous deux habillĂ©s en Galiciens; tous les cheveux dans la queue; gilet couleur de chamois; large ceinture de peau avec une boucle; culotte bleue et veste de mĂÂȘme, dont les manches, ouvertes aux Ă©paules pour le passage des bras, sont pendantes par-derriĂšre. Un Notaire. Un Alcade, homme de justice, avec une longue baguette blanche Ă la main. Plusieurs Alguazils et Valets avec des flambeaux. La scĂšne est Ă SĂ©ville, dans la rue et sous les fenĂÂȘtres de Rosine, au premier acte, et le reste de la piĂšce dans la maison du docteur Bartholo. Acte premier Le thĂ©ĂÂątre reprĂ©sente une rue de SĂ©ville, oĂÂč toutes les croisĂ©es sont grillĂ©es. ScĂšne I Le Comte, seul, en grand manteau brun et chapeau rabattu. Il tire sa montre en se promenant. Le jour est moins avancĂ© que je ne croyais. L'heure Ă laquelle elle a coutume de se montrer derriĂšre sa jalousie est encore Ă©loignĂ©e. N'importe; il vaut mieux arriver trop tĂÂŽt que de manquer l'instant de la voir. Si quelque aimable de la Cour pouvait me deviner Ă cent lieues de Madrid, arrĂÂȘtĂ© tous les matins sous les fenĂÂȘtres d'une femme Ă qui je n'ai jamais parlĂ©, il me prendrait pour un Espagnol du temps d'Isabelle... Pourquoi non? Chacun court aprĂšs le bonheur. Il est pour moi dans le coeur de Rosine... Mais quoi! suivre une femme Ă SĂ©ville, quand Madrid et la Cour offrent de toutes parts des plaisirs si faciles? Et c'est cela mĂÂȘme que je fuis. Je suis las des conquĂÂȘtes que l'intĂ©rĂÂȘt, la convenance ou la vanitĂ© nous prĂ©sentent sans cesse. Il est si doux d'ĂÂȘtre aimĂ© pour soi-mĂÂȘme! Et si je pouvais m'assurer sous ce dĂ©guisement... Au diable l'importun! ScĂšne II Figaro, Le Comte, cachĂ©. Figaro, une guitare sur le dos, attachĂ©e en bandouliĂšre avec un large ruban il chantonne gaiement, un papier et un crayon Ă la main. Nð I. Bannissons le chagrin, Il nous consume Sans le feu du bon vin Qui nous rallume, RĂ©duit Ă languir, L'homme sans plaisir Vivrait comme un sot, Et mourrait bientĂÂŽt. Jusque-lĂ ceci ne va pas mal, hein, hein. ... Et mourrait bientĂÂŽt. Le vin et la paresse Se disputent mon coeur. Eh non! ils ne se le disputent pas, ils y rĂšgnent paisiblement ensemble... Se partagent... mon coeur. Dit-on se partagent?... Eh! mon Dieu, nos faiseurs d'opĂ©ras-comiques n'y regardent pas de si prĂšs. Aujourd'hui, ce qui ne vaut pas la peine d'ĂÂȘtre dit, on le chante. Il chante. Le vin et la paresse Se partagent mon coeur. Je voudrais finir par quelque chose de beau, de brillant, de scintillant, qui eĂ»t l'air d'une pensĂ©e. Il met un genou en terre et Ă©crit en chantant. Se partagent mon coeur. Si l'une a ma tendresse... L'autre fait mon bonheur. Fi donc! c'est plat. Ce n'est pas ça... Il me faut une opposition, une antithĂšse Si l'une... est ma maĂtresse L'autre... Eh! parbleu, j'y suis... L'autre est mon serviteur. Fort bien, Figaro!... Il Ă©crit en chantant. Le vin et la paresse Se partagent mon coeur; Si l'une est ma maĂtresse, L'autre est mon serviteur. L'autre est mon serviteur. L'autre est mon serviteur. Hen, hen, quand il y aura des accompagnements lĂ -dessous, nous verrons encore, messieurs de la cabale, si je ne sais ce que je dis... Il aperçoit le Comte. J'ai vu cet abbĂ©-lĂ quelque part. Il se relĂšve. Le Comte, Ă part. Cet homme ne m'est pas inconnu. Figaro Eh non, ce n'est pas un abbĂ©! Cet air altier et noble... Le Comte Cette tournure grotesque... Figaro Je ne me trompe point; c'est le comte Almaviva. Le Comte Je crois que c'est ce coquin de Figaro. Figaro C'est lui-mĂÂȘme, Monseigneur. Le Comte Maraud! si tu dis un mot... Figaro Oui, je vous reconnais; voilĂ les bontĂ©s familiĂšres dont vous m'avez toujours honorĂ©. Le Comte Je ne te reconnaissais pas, moi. Te voilĂ si gros et si gras... Figaro Que voulez-vous, Monseigneur, c'est la misĂšre. Le Comte Pauvre petit! Mais que fais-tu Ă SĂ©ville? je t'avais autrefois recommandĂ© dans les bureaux pour un emploi. Figaro Je l'ai obtenu, Monseigneur; et ma reconnaissance... Le Comte Appelle-moi Lindor. Ne vois-tu pas, Ă mon dĂ©guisement, que je veux ĂÂȘtre inconnu? Figaro Je me retire. Le Comte Au contraire. J'attends ici quelque chose, et deux hommes qui jasent sont moins suspects qu'un seul qui se promĂšne. Ayons l'air de jaser. Eh bien, cet emploi? Figaro Le ministre, ayant Ă©gard Ă la recommandation de Votre Excellence, me fit nommer sur-le-champ garçon apothicaire. Le Comte Dans les hĂÂŽpitaux de l'armĂ©e? Figaro Non; dans les haras d'Andalousie. Le Comte, riant. Beau dĂ©but! Figaro Le poste n'Ă©tait pas mauvais; parce qu'ayant le district des pansements et des drogues, je vendais souvent aux hommes de bonnes mĂ©decines de cheval... Le Comte Qui tuaient les sujets du roi! Figaro Ah! Ah! il n'y a point de remĂšde universel; mais qui n'ont pas laissĂ© de guĂ©rir quelquefois des Galiciens, des Catalans, des Auvergnats. Le Comte Pourquoi donc l'as-tu quittĂ©? Figaro QuittĂ©? C'est bien lui-mĂÂȘme; on m'a desservi auprĂšs des puissances. L'envie aux doigts crochus, au teint pĂÂąle et livide... Le Comte Oh! grĂÂące! grĂÂące, ami! Est-ce que tu fais aussi des vers? Je t'ai vu lĂ griffonnant sur ton genou, et chantant dĂšs le matin. Figaro VoilĂ prĂ©cisĂ©ment la cause de mon malheur, Excellence. Quand on a rapportĂ© au ministre que je faisais, je puis dire assez joliment, des bouquets Ă Cloris; que j'envoyais des Ă©nigmes aux journaux, qu'il courait des madrigaux de ma façon; en un mot, quand il a su que j'Ă©tais imprimĂ© tout vif, il a pris la chose au tragique et m'a fait ĂÂŽter mon emploi, sous prĂ©texte que l'amour des lettres est incompatible avec l'esprit des affaires. Le Comte Puissamment raisonnĂ©! Et tu ne lui fis pas reprĂ©senter... Figaro Je me crus trop heureux d'en ĂÂȘtre oubliĂ©, persuadĂ© qu'un grand nous fait assez de bien quand il ne nous fait pas de mal. Le Comte Tu ne dis pas tout. je me souviens qu'Ă mon service tu Ă©tais un assez mauvais sujet. Figaro Eh! mon Dieu, Monseigneur, c'est qu'on veut que le pauvre soit sans dĂ©faut. Le Comte Paresseux, dĂ©rangĂ©... Figaro Aux vertus qu'on exige dans un domestique, Votre Excellence connaĂt-elle beaucoup de maĂtres qui fussent dignes d'ĂÂȘtre valets? Le Comte, riant. Pas mal. Et tu t'es retirĂ© en cette ville? Figaro Non, pas tout de suite. Le Comte, l'arrĂÂȘtant. Un moment... J'ai cru que c'Ă©tait elle... Dis toujours, je t'entends de reste. Figaro De retour Ă Madrid, je voulus essayer de nouveau mes talents littĂ©raires; et le thĂ©ĂÂątre me parut un champ d'honneur... Le Comte Ah! MisĂ©ricorde! Figaro. Pendant sa rĂ©plique, le Comte regarde avec attention du cĂÂŽtĂ© de la jalousie. En vĂ©ritĂ©, je ne sais comment je n'eus pas le plus grand succĂšs, car j'avais rempli le parterre des plus excellents travailleurs; des mains... comme des battoirs; j'avais interdit les gants, les cannes, tout ce qui ne produit que des applaudissements sourds; et d'honneur, avant la piĂšce, le cafĂ© m'avait paru dans les meilleures dispositions pour moi. Mais les efforts de la cabale... Le Comte Ah! la cabale! monsieur l'auteur tombĂ©! Figaro Tout comme un autre pourquoi pas? Ils m'ont sifflĂ©; mais si jamais je puis les rassembler... Le Comte L'ennui te vengera bien d'eux? Figaro Ah! comme je leur en garde, morbleu! Le Comte Tu jures! Sais-tu qu'on n'a que vingt-quatre heures au palais pour maudire ses juges? Figaro On a vingt-quatre ans au thĂ©ĂÂątre; la vie est trop courte pour user un pareil ressentiment. Le Comte Ta joyeuse colĂšre me rĂ©jouit. Mais tu ne me dis pas ce qui t'a fait quitter Madrid. Figaro C'est mon bon ange, Excellence, puisque je suis assez heureux pour retrouver mon ancien maĂtre. Voyant Ă Madrid que la rĂ©publique des lettres Ă©tait celle des loups, toujours armĂ©s les uns contre les autres, et que, livrĂ©s au mĂ©pris oĂÂč ce risible acharnement les conduit, tous les insectes, les moustiques, les cousins, les critiques, les maringouins, les envieux, les feuillistes, les libraires, les censeurs, et tout ce qui s'attache Ă la peau des malheureux gens de lettres, achevait de dĂ©chiqueter et sucer le peu de substance qui leur restait; fatiguĂ© d'Ă©crire, ennuyĂ© de moi, dĂ©goĂ»tĂ© des autres, abĂmĂ© de dettes et lĂ©ger d'argent; Ă la fin convaincu que l'utile revenu du rasoir est prĂ©fĂ©rable aux vains honneurs de la plume, j'ai quittĂ© Madrid; et, mon bagage en sautoir, parcourant philosophiquement les deux Castilles, la Manche, l'Estramadure, la Sierra-Morena, l'Andalousie; accueilli dans une ville, emprisonnĂ© dans l'autre, et partout supĂ©rieur aux Ă©vĂ©nements; louĂ© par ceux-ci, blĂÂąmĂ© par ceux-lĂ ; aidant au bon temps, supportant le mauvais; me moquant des sots, bravant les mĂ©chants, riant de ma misĂšre et faisant la barbe Ă tout le monde; vous me voyez enfin Ă©tabli dans SĂ©ville, et prĂÂȘt Ă servir de nouveau Votre Excellence en tout ce qu'il lui plaira m'ordonner. Le Comte Qui t'a donnĂ© une philosophie aussi gaie? Figaro L'habitude du malheur. Je me presse de rire de tout, de peur d'ĂÂȘtre obligĂ© d'en pleurer. Que regardez-vous donc toujours de ce cĂÂŽtĂ©? Le Comte Sauvons-nous. Figaro Pourquoi? Le Comte Viens donc, malheureux! tu me perds. Ils se cachent. ScĂšne III Bartholo, Rosine. La jalousie du premier Ă©tage s'ouvre, et Bartholo et Rosine se mettent Ă la fenĂÂȘtre. Rosine Comme le grand air fait plaisir Ă respirer!... Cette jalousie s'ouvre si rarement... Bartholo Quel papier tenez-vous lĂ ? Rosine Ce sont des couplets de La PrĂ©caution inutile, que mon maĂtre Ă chanter m'a donnĂ©s hier. Bartholo Qu'est-ce que La PrĂ©caution inutile? Rosine C'est une comĂ©die nouvelle. Bartholo Quelque drame encore! quelque sottise d'un nouveau genre! Rosine Je n'en sais rien. Bartholo Euh, euh, les journaux et l'autoritĂ© nous en feront raison. SiĂšcle barbare!... Rosine Vous injuriez toujours notre pauvre siĂšcle. Bartholo Pardon de la libertĂ©! Qu'a-t-il produit pour qu'on le loue? Sottises de toute espĂšce la libertĂ© de penser, l'attraction, l'Ă©lectricitĂ©, le tolĂ©rantisme, l'inoculation, le quinquina, L'EncyclopĂ©die, et les drames... Rosine le papier lui Ă©chappe et tombe dans la rue. Ah! ma chanson! Ma chanson est tombĂ©e en vous Ă©coutant, courez, courez donc, monsieur! Ma chanson, elle sera perdue! Bartholo Que diable aussi, l'on tient ce qu'on tient. Il quitte le balcon. Rosine regarde en dedans et fait signe dans la rue. St, st! Le Comte paraĂt. Ramassez vite et sauvez-vous. Le Comte ne fait qu'un saut, ramasse le papier et rentre. Bartholo sort de la maison et cherche. OĂÂč donc est-il? Je ne vois rien. Rosine Sous le balcon, au pied du mur. Bartholo Vous me donnez lĂ une jolie commission! Il est donc passĂ© quelqu'un? Rosine Je n'ai vu personne. Bartholo, Ă lui-mĂÂȘme. Et moi qui ai la bontĂ© de chercher!... Bartholo, vous n'ĂÂȘtes qu'un sot, mon ami ceci doit vous apprendre Ă ne jamais ouvrir de jalousies sur la rue. Il rentre. Rosine, toujours au balcon. Mon excuse est dans mon malheur seule, enfermĂ©e, en butte Ă la persĂ©cution d'un homme odieux, est-ce un crime de tenter Ă sortir d'esclavage? Bartholo, paraissant au balcon. Rentrez, signora; c'est ma faute si vous avez perdu votre chanson; mais ce malheur ne vous arrivera plus, je vous jure. Il ferme la jalousie Ă la clef. ScĂšne IV Le Comte, Figaro. Ils entrent avec prĂ©caution. Le Comte A prĂ©sent qu'ils sont retirĂ©s, examinons cette chanson, dans laquelle un mystĂšre est sĂ»rement renfermĂ©. C'est un billet! Figaro Il demandait ce que c'est que la PrĂ©caution inutile! Le Comte lit vivement. "Votre empressement excite ma curiositĂ© sitĂÂŽt que mon tuteur sera sorti, chantez indiffĂ©remment, sur l'air connu de ces couplets, quelque chose qui m'apprenne enfin le nom, l'Ă©tat et les intentions de celui qui paraĂt s'attacher si obstinĂ©ment Ă l'infortunĂ©e Rosine." Figaro, contrefaisant la voix de Rosine. Ma chanson, ma chanson est tombĂ©e; courez, courez donc! Il rit. ah! ah! ah! ah! Oh! ces femmes! Voulez-vous donner de l'adresse Ă la plus ingĂ©nue? Enfermez-la. Le Comte Ma chĂšre Rosine! Figaro Monseigneur, je ne suis plus en peine des motifs de votre mascarade; vous faites ici l'amour en perspective. Le Comte Te voilĂ instruit; mais si tu jases... Figaro Moi, jaser! Je n'emploierai point pour vous rassurer les grandes phrases d'honneur et de dĂ©vouement dont on abuse Ă la journĂ©e; je n'ai qu'un mot mon intĂ©rĂÂȘt vous rĂ©pond de moi; pesez tout Ă cette balance, et... Le Comte Fort bien. Apprends donc que le hasard m'a fait rencontrer au Prado, il y a six mois, une jeune personne d'une beautĂ©!... Tu viens de la voir. Je l'ai fait chercher en vain par tout Madrid. Ce n'est que depuis peu de jours que j'ai dĂ©couvert qu'elle s'appelle Rosine, est d'un sang noble, orpheline, et mariĂ©e Ă un vieux mĂ©decin de cette ville, nommĂ© Bartholo. Figaro Joli oiseau, ma foi! difficile Ă dĂ©nicher! Mais qui vous a dit qu'elle Ă©tait femme du docteur? Le Comte Tout le monde. Figaro C'est une histoire qu'il a forgĂ©e en arrivant de Madrid pour donner le change aux galants et les Ă©carter; elle n'est encore que sa pupille, mais bientĂÂŽt... Le Comte, vivement. Jamais, Ah! quelle nouvelle! J'Ă©tais rĂ©solu de tout oser pour lui prĂ©senter mes regrets, et je la trouve libre! Il n'y a pas un moment Ă perdre; il faut m'en faire aimer, et l'arracher Ă l'indigne engagement qu'on lui destine. Tu connais donc ce tuteur? Figaro Comme ma mĂšre. Le Comte Quel homme est-ce? Figaro, vivement. C'est un beau, gros, court, jeune vieillard, gris pommelĂ©, rusĂ©, rasĂ©, blasĂ©, qui guette, et furette, et gronde, et geint tout Ă la fois. Le Comte, impatientĂ©. Eh! je l'ai vu. Son caractĂšre? Figaro Brutal, avare, amoureux et jaloux Ă l'excĂšs de sa pupille, qui le hait Ă la mort. Le Comte Ainsi, ses moyens de plaire sont... Figaro Le Comte Tant mieux. Sa probitĂ©? Figaro Tout juste autant qu'il en faut pour n'ĂÂȘtre point pendu. Le Comte Tant mieux. Punir un fripon en se rendant heureux... Figaro C'est faire Ă la fois le bien public et particulier chef-d'oeuvre de morale, en vĂ©ritĂ©, Monseigneur! Le Comte Tu dis que la crainte des galants lui fait fermer sa porte? Figaro A tout le monde; s'il pouvait la calfeutrer... Le Comte Ah! diable, tant pis. Aurais-tu de l'accĂšs chez lui? Figaro Si j'en ai! Primo, la maison que j'occupe appartient au docteur, qui m'y loge gratis... Le Comte Ah! ah! Figaro Et moi, en reconnaissance, je lui promets dix pistoles d'or par an, gratis aussi... Le Comte, impatientĂ©. Tu es son locataire? Figaro De plus, son barbier, son chirurgien, son apothicaire; il ne se donne pas dans sa maison un coup de rasoir, de lancette ou de piston, qui ne soit de la main de votre serviteur. Le Comte l'embrasse. Ah! Figaro, mon ami, tu seras mon ange, mon libĂ©rateur, mon dieu tutĂ©laire. Figaro Peste! comme l'utilitĂ© vous a bientĂÂŽt rapprochĂ© les distances! Parlez-moi des gens passionnĂ©s! Le Comte Heureux Figaro, tu vas voir ma Rosine! tu vas la voir! Conçois! tu ton bonheur? Figaro C'est bien lĂ un propos d'amant! Est-ce que je l'adore, moi? Puissiez-vous prendre ma place! Le Comte Ah! si l'on pouvait Ă©carter tous les surveillants! Figaro C'est Ă quoi je rĂÂȘvais. Le Comte Pour douze heures seulement! Figaro En occupant les gens de leur propre intĂ©rĂÂȘt, on les empĂÂȘche de nuire Ă l'intĂ©rĂÂȘt d'autrui. Le Comte Sans doute. Eh bien? Figaro, rĂÂȘvant. Je cherche dans ma tĂÂȘte si la pharmacie ne fournirait pas quelques petits moyens innocents... Le Comte ScĂ©lĂ©rat! Figaro Est-ce que je veux leur nuire? Ils ont tous besoin de mon ministĂšre. Il ne s'agit que de les traiter ensemble. Le Comte Mais ce mĂ©decin peut prendre un soupçon. Figaro Il faut marcher si vite que le soupçon n'ait pas le temps de naĂtre. Il me vient une idĂ©e le rĂ©giment de Royal-Infant arrive en cette ville. Le Comte Le colonel est de mes amis. Figaro Bon. PrĂ©sentez-vous chez le docteur en habit de cavalier, avec un billet de logement; il faudra bien qu'il vous hĂ©berge; et moi, je me charge du reste. Le Comte Excellent! Figaro Il ne serait mĂÂȘme pas mal que vous eussiez l'air entre deux vins... Le Comte A quoi bon? Figaro Et le mener un peu lestement sous cette apparence dĂ©raisonnable. Le Comte A quoi bon? Figaro Pour qu'il ne prenne aucun ombrage, et vous croie plus pressĂ© de dormir que d'intriguer chez lui. Le Comte SupĂ©rieurement vu! Mais que n'y vas-tu, toi? Figaro Ah! oui, moi! Nous serons bien heureux s'il ne vous reconnaĂt pas, vous qu'il n'a jamais vu. Et comment vous introduire aprĂšs? Le Comte Tu as raison. Figaro C'est que vous ne pouvez peut-ĂÂȘtre pas soutenir ce personnage difficile. Cavalier... pris de vin... Le Comte Tu te moques de moi. Prenant un ton ivre. N'est-ce point ici la maison du docteur Bartholo, mon ami? Figaro Pas mal, en vĂ©ritĂ©; vos jambes seulement un peu plus avinĂ©es. D'un ton plus ivre. N'est-ce pas ici la maison... Le Comte Fi donc! tu as l'ivresse du peuple. Figaro C'est la bonne, c'est celle du plaisir Le Comte La porte s'ouvre. Figaro C'est notre homme Ă©loignons-nous jusqu'Ă ce qu'il soit parti. ScĂšne V Le Comte et Figaro cachĂ©s; Bartholo. Bartholo sort en parlant Ă la maison. Je reviens Ă l'instant; qu'on ne laisse entrer personne. Quelle sottise Ă moi d'ĂÂȘtre descendu! DĂšs qu'elle m'en priait, je devais bien me douter... Et Bazile qui ne vient pas! Il devait tout arranger pour que mon mariage se fĂt secrĂštement demain et point de nouvelles! Allons voir ce qui peut l'arrĂÂȘter. ScĂšne VI Le Comte, Figaro. Le Comte Qu'ai-je entendu? Demain il Ă©pouse Rosine en secret! Figaro Monseigneur, la difficultĂ© de rĂ©ussir ne fait qu'ajouter Ă la nĂ©cessitĂ© d'entreprendre. Le Comte Quel est donc ce Bazile qui se mĂÂȘle de son mariage? Figaro Un pauvre hĂšre qui montre la musique Ă sa pupille, infatuĂ© de son art, friponneau, besogneux, Ă genoux devant un Ă©cu, et dont il sera facile de venir Ă bout, Monseigneur... Regardant Ă la jalousie. La v'lĂ , la v'lĂ . Le Comte Qui donc? Figaro DerriĂšre sa jalousie, la voilĂ , la voilĂ . Ne regardez pas, ne regardez donc pas! Le Comte Pourquoi? Figaro Ne vous Ă©crit-elle pas Chantez indiffĂ©remment? c'est-Ă -dire, chantez comme si vous chantiez... seulement pour chanter. Oh! la v'lĂ , la v'lĂ . Le Comte Puisque j'ai commencĂ© Ă l'intĂ©resser sans ĂÂȘtre connu d'elle, ne quittons point le nom de Lindor que j'ai pris; mon triomphe en aura plus de charmes. Il dĂ©ploie le papier que Rosine a jetĂ©. Mais comment chanter sur cette musique? Je ne sais pas faire de vers, moi. Figaro Tout ce qui vous viendra, Monseigneur, est excellent en amour, le coeur n'est pas difficile sur les productions de l'esprit... Et prenez ma guitare. Le Comte Que veux-tu que j'en fasse? j'en joue si mal! Figaro Est-ce qu'un homme comme vous ignore quelque chose? Avec le dos de la main; from, from, from... Chanter sans guitare Ă SĂ©ville! vous seriez bientĂÂŽt reconnu, ma foi, bientĂÂŽt dĂ©pistĂ©. Figaro se colle au mur sous le balcon. Le Comte chante en se promenant et s'accompagnant sur sa guitare. Nð 2. Premier Couplet Vous l'ordonnez, je me ferai connaĂtre; Plus inconnu, j'osais vous adorer En me nommant, que pourrais-je espĂ©rer? N'importe, il faut obĂ©ir Ă son maĂtre. Figaro, bas. Fort bien, parbleu! Courage, Monseigneur! Le Comte DeuxiĂšme Couplet Je suis Lindor, ma naissance est commune, Mes voeux sont ceux d'un simple bachelier Que n'ai-je, hĂ©las! d'un brillant chevalier A vous offrir le rang et la fortune! Figaro Eh comment diable! je ne ferais pas mieux, moi qui m'en pique. Le Comte TroisiĂšme Couplet Tous les matins, ici, d'une voix tendre, Je chanterai mon amour sans espoir; Je bornerai mes plaisirs Ă vous voir; Et puissiez-vous en trouver Ă m'entendre! Figaro Oh! ma foi, pour celui-ci!... Il s'approche, et baise le bas de l'habit de son maĂtre. Le Comte Figaro? Figaro Excellence? Le Comte Crois-tu que l'on m'ait entendu Rosine, en dedans, chante. Air du MaĂtre en droit. Tout me dit que Lindor est charmant, Que je dois l'aimer constamment... On entend une croisĂ©e qui se ferme avec bruit. Figaro Croyez-vous qu'on vous ait entendu, cette fois? Le Comte Elle a fermĂ© sa fenĂÂȘtre; quelqu'un apparemment est entrĂ© chez elle. Figaro Ah! la pauvre petite! comme elle tremble en chantant! Elle est prise, Monseigneur. Le Comte Elle se sert du moyen qu'elle-mĂÂȘme a indiquĂ©. Tout me dit que Lindor est charmant. Que de grĂÂąces! que d'esprit! Figaro Que de ruse! que d'amour! Le Comte Crois-tu qu'elle se donne Ă moi, Figaro? Figaro Elle passera plutĂÂŽt Ă travers cette jalousie que d'y manquer. Le Comte C'en est fait, je suis Ă ma Rosine... pour la vie Figaro Vous oubliez, Monseigneur, qu'elle ne vous entend plus. Le Comte Monsieur Figaro! je n'ai qu'un mot Ă vous dire elle sera ma femme; et si vous servez bien mon projet en lui cachant mon nom... Tu m'entends, tu me connais... Figaro Je me rends. Allons, Figaro, vole Ă la fortune, mon fils. Le Comte Retirons-nous, crainte de nous rendre suspects. Figaro, vivement. Moi, j'entre ici, oĂÂč, par la force de mon art, je vais, d'un seul coup de baguette, endormir la vigilance, Ă©veiller l'amour, Ă©garer la jalousie, fourvoyer l'intrigue, et renverser tous les obstacles. Vous, Monseigneur, chez moi, l'habit de soldat, le billet de logement, et de l'or dans vos poches. Le Comte Pour qui, de l'or? Figaro, vivement. De l'or, mon Dieu, de l'or c'est le nerf de l'intrigue. Le Comte Ne te fĂÂąche pas, Figaro, j'en prendrai beaucoup. Figaro, s'en allant. Je vous rejoins dans peu. Le Comte Figaro! Figaro Qu'est-ce que c'est? Le Comte Et ta guitare? Figaro revient. J'oublie ma guitare, moi! Je suis donc fou! Il s'en va. Le Comte Et ta demeure, Ă©tourdi? Figaro revient. Ah! rĂ©ellement je suis frappĂ©! - Ma boutique Ă quatre pas d'ici, peinte en bleu, vitrage en plomb, trois palettes en l'air, l'oeil dans la main, Consilio manuque, FIGARO. Il s'enfuit. Acte deuxiĂšme Le thĂ©ĂÂątre reprĂ©sente l'appartement de Rosine, La croisĂ©e dans le fond du thĂ©ĂÂątre est fermĂ©e par une jalousie grillĂ©e. ScĂšne I Rosine, seule, un bougeoir Ă la main. Elle prend du papier sur la table et se met Ă Ă©crire. Marceline est malade; tous les gens sont occupĂ©s; et personne ne me voit Ă©crire. Je ne sais si ces murs ont des yeux et des oreilles, ou si mon argus a un gĂ©nie malfaisant qui l'instruit Ă point nommĂ©; mais je ne puis dire un mot ni faire un pas, dont il ne devine sur-le-champ l'intention... Ah! Lindor! Elle cachette la lettre. Fermons toujours ma lettre, quoique j'ignore quand et comment je pourrai la lui faire tenir. Je l'ai vu Ă travers ma jalousie parler longtemps au barbier Figaro. C'est un bon homme qui m'a montrĂ© quelquefois de la pitiĂ© si je pouvais l'entretenir un moment! ScĂšne II Rosine, Figaro. Rosine, surprise. Ah! monsieur Figaro, que je suis aise de vous voir! Figaro Votre santĂ©, madame? Rosine Pas trop bonne, monsieur Figaro. L'ennui me tue. Figaro Je le crois; il n'engraisse que les sots. Rosine Avec qui parliez-vous donc lĂ -bas si vivement? Je n'entendais pas; mais... Figaro Avec un jeune bachelier de mes parents, de la plus grande espĂ©rance; plein d'esprit, de sentiments, de talents, et d'une figure fort revenante. Rosine Oh! tout Ă fait bien, je vous assure! Il se nomme?... Figaro Lindor. Il n'a rien; mais s'il n'eĂ»t pas quittĂ© brusquement Madrid, il pouvait y trouver quelque bonne place. Rosine Il en trouvera, monsieur Figaro; il en trouvera. Un jeune homme tel que vous le dĂ©peignez n'est pas fait pour rester inconnu. Figaro, Ă part. Fort bien. Haut. Mais il a un grand dĂ©faut qui nuira toujours Ă son avancement. Rosine Un dĂ©faut, monsieur Figaro! Un dĂ©faut! en ĂÂȘtes-vous bien sĂ»r? Figaro Il est amoureux. Rosine Il est amoureux! et vous appelez cela un dĂ©faut! Figaro A la vĂ©ritĂ©, ce n'en est un que relativement Ă sa mauvaise fortune. Rosine Ah! que le sort est injuste! Et nomme-t-il la personne qu'il aime? Je suis d'une curiositĂ©... Figaro Vous ĂÂȘtes la derniĂšre, madame, Ă qui je voudrais faire une confidence de cette nature. Rosine, vivement. Pourquoi, monsieur Figaro? Je suis discrĂšte. Ce jeune homme vous appartient, il m'intĂ©resse infiniment... Dites donc. Figaro, la regardant finement. Figurez-vous la plus jolie petite mignonne, douce, tendre, accorte et fraĂche, agaçant l'appĂ©tit; pied furtif, taille adroite, Ă©lancĂ©e, bras dodus, bouche rosĂ©e, et des mains! des joues! des dents! des yeux!... Rosine Qui reste en cette ville? Figaro En ce quartier. Rosine Dans cette rue peut-ĂÂȘtre? Figaro A deux pas de moi. Rosine Ah! que c'est charmant... pour monsieur votre parent. Et cette personne est?... Figaro Je ne l'ai pas nommĂ©e? Rosine, vivement. C'est la seule chose que vous ayez oubliĂ©e, monsieur Figaro. Dites donc, dites donc vite; si l'on rentrait, je ne pourrais plus savoir... Figaro Vous le voulez absolument, madame? Eh bien, cette personne est... la pupille de votre tuteur. Rosine La pupille?... Figaro Du docteur Bartholo; oui, madame. Rosine, avec Ă©motion Ah! monsieur Figaro... Je ne vous crois pas, je vous assure. Figaro Et c'est ce qu'il brĂ»le de venir vous persuader lui-mĂÂȘme. Rosine Vous me faites trembler, monsieur Figaro. Figaro Fi donc, trembler! mauvais calcul, madame. Quand on cĂšde Ă la peur du mal, on ressent dĂ©jĂ le mal de la peur. D'ailleurs je viens de vous dĂ©barrasser de tous vos surveillants jusqu'Ă demain. Rosine S'il m'aime, il doit me le prouver en restant absolument tranquille. Figaro Eh! madame! amour et repos peuvent-ils habiter en mĂÂȘme coeur? La pauvre jeunesse est si malheureuse aujourd'hui, qu'elle n'a que ce terrible choix amour sans repos, ou repos sans amour. ROSINE, baissant les yeux. Repos sans amour... paraĂt... Figaro Ah! bien languissant. Il me semble, en effet, qu'amour sans repos se prĂ©sente de meilleure grĂÂące et pour moi, si j'Ă©tais femme... Rosine, avec embarras. Il est certain qu'une jeune personne ne peut empĂÂȘcher un honnĂÂȘte homme de l'estimer. Figaro Aussi mon parent vous estime-t-il infiniment. Rosine Mais s'il allait faire quelque imprudence, monsieur Figaro, il nous perdrait. Figaro, Ă part. Il nous perdrait! Haut. Si vous le lui dĂ©fendiez expressĂ©ment par une petite lettre... Une lettre a bien du pouvoir. Rosine lui donne la lettre qu'elle vient d'Ă©crire. Je n'ai pas le temps de recommencer celle-ci; mais en la lui donnant, dites-lui... dites-lui bien... Elle Ă©coute. Figaro Personne, madame. Rosine Que c'est par pure amitiĂ© tout ce que je fais. Figaro Cela parle de soi. Tudieu! l'amour a bien une autre allure! Rosine Que par pure amitiĂ©, entendez-vous? Je crains seulement que, rebutĂ© par les difficultĂ©s... Figaro Oui, quelque feu follet. Souvenez-vous, madame, que le vent qui Ă©teint une lumiĂšre allume un brasier, et que nous sommes ce brasier-lĂ . D'en parler seulement, il exhale un tel feu qu'il m'a presque enfiĂ©vrĂ© de sa passion, moi qui n'y ai que voir! Rosine Dieux! j'entends mon tuteur. S'il vous trouvait ici... Passez par le cabinet du clavecin, et descendez le plus doucement que vous pourrez. Figaro Soyez tranquille. A part, montrant la lettre. voici, qui vaut mieux que mes observations Il entre dans le cabinet. ScĂšne III Rosine, seule. Je meurs d'inquiĂ©tude jusqu'Ă ce qu'il soit dehors... Que je l'aime, ce bon Figaro! c'est un bien honnĂÂȘte homme, un bon parent! Ah! voilĂ mon tyran; reprenons mon ouvrage. Elle souffle la bougie, s'assied, et prend une broderie au tambour. ScĂšne IV Bartholo, Rosine. Bartholo, en colĂšre. Ah! malĂ©diction! l'enragĂ©, le scĂ©lĂ©rat corsaire de Figaro! LĂ , peut-on sortir un moment de chez soi sans ĂÂȘtre sĂ»r en rentrant?... Rosine Qui vous met donc si fort en colĂšre, monsieur? Bartholo Ce damnĂ© barbier qui vient d'Ă©cloper toute ma maison en un tour de main; il donne un narcotique Ă l'EveillĂ©, un sternutatoire Ă La Jeunesse; il saigne au pied Marceline; il n'y a pas jusqu'Ă ma mule... Sur les yeux d'une pauvre bĂÂȘte aveugle, un cataplasme! Parce qu'il me doit cent Ă©cus, il se presse de faire des mĂ©moires. Ah! qu'il les apporte!... Et personne Ă l'antichambre! On arrive Ă cet appartement comme Ă la place d'armes. Rosine Eh! qui peut y pĂ©nĂ©trer que vous, monsieur? Bartholo J'aime mieux craindre sans sujet, que de m'exposer sans prĂ©caution. Tout est plein de gens entreprenants, d'audacieux... N'a-t-on pas, ce matin encore, ramassĂ© lestement votre chanson pendant que j'allais la chercher? Oh! je... Rosine C'est bien mettre Ă plaisir de l'importance Ă tout! Le vent peut avoir Ă©loignĂ© ce papier, le premier venu; que sais-je? Bartholo Le vent, le premier venu!... Il n'y a point de vent, madame, point de premier venu dans le monde; et c'est toujours quelqu'un postĂ© lĂ exprĂšs qui ramasse les papiers qu'une femme a l'air de laisser tomber par mĂ©garde. Rosine A l'air, monsieur? Bartholo Oui, madame, a l'air. Rosine, Ă part. Oh! le mĂ©chant vieillard! Bartholo Mais tout cela n'arrivera plus; car je vais faire sceller cette grille. Rosine Faites mieux; murez les fenĂÂȘtres tout d'un coup; d'une prison Ă un cachot la diffĂ©rence est si peu de chose! Bartholo Pour celles qui donnent sur la rue, ce ne serait peut-ĂÂȘtre pas si mal... Ce barbier n'est pas entrĂ© chez vous, au moins? Rosine Vous donne-t-il aussi de l'inquiĂ©tude? Bartholo Tout comme un autre. Rosine Que vos rĂ©pliques sont honnĂÂȘtes! Bartholo Ah! fiez-vous Ă tout le monde, et vous aurez bientĂÂŽt Ă la maison une bonne femme pour vous tromper, de bons amis pour vous la souffler, et de bons valets pour les y aider. Rosine Quoi! vous n'accordez pas mĂÂȘme qu'on ait des principes contre la sĂ©duction de monsieur Figaro? Bartholo Qui diable entend quelque chose Ă la bizarrerie des femmes? Et combien j'en ai vu, de ces vertus Ă principes!... Rosine, en colĂšre. Mais, monsieur, s'il suffit d'ĂÂȘtre homme pour nous plaire, pourquoi donc me dĂ©plaisez-vous si fort? Bartholo, stupĂ©fait. Pourquoi?... pourquoi?... Vous ne rĂ©pondez pas Ă ma question sur ce barbier. Rosine, outrĂ©e. Eh bien! oui, cet homme est entrĂ© chez moi; je l'ai vu, je lui ai parlĂ©. Je ne vous cache pas mĂÂȘme que je l'ai trouvĂ© fort aimable; et puissiez-vous en mourir de dĂ©pit! Elle sort. ScĂšne V Bartholo, seul. Oh! les juifs, les chiens de valets! La jeunesse! L'EveillĂ©! L'EveillĂ© maudit! ScĂšne VI Bartholo, L'EveillĂ©. L'EveillĂ© arrive en bĂÂąillant, tout endormi. Aah, aah, ah, ah... Bartholo OĂÂč Ă©tais-tu, peste d'Ă©tourdi, quand ce barbier est entrĂ© ici? L'EveillĂ© Monsieur j'Ă©tais... ah, aah, ah.. Bartholo A machiner quelque espiĂšglerie, sans doute? Et tu ne l'as pas vu? L'EveillĂ© SĂ»rement je l'ai vu, puisqu'il m'a trouvĂ© tout malade, Ă ce qu'il dit; et faut bien que ça soit vrai, car j'ai commencĂ© Ă me douloir dans tous les membres, rien qu'en l'en-entendant parl... Ah, ah, aah... Bartholo le contrefait. Rien qu'en l'en-entendant!... OĂÂč donc est ce vaurien de La Jeunesse? Droguer ce petit garçon sans mon ordonnance! Il y a quelque friponnerie lĂ -dessous. ScĂšne VII Les acteurs prĂ©cĂ©dents; La Jeunesse arrive en vieillard avec une canne en bĂ©quille; il Ă©ternue plusieurs fois. L'EveillĂ©, toujours bĂÂąillant. La jeunesse? Bartholo Tu Ă©ternueras dimanche. La Jeunesse VoilĂ plus de cinquante... cinquante fois... dans un moment! Il Ă©ternue. je suis brisĂ©. Bartholo Comment! je vous demande Ă tous deux s'il est entrĂ© quelqu'un chez Rosine, et vous ne me dites pas que ce barbier... L'EveillĂ©, continuant de bĂÂąiller. Est-ce que c'est quelqu'un donc, monsieur Figaro? Aah! ah... Bartholo je parie que le rusĂ© s'entend avec lui. L'EveillĂ©, pleurant comme un sot. Moi... je m'entends!... La Jeunesse, Ă©ternuant. Eh! mais, monsieur, y a-t-il... y a-t-il de la justice?... Bartholo De la justice! C'est bon entre vous autres misĂ©rables, la justice! je suis votre maĂtre, moi, pour avoir toujours raison. La Jeunesse, Ă©ternuant. Mais, pardi, quand une chose est vraie... Bartholo Quand une chose est vraie! Si je ne veux pas qu'elle soit vraie, je prĂ©tends bien qu'elle ne soit pas vraie. Il n'y aurait qu'Ă permettre Ă tous ces faquins-lĂ d'avoir raison, vous verriez bientĂÂŽt ce que deviendrait l'autoritĂ©. La Jeunesse, Ă©ternuant. J'aime autant recevoir mon congĂ©. Un service terrible, et toujours un train d'enfer! L'EveillĂ©, pleurant. Un pauvre homme de bien est traitĂ© comme un misĂ©rable. Bartholo Sors donc, pauvre homme de bien! Il les contrefait. Et t'chi et t'cha; l'un m'Ă©ternue au nez, l'autre m'y bĂÂąille. La Jeunesse Ah! monsieur, je vous jure que, sans mademoiselle, il n'y aurait... il n'y aurait pas moyen de rester dans la maison. Il sort en Ă©ternuant. Bartholo Dans quel Ă©tat ce Figaro les a mis tous! je vois ce que c'est le maraud voudrait me payer mes cent Ă©cus sans bourse dĂ©lier... ScĂšne VIII Bartholo, Don Bazile; Figaro, cachĂ© dans le cabinet, paraĂt de temps en temps, et les Ă©coute. Bartholo continue. Ah! don Bazile, vous veniez donner Ă Rosine sa leçon de musique? Bazile C'est ce qui presse le moins. Bartholo J'ai passĂ© chez vous sans vous trouver. Bazile J'Ă©tais sorti pour vos affaires. Apprenez une nouvelle assez fĂÂącheuse. Bartholo Pour vous? Bazile Non, pour vous. Le comte Almaviva est en cette ville. Bartholo Parlez bas. Celui qui faisait chercher Rosine dans tout Madrid? Bazile Il loge Ă la grande place, et sort tous les jours dĂ©guisĂ©. Bartholo Il n'en faut point douter, cela me regarde. Et que faire? Bazile Si c'Ă©tait un particulier, on viendrait Ă bout de l'Ă©carter. Bartholo Oui, en s'embusquant le soir, armĂ©, cuirassĂ©... Bazile Bone Deus! se compromettre! Susciter une mĂ©chante affaire, Ă la bonne heure; et pendant la fermentation, calomnier Ă dire d'experts; concedo. Bartholo Singulier moyen de se dĂ©faire d'un homme! Bazile La calomnie, monsieur! Vous ne savez guĂšre ce que vous dĂ©daignez; j'ai vu les plus honnĂÂȘtes gens prĂšs d'en ĂÂȘtre accablĂ©s. Croyez qu'il n'y a pas de plate mĂ©chancetĂ©, pas d'horreurs, pas de conte absurde, qu'on ne fasse adopter aux oisifs d'une grande ville en s'y prenant bien et nous avons ici des gens d'une adresse!... D'abord un bruit lĂ©ger, rasant le sol comme hirondelle avant l'orage, pianissimo, murmure et file, et sĂšme en courant le trait empoisonnĂ©. Telle bouche le recueille, et piano, piano, vous le glisse en l'oreille adroitement. Le mal est fait; il germe, il rampe, il chemine, et rinforzando de bouche en bouche il va le diable; puis tout Ă coup, ne sais comment, vous voyez calomnie se dresser, siffler, s'enfler, grandir Ă vue d'oeil. Elle s'Ă©lance, Ă©tend son vol, tourbillonne, enveloppe, arrache, entraĂne, Ă©clate et tonne, et devient, grĂÂące au ciel, un cri gĂ©nĂ©ral, un crescendo public, un chorus universel de haine et de proscription. Qui diable y rĂ©sisterait. Bartholo Mais quel radotage me faites-vous donc lĂ , Bazile? Et quel rapport ce piano-crescendo peut-il avoir Ă ma situation? Bazile Comment, quel rapport? Ce qu'on fait partout pour Ă©carter son ennemi, il faut le faire ici pour empĂÂȘcher le vĂÂŽtre d'approcher. Bartholo D'approcher? je prĂ©tends bien Ă©pouser Rosine avant qu'elle apprenne seulement que ce Comte existe. Bazile En ce cas, vous n'avez pas un instant Ă perdre. Bartholo Et Ă qui tient-il, Bazile? je vous ai chargĂ© de tous les dĂ©tails de cette affaire. Bazile Oui, mais vous avez lĂ©sinĂ© sur les frais; et dans l'harmonie du bon ordre un mariage inĂ©gal, un jugement inique, un passe-droit Ă©vident, sont des dissonances qu'on doit toujours prĂ©parer et sauver par l'accord parfait de l'or. Bartholo, lui donnant de l'argent. Il faut en passer par oĂÂč vous voulez; mais finissons Bazile Cela s'appelle parler. Demain tout sera terminĂ© c'est Ă vous d'empĂÂȘcher que personne, aujourd'hui, ne puisse instruire la Pupille. Bartholo Fiez-vous-en Ă moi. Viendrez-vous ce soir, Bazile? Bazile N'y comptez pas. Votre mariage seul m'occupera toute la journĂ©e; n'y comptez pas. Bartholo l'accompagne. Bazile Restez, docteur, restez donc. Bartholo Non pas. je veux fermer sur vous la porte de la rue. ScĂšne IX Figaro, seul, sortant du cabinet. Oh! la bonne prĂ©caution! Ferme, ferme la porte de la rue, et moi je vais la rouvrir au Comte en sortant. C'est un grand maraud que ce Bazile! heureusement il est encore plus sot. Il faut un Ă©tat, une famille, un nom, un rang, de la consistance enfin, pour faire sensation dans le monde en calomniant. Mais un Bazile! il mĂ©dirait, qu'on ne le croirait pas. ScĂšne X Rosine, accourant; Figaro. Rosine Quoi! vous ĂÂȘtes encore lĂ , monsieur Figaro? Figaro TrĂšs heureusement pour vous, mademoiselle. Votre tuteur et votre maĂtre de musique, se croyant seuls ici viennent de parler Ă coeur ouvert... Rosine Et vous les avez Ă©coutĂ©s monsieur Figaro? Mais savez-vous que c'est fort mal! Figaro D'Ă©couter? C'est pourtant ce qu'il y a de mieux pour bien entendre. Apprenez que votre tuteur se dispose Ă vous Ă©pouser demain. Rosine Ah! grands dieux! Figaro Ne craignez rien; nous lui donnerons tant d'ouvrage, qu'il n'aura pas le temps de songer Ă celui-lĂ . Rosine Le voici qui revient; sortez donc par le petit escalier. Vous me faites mourir de frayeur. Figaro s'enfuit. ScĂšne XI Bartholo, Rosine. Rosine Vous Ă©tiez ici avec quelqu'un, monsieur? Bartholo Don Bazile que j'ai reconduit, et pour cause. Vous eussiez mieux aimĂ© que c'eĂ»t Ă©tĂ© monsieur Figaro? Rosine Cela m'est fort Ă©gal, je vous assure. Bartholo je voudrais bien savoir ce que ce barbier avait de si pressĂ© Ă vous dire? Rosine Faut-il parler sĂ©rieusement? Il m'a rendu compte de l'Ă©tat de Marceline, qui mĂÂȘme n'est pas trop bien, Ă ce qu'il dit. Bartholo Vous rendre compte! je vais parier qu'il Ă©tait chargĂ© de vous remettre quelque lettre. Rosine Et de qui, s'il vous plaĂt? Bartholo Oh! de qui! De quelqu'un que les femmes ne nomment jamais. Que sais-je, moi? Peut-ĂÂȘtre la rĂ©ponse au papier de la fenĂÂȘtre. Rosine, Ă part. Il n'en a pas manquĂ© une seule. Haut. Vous mĂ©riteriez bien que cela fĂ»t. Bartholo regarde les mains de Rosine. Cela est. Vous avez Ă©crit. Rosine, avec embarras. Il serait assez plaisant que vous eussiez le projet de m'en faire convenir. Bartholo, lui prenant la main droite. Moi! point du tout; mais votre doigt est encore tachĂ© d'encre! Hein! rusĂ©e signora! Rosine, Ă part. Maudit homme! Bartholo, lui tenant toujours la main. Une femme se croit bien en sĂ»retĂ©, parce qu'elle est seule. Rosine Ah! sans doute... La belle preuve!... Finissez donc, monsieur, vous me tordez le bras. je me suis brĂ»lĂ©e en chiffonnant autour de cette bougie; et l'on m'a toujours dit qu'il fallait aussitĂÂŽt tremper dans l'encre c'est ce que j'ai fait. Bartholo C'est ce que vous avez fait? Voyons donc si un second tĂ©moin confirmera la dĂ©position du premier. C'est ce cahier de papier oĂÂč je suis certain qu'il y avait six feuilles; car je les compte tous les matins, aujourd'hui encore. Rosine, Ă part. Oh! imbĂ©cile! Bartholo, comptant. Trois, quatre, cinq... Rosine La sixiĂšme... Bartholo je vois bien qu'elle n'y est pas, la sixiĂšme. Rosine, baissant les yeux. La sixiĂšme? je l'ai employĂ©e Ă faire un cornet pour des bonbons que j'ai envoyĂ©s Ă la petite Figaro. Bartholo A la petite Figaro? Et la plume qui Ă©tait toute neuve, comment est-elle devenue noire? Est-ce en Ă©crivant l'adresse de la petite Figaro? Rosine, Ă part. Cet homme a un instinct de jalousie!... Haut. Elle m'a servi Ă retracer une fleur effacĂ©e sur la veste que je vous brode au tambour. Bartholo Que cela est Ă©difiant! Pour qu'on vous crĂ»t, mon enfant, il faudrait ne pas rougir en dĂ©guisant coup sur coup la vĂ©ritĂ©, mais c'est ce que vous ne savez pas encore. Rosine Eh! qui ne rougirait pas, monsieur, de voir tirer des consĂ©quences aussi malignes des choses les plus innocemment faites? Bartholo Certes, j'ai tort. Se brĂ»ler le doigt, le tremper dans l'encre, faire des cornets aux bonbons de la petite Figaro, et dessiner ma veste au tambour! quoi de plus innocent? Mais que de mensonges entassĂ©s pour cacher un seul fait!... je suis seule, on ne me voit point; je pourrai mentir Ă mon aise. Mais le bout du doigt reste noir, la plume est tachĂ©e, le papier manque! On ne saurait penser Ă tout. Bien certainement, signora, quand j'irai par la ville, un bon double tour me rĂ©pondra de vous. ScĂšne XII Le Comte, Bartholo, Rosine. Le Comte, en uniforme de cavalerie, ayant l'air d'ĂÂȘtre entre deux vins et chantant RĂ©veillons-la, etc. Bartholo Mais que nous veut cet homme? Un soldat! Rentrez chez vous, signora. Le Comte chante RĂ©veillons-la, et s'avance vers Rosine. Qui de vous deux, mesdames, se nomme le docteur Balordo? A Rosine, bas. je suis Lindor. Bartholo Bartholo! Rosine, Ă part. Il parle de Lindor. Le Comte Balordo, Barque Ă l'eau, je m'en moque comme de ça. Il s'agit seulement de savoir laquelle des deux... A Rosine, lui montrant un papier. Prenez cette lettre. Bartholo Laquelle! Vous voyez bien que c'est moi. Laquelle! Rentrez donc, Rosine; cet homme paraĂt avoir du vin. Rosine C'est pour cela, monsieur; vous ĂÂȘtes seul. Une femme en impose quelquefois. Bartholo Rentrez, rentrez; je ne suis pas timide. ScĂšne XIII Le Comte, Bartholo. Le Comte Oh! je vous ai reconnu d'abord Ă votre signalement. Bartholo, au Comte, qui serre la lettre. Qu'est-ce que c'est donc que vous cachez lĂ dans votre poche? Le Comte je le cache dans ma poche, pour que vous ne sachiez pas ce que c'est. Bartholo Mon signalement! Ces gens-lĂ croient toujours parler Ă des soldats. Le Comte Pensez-vous que ce soit une chose si difficile Ă faire que votre signalement? Le chef branlant, la tĂÂȘte chauve, Les yeux vairons, le regard fauve, L'air farouche d'un Algonquin... Bartholo Qu'est-ce que cela veut dire? Etes-vous ici pour m'insulter? DĂ©logez Ă l'instant. Le Comte DĂ©loger! Ah! fi! que c'est mal parler! Savez-vous lire, docteur... Barbe Ă l'eau? Bartholo Autre question saugrenue. Le Comte Oh! que cela ne vous fasse point de peine; car, moi qui suis pour le moins aussi docteur que vous... Bartholo Comment cela? Le Comte Est-ce que je ne suis 'pas le mĂ©decin des chevaux du rĂ©giment? VoilĂ pourquoi l'on m'a exprĂšs logĂ© chez un confrĂšre. Bartholo Oser comparer un marĂ©chal... Le Comte Air Vive le vin. Sans chanter. Non, docteur, je ne prĂ©tends pas Que notre art obtienne le pas Sur Hippocrate et sa brigade. En chantant. Votre savoir, mon camarade, Est d'un succĂšs plus gĂ©nĂ©ral, Car s'il n'emporte point le mal, Il emporte au moins le malade. C'est-il poli ce que je vous dis lĂ ? Bartholo Il vous sied bien, manipuleur ignorant, de ravaler ainsi le premier, le plus grand et le plus utile des arts! Le Comte Utile tout Ă fait, pour ceux qui l'exercent. Bartholo Un art dont le soleil s'honore d'Ă©clairer les succĂšs! Le Comte Et dont la terre s'empresse de couvrir les bĂ©vues. Bartholo On voit bien, malappris, que vous n'ĂÂȘtes habituĂ© de parler qu'Ă des chevaux. Le Comte Parler Ă des chevaux? Ah! docteur! pour un docteur d'esprit... N'est-il pas de notoriĂ©tĂ© que le marĂ©chal guĂ©rit toujours ses malades sans leur parler; au lieu que le mĂ©decin parle beaucoup aux siens... Bartholo Sans les guĂ©rir, n'est-ce pas? Le Comte C'est vous qui l'avez dit. Bartholo Qui diable envoie ici ce maudit ivrogne? Le Comte Je crois que vous me lĂÂąchez des Ă©pigrammes, l'Amour! Bartholo Enfin, que voulez-vous? que demandez-vous? Le Comte, feignant une grande colĂšre. Eh bien donc, il s'enflamme! Ce que je veux? Est-ce que vous ne le voyez pas? ScĂšne XIV Rosine, Le Comte, Bartholo. Rosine, accourant. Monsieur le soldat, ne vous emportez point, de grĂÂące! A Bartholo. Parlez-lui doucement, monsieur un homme qui dĂ©raisonne... Le Comte Vous avez raison; il dĂ©raisonne, lui; mais nous sommes raisonnables, nous! Moi poli, et vous jolie... enfin suffit. La vĂ©ritĂ©, c'est que je ne veux avoir affaire qu'Ă vous dans la maison. Rosine Que puis-je pour votre service, monsieur le soldat? Le Comte Une petite bagatelle, mon enfant. Mais s'il y a de l'obscuritĂ© dans mes phrases... Rosine J'en saisirai l'esprit. Le Comte, lui montrant la lettre. Non, attachez-vous Ă la lettre, Ă la lettre. Il s'agit seulement... mais je dis en tout bien, tout. honneur, que vous me donniez Ă coucher ce soir. Bartholo Rien que cela? Le Comte Pas davantage. Lisez le billet doux que notre marĂ©chal-des-logis vous Ă©crit. Bartholo Voyons. Le Comte cache la lettre et lui donne un autre papier. Bartholo lit. "Le docteur Bartholo recevra, nourrira, hĂ©bergera, couchera... Le Comte, appuyant. Bartholo "Pour une nuit seulement, le nommĂ© Lindor, dit l'Ecolier, cavalier au rĂ©giment..." Rosine C'est lui, c'est lui-mĂÂȘme. Bartholo, vivement, Ă Rosine. Qu'est-ce qu'il y a? Le Comte Eh bien! ai-je tort Ă prĂ©sent, docteur Barbaro? Bartholo On dirait que cet homme se fait un malin plaisir de m'estropier de toutes les maniĂšres possibles. Allez au diable, Barbaro! Barbe Ă l'eau! et dites Ă votre impertinent marĂ©chal-des-logis que, depuis mon voyage Ă Madrid, je suis exempt de loger des gens de guerre. Le Comte, Ă part. O ciel! fĂÂącheux contretemps! Bartholo Ah! ah! notre ami, cela vous contrarie et vous dĂ©grise un peu! mais n'en dĂ©campez pas moins Ă l'instant. Le Comte, Ă part. J'ai pensĂ© me trahir. Haut. DĂ©camper! Si vous ĂÂȘtes exempt des gens de guerre, vous n'ĂÂȘtes pas exempt de politesse, peut-ĂÂȘtre? DĂ©camper! Montrez-moi votre brevet d'exemption; quoique je ne sache pas lire, je verrai bientĂÂŽt... Bartholo Qu'Ă cela ne tienne. Il est dans ce bureau. Le Comte, pendant qu'il y va, dit, sans quitter sa place. Ah! ma belle Rosine! Rosine Quoi, Lindor, c'est vous? Le Comte Recevez au moins cette lettre. Rosine Prenez garde, il a les yeux sur nous. Le Comte Tirez votre mouchoir, je la laisserai tomber. Il s'approche. Bartholo Doucement, doucement, seigneur soldat; je n'aime point qu'on regarde ma femme de si prĂšs. Le Comte Elle est votre femme? Bartholo Eh! quoi donc? Le Comte Je vous ai pris pour son bisaĂÂŻeul paternel, maternel, sempiternel il y a au moins trois gĂ©nĂ©rations entre elle et vous. Bartholo lit un parchemin. "Sur les bons et fidĂšles tĂ©moignages qui nous ont Ă©tĂ© rendus..." Le Comte donne un coup de main sous les parchemins, qui les envoie au plancher. Est-ce que j'ai besoin de tout ce verbiage? Bartholo Savez-vous bien, soldat, que si j'appelle mes gens, je vous fais traiter sur-le-champ comme vous le mĂ©ritez? Le Comte Bataille? Ah! volontiers, bataille! c'est mon mĂ©tier, Ă moi, montrant son pistolet de ceinture et voici de quoi leur jeter de la poudre aux yeux. Vous n'avez peut-ĂÂȘtre jamais vu de bataille, madame? Rosine Ni ne veux en voir. Le Comte Rien n'est pourtant aussi gai que bataille. Figurez-vous poussant le docteur d'abord que l'ennemi est d'un cĂÂŽtĂ© du ravin, et les amis de l'autre. A Rosine en lui montrant la lettre. Sortez le mouchoir. Il crache Ă terre. VoilĂ le ravin, cela s'entend. Rosine tire son mouchoir; le Comte laisse tomber sa lettre entre elle et lui. Bartholo, se baissant. Ah! ah! Le Comte la reprend et dit Tenez... moi qui allais vous apprendre ici les secrets de mon mĂ©tier... Une femme bien discrĂšte, en vĂ©ritĂ©! Ne voilĂ -t-il pas un billet doux qu'elle laisse tomber de sa poche? Bartholo Donnez, donnez. Le Comte Dulciter, papa! chacun son affaire. Si une ordonnance de rhubarbe Ă©tait tombĂ©e de la vĂÂŽtre?... Rosine avance la main. Ah! je sais ce que c'est, monsieur le soldat. Elle prend la lettre, qu'elle cache dans la petite poche de son tablier. Bartholo Sortez-vous enfin? Le Comte Eh bien, je sors. Adieu, docteur; sans rancune. Un petit compliment, mon coeur priez la mort de m'oublier encore quelques campagnes; la vie ne m'a jamais Ă©tĂ© si chĂšre. Bartholo Allez toujours. Si j'avais ce crĂ©dit-lĂ sur la mort... Le Comte Sur la mort? Ah, docteur! Vous faites tant de choses pour elle, qu'elle n'a rien Ă vous refuser. Il sort. ScĂšne XV Bartholo, Rosine. Bartholo le regarde aller. Il est enfin parti, A part. Dissimulons. Rosine Convenez pourtant, monsieur, qu'il est bien gai, ce jeune soldat! A travers son ivresse, on voit qu'il ne manque ni d'esprit, ni d'une certaine Ă©ducation. Bartholo Heureux, m'amour, d'avoir pu nous en dĂ©livrer! Mais n'es-tu pas un peu curieuse de lire avec moi le papier qu'il t'a remis? Rosine Quel papier? Bartholo Celui qu'il a feint de ramasser pour te le faire accepter. Rosine Bon! c'est la lettre de mon cousin l'officier, qui Ă©tait tombĂ©e de ma poche. Bartholo J'ai idĂ©e, moi, qu'il l'a tirĂ©e de la sienne. Rosine Je l'ai trĂšs bien reconnue. Bartholo Qu'est-ce qu'il coĂ»te d'y regarder? Rosine Je ne sais pas seulement ce que j'en ai fait. Bartholo, montrant la pochette. Tu l'as mise lĂ . Rosine Ah! ah! par distraction. Bartholo Ah! sĂ»rement. Tu vas voir que ce sera quelque folie. Rosine, Ă part. Si je ne le mets pas en colĂšre, il n'y aura pas moyen de refuser. Bartholo Donne donc, mon coeur. Rosine Mais quelle idĂ©e avez-vous en insistant, monsieur? Est-ce encore quelque mĂ©fiance? Bartholo Mais vous, quelle raison avez-vous de ne pas le montrer? Rosine Je vous rĂ©pĂšte, monsieur, que ce papier n'est autre que la lettre de mon cousin, que vous m'avez rendue hier toute dĂ©cachetĂ©e; et puisqu'il en est question, je vous dirai tout net que cette libertĂ© me dĂ©plaĂt excessivement. Bartholo Je ne vous entends pas! Rosine Vais-je examiner les papiers qui vous arrivent? Pourquoi vous donnez-vous les airs de toucher Ă ceux qui me sont adressĂ©s? Si c'est jalousie, elle m'insulte; s'il s'agit de l'abus d'une autoritĂ© usurpĂ©e, j'en suis plus rĂ©voltĂ©e encore. Bartholo Comment, rĂ©voltĂ©e! Vous ne m'avez jamais parlĂ© ainsi. Rosine Si je me suis modĂ©rĂ©e jusqu'Ă ce jour, ce n'Ă©tait pas pour vous donner le droit de m'offenser impunĂ©ment. Bartholo De quelle offense parlez-vous? Rosine C'est qu'il est inouĂÂŻ qu'on se permette d'ouvrir les lettres de quelqu'un. Bartholo De sa femme? Rosine Je ne la suis pas encore. Mais pourquoi lui donnerait-on la prĂ©fĂ©rence d'une indignitĂ© qu'on ne fait Ă personne? Bartholo Vous voulez me faire prendre le change et dĂ©tourner mon attention du billet, qui sans doute est une missive de quelque amant. Mais je le verrai, je vous assure. Rosine Vous ne le verrez pas. Si vous m'approchez, je m'enfuis de cette maison, et je demande retraite au premier venu. Bartholo Qui ne vous recevra point. Rosine C'est ce qu'il faudra voir. Bartholo Nous ne sommes pas ici en France, oĂÂč l'on donne toujours raison aux femmes; mais, pour vous en ĂÂŽter la fantaisie, je vais fermer la porte. Rosine, pendant qu'il y va. Ah ciel! que faire? Mettons vite Ă la place la lettre de mon cousin, et donnons-lui beau jeu Ă la prendre. Elle fait l'Ă©change, et met la lettre du cousin dans sa pochette de façon qu'elle sorte un peu. Bartholo, revenant. Ah! j'espĂšre maintenant la voir. Rosine De quel droit, s'il vous plaĂt? Bartholo Du droit le plus universellement reconnu; celui du plus fort. Rosine On me tuera plutĂÂŽt que de l'obtenir de moi. Bartholo, frappant du pied. Madame! madame!... Rosine tombe sur un fauteuil et feint de se trouver mal. Ah! quelle indignitĂ©!... Bartholo Donnez cette lettre, ou craignez ma colĂšre. Rosine, renversĂ©e. Malheureuse Rosine! Bartholo Qu'avez-vous donc? Rosine Quel avenir affreux! Bartholo Rosine! Rosine J'Ă©touffe de fureur! Bartholo Elle se trouve mal. Rosine Je m'affaiblis, je meurs. Bartholo, Ă part. Dieux! la lettre! Lisons-la sans qu'elle en soit instruite. Il lui tĂÂąte le pouls, et prend la lettre qu'il tĂÂąche de lire en se tournant un peu. Rosine, toujours renversĂ©e. InfortunĂ©e! ah! Bartholo lui quitte le bras, et dit Ă part Quelle rage a-t-on d'apprendre ce qu'on craint toujours de savoir! Rosine Ah! pauvre Rosine! Bartholo L'usage des odeurs... produit ces affections spasmodiques. Il lit par-derriĂšre le fauteuil en lui tĂÂątant le pouls. Rosine se relĂšve un peu, le regarde finement, fait un geste de tĂÂȘte, et se remet sans parler. Bartholo, Ă part. O ciel! c'est la lettre de son cousin. Maudite inquiĂ©tude! Comment l'apaiser maintenant? Qu'elle ignore au moins que je l'ai lue. Il fait semblant de la soutenir, et remet la lettre dans la pochette. Rosine soupire. Ah!... Bartholo Eh bien! ce n'est rien, mon enfant un petit mouvement de vapeurs, voilĂ tout; car ton pouls n'a seulement pas variĂ©. Il va prendre un flacon sur la console. Rosine, Ă part. Il a remis la lettre! fort bien. Bartholo Ma chĂšre Rosine, un peu de cette eau spiritueuse. Rosine Je ne veux rien de vous laissez-moi. Bartholo Je conviens que j'ai montrĂ© trop de vivacitĂ© sur ce billet. Rosine Il s'agit bien du billet! C'est votre façon de demander les choses qui est rĂ©voltante. Bartholo, Ă genoux. Pardon j'ai bientĂÂŽt senti tous mes torts; et tu me vois Ă tes pieds, prĂÂȘt Ă les rĂ©parer. Rosine Oui, pardon! lorsque vous croyez que cette lettre ne vient pas de mon cousin. Bartholo Qu'elle soit d'un autre ou de lui, je ne veux aucun Ă©claircissement. Rosine, lui prĂ©sentant la lettre. Vous voyez qu'avec de bonnes façons on obtient tout de moi. Lisez-la. Bartholo Cet honnĂÂȘte procĂ©dĂ© dissiperait mes soupçons, si j'Ă©tais assez malheureux pour en conserver. Rosine Lisez-la donc, monsieur. Bartholo se retire. A Dieu ne plaise que je te fasse une pareille injure! Rosine Vous me contrariez de la refuser. Bartholo Reçois en rĂ©paration cette marque de ma parfaite confiance. Je vais voir la pauvre Marceline, que ce Figaro a, je ne sais pourquoi, saignĂ©e du pied n'y viens-tu pas aussi? Rosine J'y monterai dans un moment. Bartholo Puisque la paix est faite, mignonne, donne-moi ta main. Si tu pouvais m'aimer, ah! comme tu serais heureuse! Rosine, baissant les yeux. Si vous pouviez me plaire, ah! comme je vous aimerais. Bartholo Je te plairai, je te plairai; quand je te dis que je te plaira! Il sort. ScĂšne XVI Rosine le regarde aller. Ah! Lindor! il dit qu'il me plaira!... Lisons cette lettre qui a manquĂ© de me causer tant de chagrin. Elle lit s'Ă©crie Ah!... j'ai lu trop tard; il me recommande de tenir une querelle ouverte avec mon tuteur j'en avais une si bonne, et je l'ai laissĂ©e Ă©chapper. En recevant la lettre, j'ai senti que je rougissais jusqu'aux yeux. Ah! mon tuteur a raison je suis bien loin d'avoir cet usage du monde qui, me dit-il souvent, assure le maintien des femmes en toute occasion! Mais un homme injuste parviendrait Ă faire une rusĂ©e de l'innocence mĂÂȘme. Acte troisiĂšme ScĂšne I Bartholo, seul et dĂ©solĂ©. Quelle humeur! quelle humeur! Elle paraissait apaisĂ©e... LĂ , qu'on me dise qui diable lui a fourrĂ© dans la tĂÂȘte de ne plus vouloir prendre leçon de don Bazile! Elle sait qu'il se mĂÂȘle de mon mariage... On heurte Ă la porte. Faites tout au monde pour plaire aux femmes; si vous omettez un seul petit point... je dis un seul... On heurte une seconde fois. Voyons qui c'est. ScĂšne II Bartholo, Le Comte, en bachelier. Le Comte Que la paix et la joie habitent toujours cĂ©ans! Bartholo, brusquement. Jamais souhait ne vint plus Ă propos. Que voulez-vous? Le Comte Monsieur, je suis Alonzo, bachelier, licenciĂ©... Bartholo Je n'ai pas besoin de prĂ©cepteur. Le Comte ... ElĂšve de don Bazile, organiste du grand couvent, qui a l'honneur de montrer la musique Ă madame votre... Bartholo Bazile! organiste! qui a l'honneur!... Je le sais; au fait. Le Comte, Ă part. Quel homme! Haut. Un mal subit qui le force Ă garder le lit... Bartholo Garder le lit! Bazile! Il a bien fait d'envoyer; je vais le voir Ă l'instant. Le Comte, Ă part. Oh! diable! Haut. Quand je dis le lit, monsieur, c'est la chambre que j'entends. Bartholo Ne fĂ»t-il qu'incommodĂ©! Marchez devant, je vous suis. Le Comte, embarrassĂ©. Monsieur, j'Ă©tais chargĂ©... Personne ne peut-il nous entendre? Bartholo, Ă part. C'est quelque fripon... Haut. Eh non, monsieur le mystĂ©rieux! parlez sans vous troubler, si vous pouvez. Le Comte, Ă part. Maudit vieillard! Haut. Don Bazile m'avait chargĂ© de vous apprendre... Bartholo Parlez haut, je suis sourd d'une oreille. Le Comte, Ă©levant la voix. Ah! volontiers. Que le comte Almaviva, qui restait Ă la grande place... Bartholo, effrayĂ©. Parlez bas; parlez bas! Le Comte, plus haut. ... En est dĂ©logĂ© ce matin. Comme c'est par moi qu'il a su que le comte Almaviva... Bartholo Bas; parlez bas,. je vous prie. Le Comte, du mĂÂȘme ton. ... Etait en cette ville, et que j'ai dĂ©couvert que la signora Rosine lui a Ă©crit... Bartholo Lui a Ă©crit? Mon cher ami, parlez plus bas, je vous en conjure! Tenez, asseyons-nous, et jasons d'amitiĂ©. Vous avez dĂ©couvert, dites-vous, que Rosine... Le Comte, fiĂšrement. AssurĂ©ment. Bazile, inquiet pour vous de cette correspondance, m'avait priĂ© de vous montrer sa lettre; mais la maniĂšre dont vous prenez les choses... Bartholo Eh! mon Dieu! je les prends bien. Mais ne vous est-il pas possible de parler plus bas? Le Comte Vous ĂÂȘtes sourd d'une oreille, avez-vous dit. Bartholo Pardon, pardon, seigneur Alonzo, si vous m'avez trouvĂ© mĂ©fiant et dur; mais je suis tellement entourĂ© d'intrigants, de piĂšges... et puis votre tournure, votre ĂÂąge, votre air... Pardon, pardon. Eh bien! vous avez la lettre? Le Comte A la bonne heure sur ce ton, monsieur! Mais je crains qu'on ne soit aux Ă©coutes. Bartholo Eh! qui voulez-vous? tous mes valets sur les dents! Rosine enfermĂ©e de fureur! Le diable est entrĂ© chez moi. Je vais encore m'assurer... Il va ouvrir doucement la porte de Rosine. Le Comte, Ă part. Je me suis enferrĂ© de dĂ©pit. Garder la lettre Ă prĂ©sent! il faudra m'enfuir autant vaudrait n'ĂÂȘtre pas venu... La lui montrer!... Si je puis en prĂ©venir Rosine, la montrer est un coup de maĂtre. Bartholo revient sur la pointe du pied. Elle est assise auprĂšs de sa fenĂÂȘtre, le dos tournĂ© Ă la porte, occupĂ©e Ă relire une lettre de son cousin l'officier, que j'avais dĂ©cachetĂ©e,... Voyons donc la sienne. Le Comte lui remet la lettre de Rosine. La voici. A part. C'est ma lettre qu'elle relit. Bartholo lit. "Depuis que vous m'avez appris votre nom et votre Ă©tat." Ah! la perfide! c'est bien lĂ sa main. Le Comte, effrayĂ©. Parlez donc bas Ă votre tour. Bartholo Quelle obligation, mon cher!... Le Comte Quand tout sera fini, si vous croyez m'en devoir, vous serez le maĂtre. D'aprĂšs un travail que fait actuellement don Bazile avec un homme de loi... Bartholo Avec un homme de loi, pour mon mariage? Le Comte Sans doute. Il m'a chargĂ© de vous dire que tout peut ĂÂȘtre prĂÂȘt pour demain. Alors, si elle rĂ©siste... Bartholo Elle rĂ©sistera. Le Comte veut reprendre la lettre, Bartholo la serre. VoilĂ l'instant oĂÂč je puis vous servir nous lui montrerons sa lettre, et s'il le faut plus mystĂ©rieusement, j'irai jusqu'Ă lui dire que je la tiens d'une femme Ă qui le Comte l'a sacrifiĂ©e. Vous sentez que le trouble, la honte, le dĂ©pit, peuvent la porter sur-le-champ... Bartholo, riant. De la calomnie! Mon cher ami, je vois bien maintenant que vous venez de la part de Bazile! Mais pour que ceci n'eĂ»t pas l'air concertĂ©, ne serait-il pas bon qu'elle vous connĂ»t d'avance? Le Comte rĂ©prime un grand mouvement de joie. C'Ă©tait assez l'avis de don Bazile. Mais comment faire? Il est tard... au peu de temps qui reste... Bartholo Je dirai que vous venez en sa place. Ne lui donnerez-vous pas bien une leçon? Le Comte Il n'y a rien que je ne fasse pour vous plaire. Mais prenez garde que toutes ces histoires de maĂtres supposĂ©s sont de vieilles finesses, des moyens de comĂ©die. Si elle va se douter?... Bartholo PrĂ©sentĂ© par moi, quelle apparence? Vous avez plus l'air d'un amant dĂ©guisĂ© que d'un ami officieux. Le Comte Oui? Vous croyez donc que mon air peut aider Ă la tromperie? Bartholo Je le donne au plus fin Ă deviner, Elle est ce soir d'une humeur horrible. Mais quand elle ne ferait que vous voir... Son clavecin est dans ce cabinet. Amusez-vous en l'attendant je vais faire l'impossible pour l'amener. Le Comte Gardez-vous bien de lui parler de la lettre. Bartholo Avant l'instant dĂ©cisif? Elle perdrait tout son effet. Il ne faut pas me dire deux fois les choses il ne faut pas me les dire deux fois. Il s'en va. ScĂšne III Le Comte, seul. Me voilĂ sauvĂ©. Ouf! Que ce diable d'homme est rude Ă manier! Figaro le connaĂt bien. Je me voyais mentir; cela me donnait un air plat et gauche; et il a des yeux!... Ma foi, sans l'inspiration subite de la lettre, il faut l'avouer, j'Ă©tais Ă©conduit comme un sot. O ciel! on dispute lĂ -dedans. Si elle allait s'obstiner Ă ne pas venir! Ecoutons... Elle refuse de sortir de chez elle, et j'ai perdu le fruit de ma ruse. Il retourne Ă©couter. La voici; ne nous montrons pas d'abord. Il entre dans le cabinet. ScĂšne IV Le Comte, Rosine, Bartholo Rosine, avec une colĂšre simulĂ©e. Tout ce que vous direz est inutile, monsieur. J'ai pris mon parti; je ne veux plus entendre parler de musique. Bartholo Ecoute donc, mon enfant; c'est le seigneur Alonzo, l'Ă©lĂšve et l'ami de don Bazile, choisi par lui pour ĂÂȘtre un de nos tĂ©moins. - La musique te calmera, je t'assure. Rosine Oh! pour cela vous pouvez vous en dĂ©tacher. Si je chante ce soir!... OĂÂč donc est-il ce maĂtre que vous craignez de renvoyer? je vais, en deux mots, lui donner son compte, et celui de Bazile. Elle aperçoit son amant elle fait un cri. Ah!... Bartholo Qu'avez-vous? Rosine, les deux mains sur son coeur, avec un grand trouble. Ah! mon Dieu, monsieur... Ah! mon Dieu, monsieur... Bartholo Elle se trouve encore mal! Seigneur Alonzo! Non, je ne me trouve pas mal... mais c'est qu'en me tournant... Ah!... Le Comte Le pied vous a tournĂ©, madame? Rosine Ah! oui, le pied m'a tournĂ©. je me suis fait un mal horrible. Le Comte Je m'en suis bien aperçu. Rosine, regardant le Comte. Le coup m'a portĂ© au coeur. Bartholo Un siĂšge, un siĂšge. Et pas un fauteuil ici? Il va le chercher. Le Comte Ah! Rosine! Rosine Quelle imprudence! Le Comte J'ai mille choses essentielles Ă vous dire. Rosine Il ne nous quittera pas. Le Comte Figaro va venir nous aider. Bartholo, apportant un fauteuil. Tiens, mignonne, assieds-toi. - Il n'y a pas d'apparence, bachelier, qu'elle prenne de leçon ce soir; ce sera pour un autre jour. Adieu. Rosine, au Comte. Non, attendez; ma douleur est un peu apaisĂ©e. A Bartholo. Je sens que j'ai eu tort avec vous, monsieur je veux vous imiter, en rĂ©parant sur-le-champ... Bartholo Oh! le bon petit naturel de femme! Mais, aprĂšs une pareille Ă©motion, mon enfant, je ne souffrirai pas que tu fasses le moindre effort. Adieu, adieu, bachelier. Rosine, au Comte. Un moment, de grĂÂące! A Bartholo. Je croirai, monsieur, que vous n'aimez pas Ă m'obliger, si vous m'empĂÂȘchez de vous prouver mes regrets en prenant ma leçon. Le Comte, Ă part, Ă Bartholo. Ne la contrariez pas, si vous m'en croyez. Bartholo VoilĂ qui est fini, mon amoureuse. Je suis si loin de chercher Ă te dĂ©plaire, que je veux rester lĂ tout le temps que tu vas Ă©tudier. Rosine Non, monsieur. je sais que la musique n'a nul attrait pour vous. Bartholo Je t'assure que ce soir elle m'enchantera. Rosine, au Comte, Ă part. Je suis au supplice. Le Comte, prenant un papier de musique sur le pupitre. Est-ce lĂ ce que vous voulez chanter, madame? Rosine Oui, c'est un morceau trĂšs agrĂ©able de La PrĂ©caution inutile. Bartholo Toujours La PrĂ©caution inutile! Le Comte C'est ce qu'il y a de plus nouveau aujourd'hui. C'est une image du printemps, d'un genre assez vif. Si madame veut l'essayer... Rosine, regardant le Comte. Avec grand plaisir un tableau du printemps me ravit; c'est la jeunesse de la nature. Au sortir de l'hiver, il semble que le coeur acquiĂšre un plus haut degrĂ© de sensibilitĂ© comme un esclave, enfermĂ© depuis longtemps, goĂ»te avec plus de plaisir le charme de la libertĂ© qui vient de lui ĂÂȘtre offerte. Bartholo, bas au Comte. Toujours des idĂ©es romanesques en tĂÂȘte. Le Comte, bas. En sentez-vous l'application? Bartholo Parbleu! Il va s'asseoir dans le fauteuil qu'a occupĂ© Rosine Rosine chante. Nð 3. Quand dans la plaine, L'amour ramĂšne Le printemps Si chĂ©ri des amants, Tout reprend l'ĂÂȘtre, Son feu pĂ©nĂštre Dans les fleurs, Et dans les jeunes coeurs. On voit les troupeaux Sortir des hameaux; Dans tous les coteaux Les cris des agneaux Retentissent; Ils bondissent Tout fermente, Tout augmente; Les brebis paissent Les fleurs qui naissent, Les chiens fidĂšles Veillent sur elles; Mais Lindor enflammĂ© Ne songe guĂšre Qu'au bonheur d'ĂÂȘtre aimĂ© De sa bergĂšre. MĂÂȘme air Loin de sa mĂšre Cette bergĂšre Va chantant OĂÂč son amant l'attend. Par cette ruse, L'amour l'abuse; Mais chanter Sauve-t-il du danger? Les doux chalumeaux, Les chants des oiseaux, Ses charmes naissants, Ses quinze ou seize ans, Tout l'excite, Tout l'agite; La pauvrette S'inquiĂšte. De sa retraite, Lindor la guette; Elle s'avance; Lindor s'Ă©lance; Il vient de l'embrasser Elle, bien aise, Feint de se courroucer Pour qu'on l'apaise PETITE REPRISE Les soupirs, Les soins, les promesses, Les vives tendresses, Les plaisirs, Le fin badinage, Sont mis, en usage; Et bientĂÂŽt la bergĂšre Ne sent plus de colĂšre. Si quelque jaloux. Trouble un bien si doux, Nos amants d'accord Ont un soin extrĂÂȘme... De voiler leur transport; Mais quand on s'aime, La gĂÂȘne ajoute encor Au plaisir mĂÂȘme. En l'Ă©coutant, Bartholo, s'est assoupi. Le Comte, pendant la petite reprise, se hasarde Ă prendre une main qu'il couvre de baisers. L'Ă©motion ralentit le chant de Rosine, l'affaiblit, et finit mĂÂȘme par lui couper la voix au milieu de la cadence, au mot extrĂÂȘme. L'orchestre sait le mouvement de la chanteuse, affaiblit son jeu, et se tait avec elle. L'absence du bruit qui avait endormi Bartholo, le rĂ©veille. Le Comte se relĂšve, Rosine et l'orchestre reprennent subitement la suite de l'air. Si la petite reprise se rĂ©pĂšte, le mĂÂȘme jeu recommence. Le Comte En vĂ©ritĂ©, c'est un morceau charmant, et madame l'exĂ©cute avec une intelligence... Rosine Vous me flattez, seigneur; la gloire est tout entiĂšre au maĂtre. Bartholo, bĂÂąillant. Moi, je crois que j'ai un peu dormi pendant le morceau charmant. J'ai mes malades. Je vas, je viens, je toupille, et sitĂÂŽt que je m'assieds, mes pauvres jambes... Il se lĂšve et pousse le fauteuil. Rosine, bas au Comte Figaro ne vient point! Le Comte Filons le temps. Bartholo Mais, bachelier, je l'ai dĂ©jĂ dit Ă ce vieux Bazile est-ce qu'il n'y aurait pas moyen de lui faire Ă©tudier des choses plus gaies que toutes ces grandes aria, qui vont en haut, en bas, en routant, hi, ho, a, a, a, a, et qui me semblent autant d'enterrements? LĂ , de ces petits airs qu'on chantait dans ma jeunesse, et que chacun retenait facilement? J'en savais autrefois... Par exemple... Pendant la ritournelle, il cherche en se grattant la tĂÂȘte et chante en faisant claquer ses pouces et dansant des genoux comme les vieillards. Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris?... Au Comte en riant. Il y a Fanchonnette dans la chanson; mais j'y ai substituĂ© Rosinette pour la lui rendre plus agrĂ©able et la faire cadrer aux circonstances. Ah! ah! ah! ah! Fort bien! pas vrai? Le Comte, riant. Ah! ah! ah! Oui, tout au mieux. ScĂšne V Figaro, dans le fond Rosine, Bartholo, Le Comte. Bartholo chante. Veux-tu, ma Rosinette, Faire emplette Du roi des maris? Je ne suis point Tircis; Mais la nuit, dans l'ombre, Je vaux encor mon prix; Et quand il fait sombre Les plus beaux chats sont gris. Il rĂ©pĂšte la reprise en dansant, Figaro, derriĂšre lui, imite ses mouvements. Je ne suis point Tircis, etc. Apercevant Figaro. Ah! entrez, monsieur le barbier; avancez; vous ĂÂȘtes charmant! Figaro salue. Monsieur, il est vrai que ma mĂšre me l'a dit autrefois; mais je suis un peu dĂ©formĂ© depuis ce temps-lĂ . A part, au Comte. Bravo, Monseigneur! Pendant toute cette scĂšne, le Comte fait ce qu'il peut pour parler Ă Rosine; mais l'oeil inquiet et vigilant du tuteur l'en empĂÂȘche toujours, ce qui forme un jeu muet de tous les acteurs, Ă©tranger au dĂ©bat du docteur et de Figaro. Bartholo Venez-vous purger encore, saigner, droguer, mettre sur le grabat toute ma maison? Figaro Monsieur, il n'est pas tous les jours fĂÂȘte; mais sans compter les soins quotidiens, monsieur a pu voir que, lorsqu'ils en ont besoin, mon zĂšle n'attend pas qu'on lui commande... Bartholo Votre zĂšle n'attend pas! Que direz-vous, monsieur le zĂ©lĂ©, Ă ce malheureux qui bĂÂąille et dort tout Ă©veillĂ©? et l'autre qui, depuis trois heures, Ă©ternue Ă se faire sauter le crĂÂąne et jaillir la cervelle! Que leur direz-vous? Figaro Ce que je leur dirai? Bartholo Oui! Figaro Je leur dirai... Eh! parbleu! je dirai Ă celui qui Ă©ternue Dieu vous bĂ©nisse! et Va te coucher, Ă celui qui bĂÂąille. Ce n'est pas cela, monsieur, qui grossira le mĂ©moire. Bartholo Vraiment non; mais c'est la saignĂ©e et les mĂ©dicaments qui le grossiraient, si je voulais y entendre. Est-ce par zĂšle aussi que vous avez empaquetĂ© les yeux de ma mule, et votre cataplasme lui rendra-t-il la vue? Figaro S'il ne lui rend pas la vue, ce n'est pas cela non plus qui l'empĂÂȘchera d'y voir. Bartholo Que je le trouve sur le mĂ©moire!... On n'est pas de cette extravagance-lĂ ! Figaro Ma foi, monsieur, les hommes n'ayant guĂšre Ă choisir qu'entre la sottise et la folie, oĂÂč je ne vois pas de profit je veux au moins du plaisir; et vive la joie! Qui sait si le monde durera encore trois semaines! Bartholo Vous feriez bien mieux, monsieur le raisonneur, de me payer mes cent Ă©cus et les intĂ©rĂÂȘts sans lanterner, je vous en avertis. Figaro Doutez-vous de ma probitĂ©, monsieur? Vos cent Ă©cus! j'aimerais mieux vous les devoir toute ma vie, que de les nier un seul instant. Bartholo Et dites-moi un peu comment la petite Figaro a trouvĂ© les bonbons que vous lui avez portĂ©s. Figaro Quels bonbons? Que voulez-vous dire? Bartholo Oui, ces bonbons, dans ce cornet fait avec cette feuille de papier Ă lettre, ce matin. Figaro Diable emporte si... Rosine, l'interrompant. Avez-vous eu soin au moins de les lui donner de ma part, monsieur Figaro? Je vous l'avais recommandĂ©. Figaro Ah! ah! les bonbons de ce matin? Que je suis bĂÂȘte, moi! j'avais perdu tout cela de vue... Oh! excellents, madame, admirables! Bartholo Excellents! Admirables! Oui, sans doute, monsieur le barbier, revenez sur vos pas! Vous faites lĂ un joli mĂ©tier, monsieur! Figaro Qu'est-ce qu'il a donc, monsieur? Bartholo Et qui vous fera une belle rĂ©putation, monsieur! Figaro Je la soutiendrai, monsieur. Bartholo Dites que vous la supporterez, monsieur. Figaro Comme il vous plaira, monsieur. Bartholo Vous le prenez bien haut, monsieur! Sachez que quand je dispute avec un fat, je ne lui cĂšde jamais. Figaro lui tourne le dos. Nous diffĂ©rons en cela, monsieur; moi, je lui cĂšde toujours. Bartholo Hein! qu'est-ce qu'il dit donc, bachelier? Figaro C'est que vous croyez avoir affaire Ă quelque barbier de village, et qui ne sait manier que le rasoir? Apprenez, monsieur, que j'ai travaillĂ© de la plume Ă Madrid, et que sans les envieux... Bartholo Eh! que n'y restiez-vous, sans venir ici changer de profession? Figaro On fait comme on peut. Mettez-vous Ă ma place. Bartholo Me mettre Ă votre place! Ah! parbleu, je dirais de belles sottises! Figaro Monsieur, vous ne commencez pas trop mal; je m'en rapporte Ă votre confrĂšre qui est lĂ rĂÂȘvassant. Le Comte, revenant Ă lui. Je... je ne suis pas le confrĂšre de Monsieur. Figaro Non? Vous voyant ici Ă consulter, j'ai pensĂ© que vous poursuiviez le mĂÂȘme objet. Bartholo, en colĂšre. Enfin, quel sujet vous amĂšne? Y a-t-il quelque lettre Ă remettre encore ce soir Ă madame? Parlez, faut-il que je me retire? Figaro Comme vous rudoyez le pauvre monde! Eh! parbleu, monsieur, je viens vous raser, voilĂ tout; n'est-ce pas aujourd'hui votre jour? Bartholo Vous reviendrez tantĂÂŽt. Figaro Ah! oui, revenir! toute la garnison prend mĂ©decine demain matin, j'en ai obtenu l'entreprise par mes protections. Jugez donc comme j'ai du temps Ă perdre! Monsieur passe-t-il chez lui? Bartholo Non, monsieur ne passe point chez lui. Et mais... qui empĂÂȘche qu'on ne me rase ici? Rosine, avec dĂ©dain. Vous ĂÂȘtes honnĂÂȘte! Et pourquoi pas dans mon appartement? Bartholo Tu te fĂÂąches? Pardon, mon enfant, tu vas achever de prendre ta leçon; c'est pour ne pas perdre un instant le plaisir de t'entendre. Figaro, bas au Comte. On ne le tirera pas d'ici! Haut. Allons, L'EveillĂ©! La jeunesse! le bassin, de l'eau, tout ce qu'il faut Ă monsieur. Bartholo Sans doute, appelez-les! FatiguĂ©s, harassĂ©s, moulus de votre façon, n'a-t-il pas fallu les faire coucher! Figaro Eh bien! j'irai tout chercher. N'est-ce pas dans votre chambre? Bas au Comte. Je vais l'attirer dehors. Bartholo dĂ©tache son trousseau de clefs, et dit par, rĂ©flexion Non, non, j'y vais moi-mĂÂȘme. Bas au Comte en s'en allant. Ayez les yeux sur eux, je vous prie. ScĂšne VI Figaro, Le Comte, Rosine. Figaro Ah! que nous l'avons manquĂ© belle! il allait me donner le trousseau. La clef de la jalousie n'y est-elle pas? Rosine C'est la plus neuve de toutes. ScĂšne VII Bartholo, Figaro, Le Comte, Rosine. Bartholo, revenant. A part. Bon! je ne sais ce que je fais, de laisser ici ce maudit barbier. A Figaro. Tenez. Il lui donne le trousseau. Dans mon cabinet, sous mon bureau; mais ne touchez Ă rien. Figaro La peste! il y ferait bon, mĂ©fiant comme vous ĂÂȘtes! A part, en s'en allant. Voyez comme le ciel protĂšge l'innocence! ScĂšne VIII Bartholo, Le Comte, Rosine. Bartholo, bas au Comte. C'est le drĂÂŽle qui a portĂ© la lettre au Comte. Le Comte, bas. Il m'a l'air d'un fripon. Bartholo Il ne m'attrapera plus. Le Comte Je crois qu'Ă cet Ă©gard le plus fort est fait. Bartholo Tout considĂ©rĂ©, j'ai pensĂ© qu'il Ă©tait plus prudent de l'envoyer dans ma chambre que de le laisser avec elle. Le Comte Ils n'auraient pas dit un mot que je n'eusse Ă©tĂ© en tiers. Rosine Il est bien poli, messieurs, de parler bas sans cesse! Et ma leçon? Ici l'on entend un bruit comme de la vaisselle renversĂ©e. Bartholo, criant. Qu'est-ce que j'entends donc! Le cruel barbier aura tout laissĂ© tomber par l'escalier, et les plus belles piĂšces de mon nĂ©cessaire!... Il court dehors. ScĂšne IX Le comte, Rosine. Le comte Profitons du moment que l'intelligence de Figaro nous mĂ©nage. Accordez-moi ce soir, je vous en conjure, madame, un moment d'entretien indispensable pour vous soustraire Ă l'esclavage oĂÂč vous allez tomber. Rosine Ah! Lindor! Le comte Je puis monter Ă votre jalousie, et quant Ă la lettre que j'ai reçue ce matin, je me suis vu forcĂ©... ScĂšne X Rosine, Bartholo, Figaro, Le Comte. Bartholo Je ne m'Ă©tais pas trompĂ©; tout est brisĂ©, fracassĂ©. Figaro Voyez le grand malheur pour tant de train! On ne voit goutte sur l'escalier. Il montre la clef au Comte. Moi, en montant j'ai accrochĂ© une clef... Bartholo On prend garde Ă ce qu'on fait. Accrocher une clef! L'habile homme. Figaro Ma foi, monsieur, cherchez-en un plus subtil. ScĂšne XI Les acteurs prĂ©cĂ©dents, Don Bazile. Rosine, effrayĂ©e. A part. Don Bazile!... Le Comte, Ă part. Juste ciel! Figaro, Ă part. C'est le diable! Bartholo va au-devant de lui. Ah! Bazile, mon ami, soyez le bien rĂ©tabli. Votre accident n'a donc point eu de suites? En vĂ©ritĂ©, le seigneur Alonzo m'avait fort effrayĂ© sur votre Ă©tat; demandez-lui, je partais pour vous aller voir, et s'il ne m'avait point retenu... Bazile, Ă©tonnĂ©. Le seigneur Alonzo?... Figaro frappe du pied. Eh quoi! toujours des accrocs? Deux heures pour une mĂ©chante barbe... Chienne de pratique! Bazile, regardant tout le monde. Me ferez-vous bien le plaisir de me dire, messieurs?... Figaro Vous lui parlerez quand je serai parti. Bazile Mais encore faudrait-il... Le Comte Il faudrait vous taire, Bazile. Croyez-vous apprendre Ă monsieur quelque chose qu'il ignore? Je lui ai racontĂ© que vous m'aviez chargĂ© de venir donner une leçon de musique Ă votre place. Bazile, plus Ă©tonnĂ©. La leçon de musique!... Alonzo!... Rosine, Ă part, Ă Bazile. Eh! taisez-vous. Bazile Elle aussi! Le Comte, Ă Bartholo. Dites-lui donc tout bas que nous en sommes convenus. Bartholo, Ă Bazile, Ă part. N'allez pas nous dĂ©mentir, Bazile, en disant qu'il n'est pas votre Ă©lĂšve, vous gĂÂąteriez tout. Bazile Ah! ah! Bartholo, haut. En vĂ©ritĂ©, Bazile, on n'a pas plus de talent que votre Ă©lĂšve. Bazile, stupĂ©fait. Que mon Ă©lĂšve!... Bas. Je venais pour vous dire que le Comte est dĂ©mĂ©nagĂ©. Bartholo, bas. Je le sais, taisez-vous. Bazile, bas. Qui vous l'a dit? Bartholo, bas. Lui, apparemment! Le Comte, bas. Moi, sans doute Ă©coutez seulement. Rosine, bas Ă Bazile. Est-il si difficile de vous taire? Figaro, bas Ă Bazile. Hum! Grand escogriffe! Il est sourd! Bazile, Ă part. Qui diable est-ce donc qu'on trompe ici? Tout le monde est dans le secret! Bartholo, haut. Eh bien, Bazile, votre homme de loi?... Figaro Vous avez toute la soirĂ©e pour parler de l'homme de loi. Bartholo, Ă Bazile. Un mot; dites-moi seulement si vous ĂÂȘtes content de l'homme de loi. Bazile, effarĂ©. De l'homme de loi? Le Comte, souriant. Vous ne l'avez pas vu, l'homme de loi? Bazile, impatientĂ©. Eh! non, je ne l'ai pas vu, l'homme de loi. Le Comte, Ă Bartholo, Ă part. Voulez-vous donc qu'il s'explique ici devant elle? Renvoyez-le. Bartholo, bas au Comte. Vous avez raison. A Bazile. Mais quel mal vous a donc pris si subitement? Bazile, en colĂšre. Je ne vous entends pas. Le Comte lui met, Ă part, une bourse dans la main. Oui monsieur vous demande ce que vous venez faire ici, dans l'Ă©tat d'indisposition oĂÂč vous ĂÂȘtes. Figaro Il est pĂÂąle comme un mort! Bazile Ah! je comprends... Le Comte Allez vous coucher, mon cher Bazile vous n'ĂÂȘtes pas bien, et vous nous faites mourir de frayeur. Allez vous coucher. Figaro Il a la physionomie toute renversĂ©e. Allez vous coucher, Bartholo D'honneur, il sent la fiĂšvre d'une lieue. Allez vous coucher. Rosine Pourquoi donc ĂÂȘtes-vous sorti? On dit que cela se gagne. Allez vous coucher. Bazile; au dernier Ă©tonnement. Que j'aille me coucher! Tous les acteurs ensemble Eh! sans doute. Bazile, les regardant tous. En effet, messieurs, je crois que je ne ferai pas mal de me retirer je sens que je ne suis pas ici dans mon assiette ordinaire. Bartholo A demain, toujours, si vous ĂÂȘtes mieux, Le Comte Bazile, je serai chez vous de trĂšs bonne heure. Figaro Croyez-moi, tenez-vous bien chaudement dans votre lit. Rosine Bonsoir, monsieur Bazile. Bazile, Ă part. Diable emporte si j'y comprends rien! et sans cette bourse... Tous Bonsoir, Bazile, bonsoir. Bazile, en s'en allant. Eh bien, bonsoir donc, bonsoir. Ils l'accompagnent tout en riant. ScĂšne XII Les acteurs prĂ©cĂ©dents, exceptĂ© Bazile. Bartholo, d'un ton important. Cet homme-lĂ n'est pas bien du tout. Rosine Il a les yeux Ă©garĂ©s. Le Comte Le grand air l'aura saisi. Figaro Avez-vous vu comme il parlait tout seul? Ce que c'est que de nous! A Bartholo. Ah çà , vous dĂ©cidez-vous, cette fois? Il lui pousse un fauteuil trĂšs loin du Comte et lui prĂ©sente le linge. Le Comte Avant de finir, madame, je dois vous dire un mot essentiel au progrĂšs de l'art que j'ai l'honneur de vous enseigner. Il s'approche, et lui parle bas Ă l'oreille. Bartholo, Ă Figaro. Eh mais! il semble que vous le fassiez exprĂšs de vous approcher, et de vous mettre devant moi pour m'empĂÂȘcher de voir... Le Comte, bas Ă Rosine, Nous avons la clef de la jalousie, et nous serons ici Ă minuit. Figaro passe le linge au cou de Bartholo. Quoi voir? Si c'Ă©tait une leçon de danse, on vous passerait d'y regarder; mais du chant!... Aie, aĂÂŻe! Bartholo Qu'est-ce que c'est? Figaro Je ne sais ce qui m'est entrĂ© dans l'oeil. Il rapproche sa tĂÂȘte. Bartholo Ne frottez donc pas. Figaro C'est le gauche. Voudriez-vous me faire le plaisir d'y souffler un peu fort? Bartholo prend la tĂÂȘte de Figaro, regarde par-dessus, il pousse violemment et va derriĂšre les amants Ă©couter leur conversation. Le Comte, bas Ă Rosine. Et quant Ă votre lettre, je me suis trouvĂ© tantĂÂŽt dans un tel embarras pour rester ici... Figaro, de loin pour avertir. Hem!... hem!... Le Comte DĂ©solĂ© de voir encore mon dĂ©guisement inutile... Bartholo, passant entre deux. Votre dĂ©guisement inutile! Rosine, effrayĂ©e. Ah!... Bartholo Fort bien, madame, ne vous gĂÂȘnez pas. Comment! sous mes yeux mĂÂȘmes, en ma prĂ©sence, on m'ose outrager de la sorte! Le Comte Qu'avez-vous donc, seigneur? Bartholo Perfide Alonzo! Le Comte Seigneur Bartholo, si vous avez souvent des lubies comme celle dont le hasard me rend tĂ©moin, je ne suis plus Ă©tonnĂ© de l'Ă©loignement que mademoiselle a pour devenir votre femme. Rosine Sa femme! Moi! Passer mes jours auprĂšs d'un vieux jaloux, qui, pour tout bonheur, offre Ă ma jeunesse un esclavage abominable! Bartholo Ah! qu'est-ce que j'entends! Rosine Oui, je le dis tout haut je donnerai mon coeur et ma main Ă celui qui pourra m'arracher de cette horrible prison, oĂÂč ma personne et mon bien sont retenus contre toute justice. Rosine sort. ScĂšne XIII Bartholo, Figaro, Le Comte Bartholo La colĂšre me suffoque. Le Comte En effet, seigneur, il est difficile qu'une jeune femme... Figaro Oui, une jeune femme et un grand ĂÂąge, voilĂ ce qui trouble la tĂÂȘte d'un vieillard. Bartholo Comment! lorsque je les prends sur le fait! Maudit barbier! il me prend des envies... Figaro Je me retire, il est fou. Le Comte Et moi aussi; d'honneur, il est fou. Figaro Il est fou, il est fou. Ils sortent. ScĂšne XIV Bartholo, seul, les poursuit. Je suis fou! InfĂÂąmes suborneurs, Ă©missaires du diable, dont vous faites ici l'office, et qui puisse vous emporter tous... Je suis fou!... Je les ai vus comme je vois ce pupitre... Et me soutenir effrontĂ©ment!... Ah! Il n'y a que Bazile qui puisse m'expliquer ceci. Oui, envoyons-le chercher. HolĂ ! quelqu'un... Ah! j'oublie que je n'ai personne... Un voisin, le premier venu, n'importe. Il y a de quoi perdre l'esprit! il y a de quoi perdre l'esprit! Pendant l'entracte le thĂ©ĂÂątre s'obscurcit; on entend un bruit d'orage, et l'orchestre joue celui qui est gravĂ© dans le recueil de la musique du Barbier, Nð 5. Acte quatriĂšme Le thĂ©ĂÂątre est obscur. ScĂšne I Bartholo, Don Bazile, une lanterne de papier Ă la main. Bartholo Comment, Bazile, vous ne le connaissez pas! Ce que vous dites est-il possible? Bazile Vous m'interrogeriez cent fois, que je vous ferais toujours la mĂÂȘme rĂ©ponse. S'il vous a remis la lettre de Rosine, c'est sans doute un des Ă©missaires du Comte. Mais, Ă la magnificence du prĂ©sent qu'il m'a fait, il se pourrait que ce fĂ»t le Comte lui-mĂÂȘme. Bartholo Quelle apparence? Mais, Ă propos de ce prĂ©sent, eh! pourquoi l'avez-vous reçu? Bazile Vous aviez l'air d'accord; je n'y entendais rien; et dans les cas difficiles Ă juger, une bourse d'or me paraĂt toujours un argument sans rĂ©plique. Et puis, comme dit le proverbe, ce qui est bon Ă prendre... Bartholo J'entends, est bon... Bazile A garder. Bartholo, surpris. Ah! ah! Bazile Oui, j'ai arrangĂ© comme cela plusieurs petits proverbes avec des variations. Mais allons au fait; Ă quoi vous arrĂÂȘtez-vous? Bartholo En ma place, Bazile, ne feriez-vous pas les derniers efforts pour la possĂ©der? Bazile Ma foi non, docteur. En toute espĂšce de biens, possĂ©der est peu de chose; c'est jouir qui rend heureux mon avis est qu'Ă©pouser une femme dont on n'est point aimĂ©, c'est s'exposer... Bartholo Vous craindriez les accidents? Bazile HĂ©, hĂ©, monsieur... on en voit beaucoup cette annĂ©e. Je ne ferais point violence Ă son coeur. Bartholo Votre valet, Bazile. Il vaut mieux qu'elle pleure de m'avoir, que moi je meure de ne l'avoir pas... Bazile Il y va de la vie? Epousez, docteur, Ă©pousez. Bartholo Aussi ferai-je, et cette nuit mĂÂȘme. Bazile Adieu donc. - Souvenez-vous, en parlant Ă la pupille de les rendre tous plus noirs que l'enfer. Bartholo Vous avez raison. Bazile La calomnie, docteur, la calomnie! Il faut toujours en venir lĂ . Bartholo Voici la lettre de Rosine que cet Alonzo m'a remise, et il m'a montrĂ©, sans le vouloir, l'usage que j'en dois faire auprĂšs d'elle. Bazile Adieu, nous serons tous ici Ă quatre heures. Bartholo Pourquoi pas plus tĂÂŽt? Bazile Impossible; le notaire est retenu. Bartholo Pour un mariage? Bazile Oui, chez le barbier Figaro; c'est sa niĂšce qu'il marie. Bartholo Sa niĂšce? Il n'en a pas. Bazile VoilĂ ce qu'ils ont dit au notaire. Bartholo Ce drĂÂŽle est du complot que diable!... Bazile Est-ce que vous penseriez?... Bartholo Ma foi, ces gens-lĂ sont si alertes! Tenez, mon ami, je ne suis pas tranquille. Retournez chez le notaire. Qu'il vienne ici sur-le-champ avec vous. Bazile Il pleut, il fait un temps du diable; mais rien ne m'arrĂÂȘte pour vous servir. Que faites-vous donc? Bartholo Je vous reconduis n'ont-ils pas fait estropier tout mon monde par ce Figaro! Je suis seul ici. Bazile J'ai ma lanterne. Bartholo Tenez, Bazile, voilĂ mon passe-partout. Je vous attends, je veille; et vienne qui voudra, hors le notaire et vous, personne n'entrera de la nuit. Bazile Avec ces prĂ©cautions, vous ĂÂȘtes sĂ»r de votre fait. ScĂšne II Rosine, seule, sortant de sa chambre. Il me semblait avoir entendu parler. Il est minuit sonnĂ©; Lindor ne vient point! Ce mauvais temps mĂÂȘme Ă©tait propre Ă le favoriser. SĂ»r de ne rencontrer personne... Ah! Lindor! si vous m'aviez trompĂ©e!... Quel bruit entends-je?... Dieux! c'est mon tuteur. Rentrons. ScĂšne III Rosine, Bartholo. Bartholo rentre avec de la lumiĂšre. Ah! Rosine, puisque vous n'ĂÂȘtes pas encore rentrĂ©e dans votre appartement... Rosine Je vais me retirer. Bartholo Par le temps affreux qu'il fait, vous ne reposerez pas, et j'ai des choses trĂšs pressĂ©es Ă vous dire. Rosine Que voulez-vous, monsieur? N'est-ce donc pas assez d'ĂÂȘtre tourmentĂ©e le jour? Bartholo Rosine, Ă©coutez-moi. Rosine Demain je vous entendrai. Bartholo Un moment, de grĂÂące! Rosine, Ă part. S'il allait venir! Bartholo, lui montre sa lettre. Connaissez-vous cette lettre? Rosine la reconnaĂt. Ah! grands dieux! Bartholo Mon intention, Rosine, n'est point de vous faire de reproches; Ă votre ĂÂąge, on peut s'Ă©garer; mais je suis votre ami; Ă©coutez-moi. Rosine Je n'en puis plus. Bartholo Cette lettre que vous avez Ă©crite au comte Almaviva... Rosine, Ă©tonnĂ©e. Au comte Almaviva! Bartholo Voyez quel homme affreux est ce Comte aussitĂÂŽt qu'il l'a reçue, il en a fait trophĂ©e. je la tiens d'une femme Ă qui il l'a sacrifiĂ©e Rosine Le comte Almaviva! Bartholo Vous avez peine Ă vous persuader cette horreur. L'inexpĂ©rience, Rosine, rend votre sexe confiant et crĂ©dule; mais apprenez dans quel piĂšge on vous attirait. Cette femme m'a fait donner avis de tout, apparemment pour Ă©carter une rivale aussi dangereuse que vous. J'en frĂ©mis! Le plus abominable complot entre Almaviva, Figaro et cet Alonzo, cet Ă©lĂšve supposĂ© de Bazile qui porte un autre nom, et n'est que le vil agent du Comte, allait vous entraĂner dans un abĂme dont rien n'eĂ»t pu vous tirer. Rosine, accablĂ©e. Quelle horreur!... quoi! Lindor!... quoi! ce jeune homme! Bartholo, Ă part. Ah! c'est Lindor. Rosine C'est pour le comte Almaviva... C'est pour un autre... Bartholo VoilĂ ce qu'on m'a dit en me remettant votre lettre. Rosine, outrĂ©e. Ah! quelle indignitĂ©! Il en sera puni. - Monsieur, vous avez dĂ©sirĂ© de m'Ă©pouser? Bartholo Tu connais la vivacitĂ© de mes sentiments. Rosine S'il peut vous en rester encore, je suis Ă vous. Bartholo Eh bien! le notaire viendra cette nuit mĂÂȘme. Rosine Ce n'est pas tout. O ciel! Suis-je assez humiliĂ©e!... Apprenez que dans peu le perfide ose entrer par cette jalousie, dont ils ont eu l'art de vous dĂ©rober la clef. Bartholo, regardant au trousseau. Ah! les scĂ©lĂ©rats! Mon enfant, je ne te quitte plus. Rosine, avec effroi. Ah! monsieur! et s'ils sont armĂ©s? Bartholo Tu as raison je perdrais ma vengeance. Monte chez Marceline; enferme-toi chez elle Ă double tour. Je vais chercher main-forte, et l'attendre auprĂšs de la maison. ArrĂÂȘtĂ© comme voleur, nous aurons le plaisir d'en ĂÂȘtre Ă la fois vengĂ©s et dĂ©livrĂ©s! Et compte que mon amour te dĂ©dommagera... Rosine, au dĂ©sespoir. Oubliez seulement mon erreur. A part. Ah! je m'en punis assez. Bartholo, s'en allant. Allons nous embusquer. A la fin je la tiens. Il sort. ScĂšne IV Rosine, seule. Son amour me dĂ©dommagera!... Malheureuse!... Elle tire son mouchoir et s'abandonne aux larmes. Que faire?... Il va venir. Je veux rester et feindre avec lui, pour le contempler un moment dans toute sa noirceur. La bassesse de son procĂ©dĂ© sera mon prĂ©servatif... Ah! j'en ai grand besoin. Figure noble, air doux, une voix si tendre!... et ce n'est que le vil agent d'un corrupteur! Ah! malheureuse! malheureuse! Ciel!... on ouvre la jalousie! Elle se sauve. ScĂšne V Le Comte; Figaro, enveloppĂ© d'un manteau, paraĂt Ă la fenĂÂȘtre. Figaro parle en dehors. Quelqu'un s'enfuit entrerai-je? Le Comte, en dehors. Un homme? Figaro Le Comte C'est Rosine, que ta figure atroce aura mise en fuite. Figaro saute dans la chambre. Ma foi, je le crois... Nous voici enfin arrivĂ©s, malgrĂ© la pluie, la foudre et les Ă©clairs. Le Comte, enveloppĂ© d'un long manteau. Donne-moi la main. Il saute Ă son tour. A nous la victoire! Figaro jette son manteau. Nous sommes tout percĂ©s. Charmant temps, pour aller en bonne fortune! Monseigneur, comment trouvez-vous cette nuit? Le Comte Superbe pour un amant. Figaro Oui, mais pour un confident?... Et si quelqu'un allait nous surprendre ici? Le Comte N'es-tu pas avec moi? J'ai bien une autre inquiĂ©tude c'est de la dĂ©terminer Ă quitter sur-le-champ la maison du tuteur. Figaro Vous avez pour vous trois passions toutes-puissantes sur le beau sexe l'amour, la haine et la crainte. Le Comte regarde dans l'obscuritĂ©. Comment lui annoncer brusquement que le notaire l'attend chez toi pour nous unir? Elle trouvera mon projet bien hardi elle va me nommer audacieux. Figaro Si elle vous nomme audacieux, vous l'appellerez cruelle. Les femmes aiment beaucoup qu'on les appelle cruelles. Au surplus, si son amour est tel que vous le dĂ©sirez, vous lui direz qui vous ĂÂȘtes; elle ne doutera plus de vos sentiments. ScĂšne VI Le Comte, Rosine, Figaro. Figaro allume toutes les bougies qui sont sur la table. Le Comte La voici. - Ma belle Rosine!... Rosine, d'un ton trĂšs composĂ©. Je commençais, monsieur, Ă craindre que vous ne vinssiez pas. Le Comte Charmante inquiĂ©tude!... Mademoiselle, il ne me convient point d'abuser des circonstances pour vous proposer de partager le sort d'un infortunĂ©; mais quelque asile que vous choisissiez, je jure mon honneur... Rosine Monsieur, si le don de ma main n'avait pas dĂ» suivre Ă l'instant celui de mon coeur, vous ne seriez pas ici. Que la nĂ©cessitĂ© justifie Ă vos yeux ce que cette entrevue a d'irrĂ©gulier. Le Comte Vous, Rosine! la compagne d'un malheureux, sans fortune, sans naissance!... Rosine La naissance, la fortune! Laissons lĂ les jeux du hasard, et si vous m'assurez que vos intentions sont pures... Le Comte, Ă ses pieds. Ah! Rosine! je vous adore!... Rosine, indignĂ©e. ArrĂÂȘtez, malheureux!... vous osez profaner!... Tu m'adores!... Va! tu n'es plus dangereux pour moi; j'attendais ce mot pour te dĂ©tester. Mais avant de t'abandonner au remords qui t'attend en pleurant, apprends que je t'aimais; apprends que je faisais mon bonheur de partager ton mauvais sort. MisĂ©rable Lindor! j'allais tout quitter pour te suivre. Mais le lĂÂąche abus que tu as fait de mes bontĂ©s, et l'indignitĂ© de cet affreux comte Almaviva, Ă qui tu me vendais, ont fait rentrer dans mes mains ce tĂ©moignage de ma faiblesse. Connais-tu cette lettre? Le Comte, vivement. Que votre tuteur vous a remise? Rosine, fiĂšrement. Oui, je lui en ai l'obligation. Le Comte Dieux! que je suis heureux! Il la tient de moi. Dans mon embarras, hier, je m'en suis servi pour arracher sa confiance et je n'ai pu trouver l'instant de vous en informer. Ah! Rosine, il est donc vrai que vous m'aimez vĂ©ritablement! Figaro Monseigneur, vous cherchiez une femme qui vous aimĂÂąt pour vous-mĂÂȘme ... Rosine Monseigneur!... Que dit-il? Le Comte, jetant son large manteau, paraĂt en habit magnifique. O la plus aimĂ©e des femmes! il n'est plus temps de vous abuser l'heureux homme que vous voyez Ă vos pieds n'est point Lindor; je suis le comte Almaviva, qui meurt d'amour, et vous cherche en vain depuis six mois. Rosine tombe dans les bras du Comte. Ah!... Le Comte, effrayĂ©. Figaro! Figaro Point d'inquiĂ©tude, Monseigneur la douce Ă©motion de la joie n'a jamais de suites fĂÂącheuses; la voilĂ , la voilĂ qui reprend ses sens. Morbleu! qu'elle est belle! Rosine Ah! Lindor!... Ah! monsieur! que je suis coupable! j'allais me donner cette nuit mĂÂȘme Ă mon tuteur. Le Comte Vous, Rosine! Rosine Ne voyez que ma punition! J'aurais passĂ© ma vie Ă vous dĂ©tester. Ah! Lindor! le plus affreux supplice n'est-il pas de haĂÂŻr, quand on sent qu'on est faite pour aimer? Figaro regarde Ă la fenĂÂȘtre. Monseigneur, le retour est fermĂ©; l'Ă©chelle est enlevĂ©e. Le Comte EnlevĂ©e! Rosine, troublĂ©e. Oui, c'est moi... c'est le docteur. VoilĂ le fruit de ma crĂ©dulitĂ©. Il m'a trompĂ©e. J'ai tout avouĂ©, tout trahi il sait que vous ĂÂȘtes ici, et va venir avec main-forte. Figaro regarde encore. Monseigneur! on ouvre la porte de la rue. Rosine, courant dans les bras du Comte avec frayeur. Ah! Lindor!... Le comte, avec fermetĂ©. Rosine, vous m'aimez! Je ne crains personne; et vous serez ma femme. J'aurai donc le plaisir de punir Ă mon grĂ© l'odieux vieillard!... Rosine Non, non; grĂÂące pour lui, cher Lindor! Mon coeur est si plein, que la vengeance ne peut y trouver place. ScĂšne VII Le Notaire, Don Bazile, Les acteurs PrĂ©cĂ©dents. Figaro Monseigneur, c'est notre notaire. Le Comte Et l'ami Bazile avec lui! Bazile Ah! qu'est-ce que j'aperçois? Figaro Eh! par quel hasard, notre ami?... Bazile Par quel accident, messieurs?... Le Notaire Sont-ce lĂ les futurs conjoints? Le Comte Oui, monsieur. Vous deviez unir la signora Rosine et moi cette nuit chez le barbier Figaro; mais nous avons prĂ©fĂ©rĂ© cette maison pour des raisons que vous saurez. Avez-vous notre contrat? Le Notaire J'ai donc l'honneur de parler Ă Son Excellence monsieur le comte Almaviva? Figaro PrĂ©cisĂ©ment. Bazile, Ă part. Si c'est pour cela qu'il m'a donnĂ© le passe-partout... Le Notaire C'est que j'ai deux contrats de mariage, Monseigneur. Ne confondons point voici le vĂÂŽtre; et c'est ici celui du seigneur Bartholo avec la signora... Rosine aussi? Les demoiselles apparemment sont deux soeurs qui portent le mĂÂȘme nom. Le Comte Signons toujours. Don Bazile voudra bien nous servir de second tĂ©moin.Ils signent. Bazile Mais, Votre Excellence..., je ne comprends pas... Le Comte Mon maĂtre Bazile, un rien vous embarrasse, et tout vous Ă©tonne. Bazile Monseigneur... Mais si le docteur... Le Comte, lui jetant une bourse. Vous faites l'enfant! Signez donc vite. Bazile, Ă©tonnĂ©. Ah! ah!... Figaro OĂÂč donc est la difficultĂ© de signer? Bazile, pesant la bourse. Il n'y en a plus. Mais c'est que moi, quand j'ai donnĂ© ma parole une fois, il faut des motifs d'un grand poids... Il signe. ScĂšne VIII Bartholo, un Alcade, des Alguazils, des Valets avec des flambeaux, et les Acteurs prĂ©cĂ©dents. Bartholo voit le comte baiser la main de Rosine et Figaro qui embrasse grotesquement don Bazile; il crie en prenant le notaire Ă la gorge Rosine avec ces fripons! ArrĂÂȘtez tout le monde. J'en tiens un au collet. Le Notaire C'est votre notaire. Bazile C'est votre notaire. Vous moquez-vous? Bartholo Ah! don Bazile! Eh! comment ĂÂȘtes-vous ici? Bazile Mais plutĂÂŽt vous, comment n'y ĂÂȘtes-vous pas? L'Alcade, montrant Figaro. Un moment! je connais celui-ci. Que viens-tu faire en cette maison, Ă des heures indues? Figaro Heure indue? Monsieur voit bien qu'il est aussi prĂšs du matin que du soir. D'ailleurs, je suis de la compagnie de Son Excellence monseigneur le comte Almaviva. Bartholo Almaviva! L'Alcade Ce ne sont donc pas des voleurs? Bartholo Laissons cela. - Partout ailleurs, monsieur le Comte, je suis le serviteur de Votre Excellence; mais vous sentez que la supĂ©rioritĂ© du rang est ici sans force. Ayez, s'il vous plaĂt, la bontĂ© de vous retirer. Le Comte Oui, le rang doit ĂÂȘtre ici sans force; mais ce qui en a beaucoup est la prĂ©fĂ©rence que mademoiselle vient de m'accorder sur vous, en se donnant Ă moi volontairement. Bartholo Que dit-il, Rosine? Rosine Il dit vrai. D'oĂÂč naĂt votre Ă©tonnement? Ne devais-je pas, cette nuit mĂÂȘme, ĂÂȘtre vengĂ©e d'un trompeur? Je le suis. Bazile Quand je vous disais que c'Ă©tait le Comte lui-mĂÂȘme, docteur? Bartholo Que m'importe Ă moi? Plaisant mariage! OĂÂč sont les tĂ©moins? Le Notaire Il n'y manque rien. Je suis assistĂ© de ces deux messieurs. Bartholo Comment, Bazile! vous avez signĂ©? Bazile Que voulez-vous! Ce diable d'homme a toujours ses poches pleines d'arguments irrĂ©sistibles. Bartholo Je me moque de ses arguments. J'userai de mon autoritĂ©. Le Comte Vous l'avez perdue en en abusant. Bartholo La demoiselle est mineure. Figaro Elle vient de s'Ă©manciper. Bartholo Qui te parle Ă toi, maĂtre fripon? Le Comte Mademoiselle est noble et belle; je suis homme de qualitĂ©, jeune et riche; elle est ma femme Ă ce titre qui nous honore Ă©galement, prĂ©tend-on me la disputer? Bartholo Jamais on ne l'ĂÂŽtera de mes mains. Le Comte Elle n'est plus en votre pouvoir. Je la mets sous l'autoritĂ© des lois; et monsieur, que vous avez amenĂ© vous-mĂÂȘme, la protĂ©gera contre la violence que vous voulez lui faire. Les vrais magistrats sont les soutiens de tous ceux qu'on opprime. L'alcade Certainement. Et cette inutile rĂ©sistance au plus honorable mariage indique assez sa frayeur sur la mauvaise administration des biens de sa pupille, dont il faudra qu'il rende compte. Le Comte Ah! qu'il consente Ă tout, et je ne lui demande rien. Figaro Que la quittance de mes cent Ă©cus ne perdons pas la tĂÂȘte. Bartholo, irritĂ©. Ils Ă©taient tous contre moi; je me suis fourrĂ© la tĂÂȘte dans un guĂÂȘpier. Bazile Quel guĂÂȘpier? Ne pouvant avoir la femme, calculez, docteur, que l'argent vous reste; et... Bartholo Eh! laissez-moi donc en repos, Bazile! Vous ne songez qu'Ă l'argent. Je me soucie bien de l'argent, moi! A la bonne heure, je le garde mais croyez-vous que ce soit le motif qui me dĂ©termine? Il signe. Figaro, riant. Ah! ah! ah! Monseigneur! ils sont de la mĂÂȘme famille. Le Notaire Mais, messieurs, je n'y comprends plus rien. Est-ce qu'elles ne sont pas deux demoiselles qui portent le mĂÂȘme nom? Figaro Non, monsieur, elles ne sont qu'une. Bartholo, se dĂ©solant. Et moi qui leur ai enlevĂ© l'Ă©chelle pour que le mariage fĂ»t plus sĂ»r! Ah! je me suis perdu faute de soins. Figaro Faute de sens. Mais soyons vrais, docteur quand la jeunesse et l'amour sont d'accord pour tromper un vieillard, tout ce qu'il fait pour l'empĂÂȘcher peut bien s'appeler Ă bon droit la PrĂ©caution inutile. FIN DU QUATRIEME ET DERNIER ACTE. La Folle JournĂ©e ou le Mariage de Figaro EpĂtre dĂ©dicatoire aux personnes trompĂ©es sur ma piĂšce et qui n'ont pas voulu la voir. O vous que je ne nommerai point! Coeurs gĂ©nĂ©reux, esprits justes, Ă qui l'on a donnĂ© des prĂ©ventions contre un ouvrage rĂ©flĂ©chi, beaucoup plus gai qu'il n'est frivole; soit que vous l'acceptiez ou non, je vous en fais l'hommage, et c'est tromper l'envie dans une de ses mesures. Si le hasard vous la fait lire, il la trompera dans une autre, en vous montrant quelle confiance est due Ă tant de rapports qu'on vous fait! Un objet de pur agrĂ©ment peut s'Ă©lever encore Ă l'honneur d'un plus grand mĂ©rite c'est de vous rappeler cette vĂ©ritĂ© de tous les temps, qu'on connaĂt mal les hommes et les ouvrages quand on les juge sur la foi d'autrui; que les personnes, surtout dont l'opinion est d'un grand poids, s'exposent Ă glacer sans le vouloir ce qu'il fallait peut-ĂÂȘtre encourager, lorsqu'elles nĂ©gligent de prendre pour base de leurs jugements le seul conseil qui soit bien pur celui de leurs propres lumiĂšres. Ma rĂ©signation Ă©gale mon profond respect. L'AUTEUR. PrĂ©face En Ă©crivant cette prĂ©face, mon but n'est pas de rechercher oiseusement si j'ai mis au thĂ©ĂÂątre une piĂšce bonne ou mauvaise; il n'est plus temps pour moi mais d'examiner scrupuleusement, et je le dois toujours, si j'ai fait une oeuvre blĂÂąmable. Personne n'Ă©tant tenu de faire une comĂ©die qui ressemble aux autres, si je me suis Ă©cartĂ© d'un chemin trop battu, pour des raisons qui m'ont paru solides, ira-t-on me juger, comme l'ont fait MM. tels, sur des rĂšgles qui ne sont pas les miennes? imprimer puĂ©rilement que je reporte l'art Ă son enfance, parce que j'entreprends de frayer un nouveau sentier Ă cet art dont la loi premiĂšre, et peut-ĂÂȘtre la seule, est d'amuser en instruisant? Mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit. Il y a souvent trĂšs loin du mal que l'on dit d'un ouvrage Ă celui qu'on en pense. Le trait qui nous poursuit, le mot qui importune reste enseveli dans le coeur, pendant que la bouche se venge en blĂÂąmant presque tout le reste. De sorte qu'on peut regarder comme un point Ă©tabli au thĂ©ĂÂątre, qu'en fait de reproche Ă l'auteur, ce qui nous affecte le plus est ce dont on parle le moins. Il est peut-ĂÂȘtre utile de dĂ©voiler, aux yeux de tous, ce double aspect des comĂ©dies; et j'aurai fait encore un bon usage de la mienne, si je parviens, en la scrutant, Ă fixer l'opinion publique sur ce qu'on doit entendre par ces mots Qu'est-ce que LA DECENCE THEATRALE? A force de nous montrer dĂ©licats, fins connaisseurs et d'affecter, comme j'ai dit autre part, l'hypocrisie de la dĂ©cence auprĂšs du relĂÂąchement des moeurs, nous devenons des ĂÂȘtres nuls, incapables de s'amuser et de juger de ce qui leur convient faut-il le dire enfin? des bĂ©gueules rassasiĂ©es qui ne savent plus ce qu'elles veulent, ni ce qu'elles doivent aimer ou rejeter. DĂ©jĂ ces mots si rebattus, bon ton, bonne compagnie, toujours ajustĂ©s au niveau de chaque insipide coterie, et dont la latitude est si grande qu'on ne sait oĂÂč ils commencent et finissent, ont dĂ©truit la franche et vraie gaietĂ© qui distinguait de tout autre le comique de notre nation. Ajoutez-y le pĂ©dantesque abus de ces autres grands mots, dĂ©cence et bonnes moeurs, qui donnent un air si important, si supĂ©rieur, que nos jugeurs de comĂ©dies seraient dĂ©solĂ©s de n'avoir pas Ă les prononcer sur toutes les piĂšces de thĂ©ĂÂątre, et vous connaĂtrez Ă peu prĂšs ce qui garrotte le gĂ©nie, intimide tous les auteurs, et porte un coup mortel Ă la vigueur de l'intrigue, sans laquelle il n'y a pourtant que du bel esprit Ă la glace et des comĂ©dies de quatre jours. Enfin, pour dernier mal, tous les Ă©tats de la sociĂ©tĂ© sont parvenus Ă se soustraire Ă la censure dramatique on ne pourrait mettre au thĂ©ĂÂątre Les Plaideurs de Racine, sans entendre aujourd'hui les Dandins et les Brid'oisons, mĂÂȘme des gens plus Ă©clairĂ©s, s'Ă©crier qu'il n'y a plus ni moeurs, ni respect pour les magistrats. On ne ferait point le Turcaret, sans avoir Ă l'instant sur les bras fermes, sous-fermes, traites et gabelles, droits rĂ©unis, tailles, taillons, le trop-plein, le trop-bu, tous les impositeurs royaux. Il est vrai qu'aujourd'hui Turcaret n'a plus de modĂšles. On l'offrirait sous d'autres traits, l'obstacle resterait le mĂÂȘme. On ne jouerait point les fĂÂącheux, les marquis, les emprunteurs de MoliĂšre, sans rĂ©volter Ă la fois la haute, la moyenne, la moderne et l'antique noblesse. Ses Femmes savantes irriteraient nos fĂ©minins bureaux d'esprit. Mais quel calculateur peut Ă©valuer la force et la longueur du levier qu'il faudrait, de nos jours, pour Ă©lever jusqu'au thĂ©ĂÂątre l'oeuvre sublime du Tartuffe? Aussi l'auteur qui se compromet avec le public pour l'amuser ou pour l'instruire, au lieu d'intriguer Ă son choix son ouvrage, est-il obligĂ© de tourniller dans des incidents impossibles, de persifler au lieu de rire, et de prendre ses modĂšles hors de la sociĂ©tĂ©, crainte de se trouver mille ennemis, dont il ne connaissait aucun en composant son triste drame. J'ai donc rĂ©flĂ©chi que, si quelque homme courageux ne secouait pas toute cette poussiĂšre, bientĂÂŽt l'ennui des piĂšces françaises porterait la nation au frivole opĂ©ra-comique, et plus loin encore, aux boulevards, Ă ce ramas infect de trĂ©teaux Ă©levĂ©s Ă notre honte, oĂÂč la dĂ©cente libertĂ©, bannie du thĂ©ĂÂątre français, se change en une licence effrĂ©nĂ©e; oĂÂč la jeunesse va se nourrir de grossiĂšres inepties, et perdre, avec ses moeurs, le goĂ»t de la dĂ©cence et des chefs-d'oeuvre de nos maĂtres. J'ai tentĂ© d'ĂÂȘtre cet homme; et si je n'ai pas mis plus de talent Ă mes ouvrages, au moins mon intention s'est-elle manifestĂ©e dans tous. J'ai pensĂ©, je pense encore, qu'on n'obtient ni grand pathĂ©tique, ni profonde moralitĂ©, ni bon et vrai comique au thĂ©ĂÂątre, sans des situations fortes, et qui naissent toujours d'une disconvenance sociale, dans le sujet qu'on veut traiter. L'auteur tragique, hardi dans ses moyens, ose admettre le crime atroce les conspirations, l'usurpation du trĂÂŽne, le meurtre, l'empoisonnement, l'inceste dans Oedipe et PhĂšdre; le fratricide dans VendĂÂŽme; le parricide dans Mahomet; le rĂ©gicide dans Macbeth, etc., etc. La comĂ©die, moins audacieuse, n'excĂšde pas les disconvenances, parce que ses tableaux sont tirĂ©s de nos moeurs, ses sujets de la sociĂ©tĂ©. Mais comment frapper sur l'avarice, Ă moins de mettre en scĂšne un mĂ©prisable avare? dĂ©masquer l'hypocrisie, sans montrer, comme Orgon, dans le Tartuffe, un abominable hypocrite, Ă©pousant sa fille et convoitant sa femme? un homme Ă bonnes fortunes, sans le faire parcourir un cercle entier de femmes galantes? un joueur effrĂ©nĂ©, sans l'envelopper de fripons, s'il ne l'est pas dĂ©jĂ lui-mĂÂȘme? Tous ces gens-lĂ sont loin d'ĂÂȘtre vertueux; l'auteur ne les donne pas pour tels il n'est le patron d'aucun d'eux, il est le peintre de leurs vices. Et parce que le lion est fĂ©roce, le loup vorace et glouton, le renard rusĂ©, cauteleux, la fable est-elle sans moralitĂ©? Quand l'auteur la dirige contre un sot que la louange enivre, il fait choir du bec du corbeau le fromage dans la gueule du renard, sa moralitĂ© est remplie; s'il la tournait contre le bas flatteur, il finirait son apologue ainsi Le renard s'en saisit, le dĂ©vore; mais le fromage Ă©tait empoisonnĂ©. La fable est une comĂ©die lĂ©gĂšre, et toute comĂ©die n'est qu'un long apologue leur diffĂ©rence est que dans la fable les animaux ont de l'esprit, et que dans notre comĂ©die les hommes sont souvent des bĂÂȘtes, et, qui pis est, des bĂÂȘtes mĂ©chantes. Ainsi, lorsque MoliĂšre, qui fut si tourmentĂ© par les sots, donne Ă l'avare un fils prodigue et vicieux qui lui vole sa cassette et l'injurie en face, est-ce des vertus ou des vices, qu'il tire sa moralitĂ©? que lui importent ces fantĂÂŽmes? c'est vous qu'il entend corriger. Il est vrai que les afficheurs et balayeurs littĂ©raires de son temps ne manquĂšrent pas d'apprendre au bon public combien tout cela Ă©tait horrible! Il est aussi prouvĂ© que des envieux trĂšs importants, ou des importants trĂšs envieux, se dĂ©chaĂnĂšrent contre lui. Voyez le sĂ©vĂšre Boileau, dans son Ă©pĂtre au grand Racine, venger son ami qui n'est plus, en rappelant ainsi les faits L'Ignorance et l'Erreur, Ă ses naissantes piĂšces, En habits de marquis, en robes de comtesses, Venaient pour diffamer son chef-d'oeuvre nouveau, Et secouaient la tĂÂȘte Ă l'endroit le plus beau. Le commandeur voulait la scĂšne plus exacte; Le vicomte, indignĂ©, sortait au second acte L'un, dĂ©fenseur zĂ©lĂ© des dĂ©vots mis en jeu, Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu; L'autre, fougueux marquis, lui dĂ©clarant la guerre, Voulait venger la Cour immolĂ©e au parterre. On voit mĂÂȘme dans un placet de MoliĂšre Ă Louis XIV, qui fut si grand en protĂ©geant les arts, et sans le goĂ»t Ă©clairĂ© duquel notre thĂ©ĂÂątre n'aurait pas un seul chef-d'oeuvre de MoliĂšre; on voit ce philosophe auteur se plaindre amĂšrement au roi que, pour avoir dĂ©masquĂ© les hypocrites, ils imprimaient partout qu'il Ă©tait un libertin, un impie, un athĂ©e, un dĂ©mon vĂÂȘtu de chair, habillĂ© en homme; et cela s'imprimait avec APPROBATION ET PRIVILEGE de ce roi qui le protĂ©geait rien lĂ -dessus n'est empirĂ©. Mais, parce que les personnages d'une piĂšce s'y montrent sous des moeurs vicieuses, faut-il les bannir de la scĂšne? Que poursuivrait-on au thĂ©ĂÂątre? les travers et les ridicules? Cela vaut bien la peine d'Ă©crire! Ils sont chez nous comme les modes on ne s'en corrige point, on en change. Les vices, les abus, voilĂ ce qui ne change point, mais se dĂ©guise en mille formes sous le masque des moeurs dominantes leur arracher ce masque et les montrer Ă dĂ©couvert, telle est la noble tĂÂąche de l'homme qui se voue au thĂ©ĂÂątre. Soit qu'il moralise en riant, soit qu'il pleure en moralisant, HĂ©raclite ou DĂ©mocrite, il n'a pas un autre devoir. Malheur Ă lui, s'il s'en Ă©carte! On ne peut corriger les hommes qu'en les faisant voir tels qu'ils sont. La comĂ©die utile et vĂ©ridique n'est point un Ă©loge menteur, un vain discours d'acadĂ©mie. Mais gardons-nous bien de confondre cette critique gĂ©nĂ©rale, un des plus nobles buts de l'art, avec la satire odieuse et personnelle l'avantage de la premiĂšre est de corriger sans blesser. Faites prononcer au thĂ©ĂÂątre, par l'homme juste, aigri de l'horrible abus des bienfaits, tous les hommes sont des ingrats quoique chacun soit bien prĂšs de penser comme lui, personne ne s'en offensera. Ne pouvant y avoir un ingrat sans qu'il existe un bienfaiteur, ce reproche mĂÂȘme Ă©tablit une balance Ă©gale entre les bons et les mauvais coeurs, on le sent et cela console. Que si l'humoriste rĂ©pond qu'un bienfaiteur fait cent ingrats, on rĂ©pliquera justement qu'il n'y a peut-ĂÂȘtre pas un ingrat qui n'ait Ă©tĂ© plusieurs fois bienfaiteur et cela console encore. Et c'est ainsi qu'en gĂ©nĂ©ralisant, la critique la plus amĂšre porte du fruit sans nous blesser, quand la satire personnelle, aussi stĂ©rile que funeste, blesse toujours et ne produit jamais. Je hais partout cette derniĂšre, et je la crois un si punissable abus, que j'ai plusieurs fois d'office invoquĂ© la vigilance du magistrat pour empĂÂȘcher que le thĂ©ĂÂątre ne devĂnt une arĂšne de gladiateurs, oĂÂč le puissant se crĂ»t en droit de faire exercer ses vengeances par les plumes vĂ©nales, et malheureusement trop communes, qui mettent leur bassesse Ă l'enchĂšre. N'ont-ils donc pas assez, ces Grands, des mille et un feuillistes, faiseurs de bulletins, afficheurs, pour y trier les plus mauvais, en choisir un bien lĂÂąche, et dĂ©nigrer qui les offusque? On tolĂšre un si lĂ©ger mal, parce qu'il est sans consĂ©quence, et que la vermine Ă©phĂ©mĂšre dĂ©mange un instant et pĂ©rit; mais le thĂ©ĂÂątre est un gĂ©ant qui blesse Ă mort tout ce qu'il frappe. On doit rĂ©server ses grands coups pour les abus et pour les maux publics. Ce n'est donc ni le vice ni les incidents qu'il amĂšne, qui font l'indĂ©cence thĂ©ĂÂątrale; mais le dĂ©faut de leçons et de moralitĂ©. Si l'auteur ou faible ou timide, n'ose en tirer de son sujet voilĂ ce qui rend sa piĂšce Ă©quivoque ou vicieuse. Lorsque je mis EugĂ©nie au thĂ©ĂÂątre et il faut bien que je me cite, puisque c'est toujours moi qu'on attaque, lorsque je mis EugĂ©nie au thĂ©ĂÂątre tous nos jurĂ©s-crieurs Ă la dĂ©cence jetaient des flammes dans les foyers sur ce que j'avais osĂ© montrer un seigneur libertin, habillant ses valets en prĂÂȘtres, et feignant d'Ă©pouser une jeune personne qui paraĂt enceinte au thĂ©ĂÂątre sans avoir Ă©tĂ© mariĂ©e. MalgrĂ© leurs cris, la piĂšce a Ă©tĂ© jugĂ©e, sinon le meilleur, au moins le plus moral des drames, constamment jouĂ©e sur tous les thĂ©ĂÂątres, et traduite dans toutes les langues. Les bons esprits ont vu que la moralitĂ©, que l'intĂ©rĂÂȘt y naissaient entiĂšrement de l'abus qu'un homme puissant et vicieux fait de son nom, de son crĂ©dit pour tourmenter une faible fille sans appui, trompĂ©e, vertueuse et dĂ©laissĂ©e. Ainsi tout ce que l'ouvrage a d'utile et de bon naĂt du courage qu'eut l'auteur d'oser porter la disconvenance sociale au plus haut point de libertĂ©. Depuis, j'ai fait Les Deux Amis, piĂšce dans laquelle un pĂšre avoue Ă sa prĂ©tendue niĂšce qu'elle est sa fille illĂ©gitime. Ce drame est aussi trĂšs moral, parce qu'Ă travers les sacrifices de la plus parfaite amitiĂ©, l'auteur s'attache Ă y montrer les devoirs qu'impose la nature sur les fruits d'un ancien amour, que la rigoureuse duretĂ© des convenances sociales, ou plutĂÂŽt leur abus, laisse trop souvent sans appui. Entre autres critiques de la piĂšce, j'entendis dans une loge, auprĂšs de celle que j'occupais, un jeune important de la Cour qui disait gaiement Ă des dames "L'auteur, sans doute, est un garçon fripier qui ne voit rien de plus Ă©levĂ© que des commis des Fermes et des marchands d'Ă©toffes; et c'est au fond d'un magasin qu'il va chercher les nobles amis qu'il traduit Ă la scĂšne française. - HĂ©las! monsieur, lui dis-je en m'avançant, il a fallu du moins les prendre oĂÂč il n'est pas impossible de les supposer. Vous ririez bien plus de l'auteur s'il eĂ»t tirĂ© deux vrais amis de l'Oeil-de-boeuf ou des carrosses? Il faut un peu de vraisemblance, mĂÂȘme dans les actes vertueux." Me livrant Ă mon gai caractĂšre, j'ai depuis tentĂ©, dans Le Barbier de SĂ©ville, de ramener au thĂ©ĂÂątre l'ancienne et franche gaietĂ©, en l'alliant avec le ton lĂ©ger de notre plaisanterie actuelle, mais comme cela mĂÂȘme Ă©tait une espĂšce de nouveautĂ©, la piĂšce fut vivement poursuivie. Il semblait que j'eusse Ă©branlĂ© l'Etat; l'excĂšs des prĂ©cautions qu'on prit et des cris qu'on fit contre moi dĂ©celait surtout la frayeur que certains vicieux de ce temps avaient de s'y voir dĂ©masquĂ©s. La piĂšce fut censurĂ©e quatre fois, cartonnĂ©e trois fois sur l'affiche Ă l'instant d'ĂÂȘtre jouĂ©e, dĂ©noncĂ©e mĂÂȘme au Parlement d'alors, et moi, frappĂ© de ce tumulte, je persistais Ă demander que le public restĂÂąt le juge de ce que j'avais destinĂ© Ă l'amusement du public. Je l'obtins au bout de trois ans. AprĂšs les clameurs, les Ă©loges, et chacun me disait tout bas. "Faites-nous donc des piĂšces de ce genre, puisqu'il n'y a plus que vous qui osiez rire en face." Un auteur dĂ©solĂ© par la cabale et les criards, mais qui voit sa piĂšce marcher, reprend courage; et c'est ce que j'ai fait. Feu M. le prince de Conti, de patriotique mĂ©moire car, en frappant l'air de son nom, l'on sent vibrer le vieux mot patrie, feu M. le prince de Conti, donc, me porta le dĂ©fi public de mettre au thĂ©ĂÂątre ma prĂ©face du Barbier, plus gaie, disait-il, que la piĂšce, et d'y montrer la famille de Figaro, que j'indiquais dans cette prĂ©face. "Monseigneur, lui rĂ©pondis-je, si je mettais une seconde fois ce caractĂšre sur la scĂšne, comme je le montrerais plus ĂÂągĂ©, qu'il en saurait quelque peu davantage, ce serait bien un autre bruit; et qui sait s'il verrait le jour?" Cependant, par respect, j'acceptai le dĂ©fi; je composai cette Folle journĂ©e, qui cause aujourd'hui la rumeur. Il daigna la voir le premier. C'Ă©tait un homme d'un grand caractĂšre, un prince auguste, un esprit noble et fier le dirai-je? il en fut content. Mais quel piĂšge, hĂ©las! j'ai tendu au jugement de nos critiques en appelant ma comĂ©die du vain nom de Folle journĂ©e! Mon objet Ă©tait bien de lui ĂÂŽter quelque importance; mais je ne savais pas encore Ă quel point un changement d'annonce peut Ă©garer tous les esprits. En lui laissant son vĂ©ritable titre, on eĂ»t lu L'Epoux suborneur. C'Ă©tait pour eux une autre piste, on me courait diffĂ©remment. Mais ce nom de Folle journĂ©e les a mis Ă cent lieues de moi ils n'ont plus rien vu dans l'ouvrage que ce qui n'y sera jamais; et cette remarque un peu sĂ©vĂšre sur la facilitĂ© de prendre le change a plus d'Ă©tendue qu'on ne croit. Au lieu du nom de George Dandin, si MoliĂšre eĂ»t appelĂ© son drame La Sottise des alliances, il eĂ»t portĂ© bien plus de fruit; si Regnard eĂ»t nommĂ© son LĂ©gataire, La Punition du cĂ©libat, la piĂšce nous eĂ»t fait frĂ©mir. Ce Ă quoi il ne songea pas, je l'ai fait avec rĂ©flexion. Mais qu'on ferait un beau chapitre sur tous les jugements des hommes et la morale du thĂ©ĂÂątre, et qu'on pourrait intituler De l'influence de l'affiche! Quoi qu'il en soit, La Folle journĂ©e resta cinq ans au portefeuille; les comĂ©diens ont su que je l'avais, ils me l'ont enfin arrachĂ©e. S'ils ont bien ou mal fait pour eux, c'est ce qu'on a pu voir depuis. Soit que la difficultĂ© de la rendre excitĂÂąt leur Ă©mulation, soit qu'ils sentissent avec le public que pour lui plaire en comĂ©die il fallait de nouveaux efforts, jamais piĂšce aussi difficile n'a Ă©tĂ© jouĂ©e avec autant d'ensemble, et si l'auteur comme on le dit est restĂ© au-dessous de lui-mĂÂȘme, il n'y a pas un seul acteur dont cet ouvrage n'ait Ă©tabli, augmentĂ© ou confirmĂ© la rĂ©putation. Mais revenons Ă sa lecture, Ă l'adoption des comĂ©diens. Sur l'Ă©loge outrĂ© qu'ils en firent, toutes les sociĂ©tĂ©s voulurent le connaĂtre, et dĂšs lors il fallut me faire des querelles de toute espĂšce, ou cĂ©der aux instances universelles. DĂšs lors aussi les grands ennemis de l'auteur ne manquĂšrent pas de rĂ©pandre Ă la Cour qu'il blessait dans cet ouvrage, d'ailleurs un tissu de bĂÂȘtises, la religion, le gouvernement, tous les Ă©tats de la sociĂ©tĂ©, les bonnes moeurs, et qu'enfin la vertu y Ă©tait opprimĂ©e et le vice triomphant, comme de raison, ajoutait-on. Si les graves messieurs qui l'ont tant rĂ©pĂ©tĂ© me font l'honneur de lire cette prĂ©face, ils y verront au moins que j'ai citĂ© bien juste; et la bourgeoise intĂ©gritĂ© que je mets Ă mes citations n'en fera que mieux ressortir la noble infidĂ©litĂ© des leurs. Ainsi, dans Le Barbier de SĂ©ville, je n'avais qu'Ă©branlĂ© l'Etat; dans ce nouvel essai, plus infĂÂąme et plus sĂ©ditieux, je le renversais de fond en comble. Il n'y avait plus rien de sacrĂ©, si l'on permettait cet ouvrage. On abusait l'autoritĂ© par les plus insidieux rapports; on cabalait auprĂšs des corps puissants; on alarmait les dames timorĂ©es; on me faisait des ennemis sur le prie-Dieu des oratoires et moi, selon les hommes et les lieux, je repoussais la basse intrigue par mon excessive patience, par la roideur de mon respect, l'obstination de ma docilitĂ©; par la raison, quand on voulait l'entendre. Ce combat a durĂ© quatre ans. Ajoutez-les aux cinq du portefeuille que reste-t-il des allusions qu'on s'efforce Ă voir dans l'ouvrage? HĂ©las! quand il fut composĂ©, tout ce qui fleurit aujourd'hui n'avait pas mĂÂȘme encore germĂ© c'Ă©tait tout un autre univers. Pendant ces quatre ans de dĂ©bat, je ne demandais qu'un censeur; on m'en accorda cinq ou six. Que virent-ils dans l'ouvrage, objet d'un tel dĂ©chaĂnement? La plus badine des intrigues. Un grand seigneur espagnol, amoureux d'une jeune fille qu'il veut sĂ©duire, et les efforts que cette fiancĂ©e, celui qu'elle doit Ă©pouser, et la femme du seigneur, rĂ©unissent pour faire Ă©chouer dans son dessein un maĂtre absolu, que son rang, sa fortune et sa prodigalitĂ© rendent tout-puissant pour l'accomplir. VoilĂ tout, rien de plus. La piĂšce est sous vos yeux. D'oĂÂč naissaient donc ces cris perçants? De ce qu'au lieu de poursuivre un seul caractĂšre vicieux, comme le joueur, l'ambitieux, l'avare, ou l'hypocrite, ce qui ne lui eĂ»t mis sur les bras qu'une seule classe d'ennemis, l'auteur a profitĂ© d'une composition lĂ©gĂšre, ou plutĂÂŽt a formĂ© son plan de façon Ă y faire entrer la critique d'une foule d'abus qui dĂ©solent la sociĂ©tĂ©. Mais comme ce n'est pas lĂ ce qui gĂÂąte un ouvrage aux yeux du censeur Ă©clairĂ©, tous, en l'approuvant, l'ont rĂ©clamĂ© pour le thĂ©ĂÂątre. Il a donc fallu l'y souffrir alors les grands du monde ont vu jouer avec scandale Cette piĂšce oĂÂč l'on peint un insolent valet Disputant sans pudeur son Ă©pouse Ă son maĂtre. M. GUDIN. Oh! que j'ai de regret de n'avoir pas fait de ce sujet moral une tragĂ©die bien sanguinaire! Mettant un poignard Ă la main de l'Ă©poux outragĂ©, que je n'aurais pas nommĂ© Figaro, dans sa jalouse fureur je lui aurais fait noblement poignarder le Puissant vicieux; et comme il aurait vengĂ© son honneur dans des vers carrĂ©s, bien ronflants, et que mon jaloux, tout au moins gĂ©nĂ©ral d'armĂ©e, aurait eu pour rival quelque tyran bien horrible et rĂ©gnant au plus mal sur un peuple dĂ©solĂ©, tout cela, trĂšs loin de nos moeurs, n'aurait, je crois, blessĂ© personne, on eĂ»t criĂ© bravo ! ouvrage bien moral! Nous Ă©tions sauvĂ©s, moi et mon Figaro sauvage. Mais ne voulant qu'amuser nos Français et non faire ruisseler les larmes de leurs Ă©pouses, de mon coupable amant j'ai fait un jeune seigneur de ce temps-lĂ , prodigue, assez galant, mĂÂȘme un peu libertin, Ă peu prĂšs comme les autres seigneurs de ce temps-lĂ . Mais qu'oserait-on dire au thĂ©ĂÂątre d'un seigneur, sans les offenser tous, sinon de lui reprocher son trop de galanterie? N'est-ce pas lĂ le dĂ©faut le moins contestĂ© par eux-mĂÂȘmes? J'en vois beaucoup, d'ici, rougir modestement et c'est un noble effort en convenant que j'ai raison. Voulant donc faire
Souvenezvous il y a prÚs de 50 ans les bals dans notre région eh bien ce soir vous allez avoir une séquence nostalgie. Nous sommes samedi. Avec nos cheveux longs ,nos maxi manteaux,nos cols Mao et nos pattes d'éléphants. Une autre époque . Pour faire des rencontres pas de Meetic, pas de Tender pas de Facebook,pas de portables c'était au
ï»żFacebook officiel d'AlonzoLe rappeur Alonzo vient de dĂ©voiler son titre On met les voiles, enregistrĂ© pour la bande originale du film LA comĂ©die Ă©vĂ©nement de ce dĂ©but dâannĂ©e. Le film Pattaya de Frank Gastambide est attendu en salles le 24 fĂ©vrier prochain, et avec Gad Elmaleh, Malik Bentalha, Ramzy Bedia et Cyril Hanouna en tĂȘte dâaffiche, nul doute quâil est promis Ă un bel avenir au comme un film nâest rien sans sa bande originale, Frank Gastambide a dĂ©cidĂ© de frapper trĂšs fort en engageant le rappeur Alonzo, acolyte de Soprano au sein des Psy 4 de la rime. Aujourdâhui, Alonzo vient de dĂ©voiler son titre On met les voiles, ainsi que le clip qui lâaccompagne. Câest sous le soleil de la ThaĂŻlande, lĂ oĂč a Ă©tĂ© tournĂ© le film, quâAlonzo a mis en image sa ce clip Synopsis de Pattaya Franky et Krimo rĂȘvent de quitter la grisaille de leur quartier pour partir en voyage dans la cĂ©lĂšbre et sulfureuse station balnĂ©aire thaĂŻlandaise de PATTAYA. Pour pouvoir sây rendre Ă moindre coĂ»t, les deux amis ont la folle idĂ©e dâinscrire Ă son insu le nain de leur quartier au championnat du monde de Boxe ThaĂŻ des Nains. Mais ce qui devait ĂȘtre pour eux des vacances de rĂȘves va se transformer en lâaventure la plus dingue et pĂ©rilleuse de leurs RBĂ lire aussi Priscilla Betti cette partie du corps ultra-originale qu'elle s'est fait tatouer ! Shanna aprĂšs le drame, elle dĂ©voile le prĂ©nom Ă lâĂ©criture trĂšs originale quâelle va donner Ă son fiston ! En vidĂ©oSur le mĂȘme thĂšme Ces stars dont on parle En voir plus
Identifiezles figures de style preÌsentes dans ces phrases de la vie quotidienne : une meÌtaphore, une hyperbole, une antitheÌse, une litote, une antiphrase ou une meÌtonymie. 1. Si je reprends une part de gĂąteau, je vais prendre dix kilos. 2. Jâai eu 18/20 en français, je ne mâen suis pas trop mal sorti. 3.
Page d'accueil Paroles Et Traductions Classements Musicaux Statistiques Gains Acheter La Chanson Regarder sur Youtube VidĂ©o On A Mis Les Voiles Pays belgique AjoutĂ©e 13/05/2022 Titre original de la chanson Melan X L'hexaler - On A Mis Les Voiles Reportage [Ajouter un artiste associĂ©] [Supprimer l'artiste liĂ©] [Ajouter des paroles] [Ajouter la traduction des paroles] Statistiques quotidiennes "On A Mis Les Voiles" a Ă©tĂ© visionnĂ© principalement dans Peut. De plus, le jour de la semaine le plus rĂ©ussi oĂč la chanson avait Ă©tĂ© prĂ©fĂ©rĂ©e par les tĂ©lĂ©spectateurs est Lundi. "On A Mis Les Voiles" calcule les meilleurs rĂ©sultats sur 16 Peut 2022. La chanson a obtenu des scores infĂ©rieurs sur Peut. De plus, le pire jour de la semaine oĂč la vidĂ©o a rĂ©duit le nombre de tĂ©lĂ©spectateurs est August. "On A Mis Les Voiles" a reçu une rĂ©duction significative de 20 Peut 2022. Le tableau ci-dessous compare "On A Mis Les Voiles" au cours des 7 premiers jours de la sortie de la chanson. Jour Changer Jour 1 samedi 0% Jour 2 dimanche + Jour 3 Lundi + Jour 4 mardi Jour 5 mercredi Jour 6 Jeudi Jour 7 vendredi Trafic total par jour de la semaine Les informations prĂ©sentĂ©es ci-dessous calculent un centile du trafic combinĂ© en un jour de la semaine. "On A Mis Les Voiles" rĂ©alisations, rĂ©sultat total divisĂ© par jour de la semaine. Selon les donnĂ©es que nous avons appliquĂ©es, le jour de la semaine le plus efficace pour le "On A Mis Les Voiles" pourrait ĂȘtre examinĂ© Ă partir du tableau ci-dessous. Jour de la semaine Centile samedi dimanche Lundi mardi mercredi Jeudi vendredi Trafic total par mois Le tableau ci-dessous reprĂ©sente un centile du trafic divisĂ© mois par mois. "On A Mis Les Voiles" rĂ©sultats, combinant l'impact total de la chanson depuis la premiĂšre sur 13 Peut 2022. Selon les donnĂ©es, prouvĂ©es par nous, le mois le plus efficace pour "[3]" pourrait ĂȘtre notĂ© dans la liste ci-dessous. Mois Centile Peut aoĂ»t Online users now 957 members 689, robots 268
Comptineberceuse ou chanson : Allez on part, on mets les voiles Allez on part, on met les voiles On va s'offrir une autre étoile On quitte la terre aujourd'hui Pour visiter la
Tekstovi Kore, Alonz', yeah MamĂ© Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y a rien Ă faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă Pattaya Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y a rien Ă faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă Pattaya Pattaya on arrive T'es pas prĂȘt, tu connais pas l'dĂ©lire Ă la citĂ© tout part Ă la dĂ©rive Tu ressens la sĂšre-mi sur la tĂȘte Ă Karim Changement de dĂ©cor, on se casse Ă l'aĂ©roport Vas-y prends seulement ton passeport On va fuck, on va fuck, on va fuck Ă peine arrivĂ© je veux plus rentrer Ă la maison J'parle français, anglais ou thaĂŻlandais c'est avec l'accent Tout est contrefaçon, on s'en bats les couilles 'toute façon Loin de tous mes ennemis Tu peux pas comprendre car tu connais pas nos vies Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y a rien Ă faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă Pattaya Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y a rien Ă faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă Pattaya Ouais ouais ouais on connaĂźt T'as ken un ladyboy on t'a cramĂ© Le dancefloor est rempli de BelvĂ©s Si t'es jaloux c'est peut-ĂȘtre que tu me remets BĂ©bĂ© j'suis le meilleur Tu trouveras pas mieux ailleurs Si tu me mets de mauvais humeur Je te plaque, je te plaque, je te plaque C'est le paradis des cailles-ra, 12 heures d'avion Rien Ă foutre j'ai les poches pleines de bahts Je dĂ©pense, j'suis le patron On se donne en spectacle T-max noir mĂąte, pas d'plaque On s'dĂ©foule au centre de tirs Tu peux pas comprendre car tu connais pas nos vies Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y a rien Ă faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă Pattaya Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y a rien Ă faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă Pattaya Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Pattaya, ouais ouais Pattaya, Pattaya Au quartier c'est la merde, oui viens on s'fait la malle Au calme en bord de mer, qu'on kiffe la life Ici tu connais, y a rien Ă faire PrĂ©pare tes affaires on met les voiles Besoin de faire la fĂȘte Ă Pattaya Pattaya! AurĂ©lien Mazin, Djamel Fezari, Kassimou Djae, Quentin Lepoutre SONY ATV MUSIC PUBLISHING FRANCE, Sony/ATV Music Publishing LLC
Lhistoire du conte Cachou le Cachalot. Autrefois, loin d'ici, il y avait un petit port bien tranquille. On l'appelait Port-Ăcume. C'Ă©tait le refuge de nombreux bateaux de pĂȘche. En effet d'imposants rochers le protĂ©geaient des assauts d'une mer dĂ©montĂ©e et donc blanche d'Ă©cume. Il abritait un cachalot du nom de Cachou.
1La carriĂšre et lâĆuvre de Michel Sardou sont indissociables de lâimage mĂ©diatique qui sâest cristallisĂ©e autour de ses opinions politiques, rĂ©elles ou supposĂ©es. Alors que ses plus grands succĂšs â Les Bals populaires, Le France, La Maladie dâamour, Les Lacs du Connemara â semblent souvent consensuels, ses chansons ont souvent Ă©tĂ© interprĂ©tĂ©es de maniĂšre politique, que lâartiste y consente ou non. Son Ćuvre et sa carriĂšre en ont Ă©tĂ© modifiĂ©es au point que Michel Sardou occupe Ă plus dâun titre une place unique dans le domaine de la chanson. Il nâest pas seulement lâun des artistes français de sa gĂ©nĂ©ration qui a vendu le plus dâalbum et le plus de billets. Il est aussi lâun des rares Ă ĂȘtre toujours perçu comme un homme de droite, quelles que soient les opinions fluctuantes quâil professe dans les mĂ©dias. Le seul enfin Ă avoir suscitĂ© des manifestations publiques hostiles de la part de militants gauchistes. Un bref rappel historique, mettant en rapport ces Ă©vĂ©nements avec la carriĂšre artistique et mĂ©diatique de Michel Sardou, nous semble donc nĂ©cessaire pour Ă©voquer les principaux virages idĂ©ologiques qui ont jalonnĂ© quarante annĂ©es de carriĂšre. Nous nous interrogerons ensuite sur les chansons elles-mĂȘmes. Analyser les idĂ©es quâelles vĂ©hiculent ne vise pas Ă les Ă©valuer, mais Ă comprendre comment elles rĂ©ussissent Ă fidĂ©liser un public de droite tout en continuant Ă produire du consensus. Les Ćuvres, parfois ambigĂŒes et souvent complexes, tĂ©moignent certes de convictions concernant la place de la France dans le monde et sa politique intĂ©rieure. Mais elles laissent Ă©galement percevoir un imaginaire personnel, forgĂ© entre autres choses par des discours idĂ©ologiques. Câest pourquoi des chansons qui semblent peu militantes seront Ă©galement Ă©tudiĂ©es, en particulier dans la derniĂšre partie de cette Ă©tude, consacrĂ©e Ă lâĂ©vocation des mĆurs et des instituions. 1. La carriĂšre de Michel Sardou, la politique et les mĂ©dias 2Les premiĂšres annĂ©es de la carriĂšre de Michel Sardou se placent sous le signe de lâapprentissage et de la soumission Ă la mode. Courant le cachet et prenant des cours de chant, il enregistre chez Barclay entre 1965 et 1967 des chansons qui tentent de profiter de la mode des hippies. Michel Fugain, qui Ă©crit ses premiĂšres musiques, nâa pas alors plus de cĂ©lĂ©britĂ© ni de personnalitĂ© que son interprĂšte. Les orchestrations folks â guitares, tambourins et harmonica â sont trĂšs datĂ©es. MĂȘme lorsque Michel Sardou rencontre Jacques Revaux, compositeur qui lâaccompagnera pendant presque toute sa carriĂšre Ă partir de 1967, le style musical ne change pas radicalement. Si la voix est dĂ©jĂ agrĂ©able, les nasalisations et les accentuations brutales, qui rappellent respectivement Antoine ou Nino Ferrer, relĂšvent parfois du pastiche. Michel Sardou, toutefois, Ă©crit dĂ©jĂ ses textes, qui sont en lĂ©ger dĂ©calage avec lâhorizon dâattente associĂ© Ă ces musiques. Il utilise les clichĂ©s associĂ©s aux beatniks et, sans ĂȘtre ouvertement parodique, reprend Ă son compte les moqueries liĂ©es Ă leur virilitĂ©. Le Madras ou Les Filles dâaujourdâhui proposent ainsi une critique des jeunes dans le vent » et peu virils, mais accompagnĂ©e dâune musique destinĂ©e Ă les sĂ©duire. Les Beatniks dĂ©crit une vie de bohĂšme Ă lâAmĂ©ricaine, qui nâa par ailleurs rien dâengageant mais exerce sans doute une certaine sĂ©duction sur un Michel Sardou rĂ©cemment mariĂ© Moi quand je les regarde Du haut de mes vingt ans Jâai parfois le cafard De vivre prudemment Mais quand ils sont partis En traĂźnant leurs savates Je continue ma vie Et renoue ma cravate. 3Les hippies existent alors politiquement en tant quâopposants Ă la guerre du Vietnam, une guerre que la France a perdue. En 1967, la premiĂšre version des Ricains â accompagnĂ©e dâune seule guitare, de chĆurs et dâharmonica â passe relativement inaperçue, mais est dĂ©conseillĂ©e » aux programmateurs de la radio nationale, ce qui suffit Ă Eddy Barclay pour se sĂ©parer de Michel Sardou. La chanson, pro amĂ©ricaine, nâa rien pour plaire ni aux gaullistes, ni aux communistes. Si jâavais un frĂšre au Vietnam, titre pacifiste et Ă©lĂ©giaque qui prĂ©tend que la guerre nâest quâun malentendu », nâa pas non plus de quoi satisfaire les deux camps, et le titre est vite oubliĂ©. 4Le premier succĂšs dâestime paru en France est enregistrĂ© en 1968 chez Trema, label naissant dont Jacques Revaux, principal compositeur de lâartiste, est lâun des fondateurs. America, America et Monsieur le PrĂ©sident de France font de Michel Sardou un chanteur Ă contre-courant. Trente mille disques vendus, ce nâest quâun succĂšs relatif pour celui qui va devenir une vedette en quelques mois au cours de lâannĂ©e 1970. Les succĂšs, en effet, sâenchaĂźnent. Les deux premiers, Les Bals populaires et Jâhabite en France, sont gentiment cocardiers. Les deux titres mĂȘlent percussions lourdes, cuivres clinquants et accordĂ©on, pour faire danser les foules. Il sâagit aussi de les faire trĂ©pigner et dâorganiser des chorus, les paroles reprises par le public Ă©tant prĂ©cĂ©dĂ©es de longues syllabes Ă©tendues et de silence qui prĂ©parent un dĂ©foulement collectif. Tout aussi consensuelle et efficace est la critique des institutions, prĂ©sente en 1971 dans Le Rire du sergent, qui ressuscite le comique troupier. La politique reste prĂ©sente, mais elle sâefface derriĂšre les chansons dâamour Ă succĂšs. En effet, malgrĂ© ses dĂ©nonciations de la sociĂ©tĂ© moderne abĂȘtissante Zombie Dupont et castratrice Les Villes de grande solitude, Interdit aux bĂ©bĂ©s, ses messages adressĂ©s aux chrĂ©tiens et aux institutions catholiques Tu es Pierre, Le CurĂ©, et sa critique persistante du militarisme La Marche en avant, on ne retient de lâalbum de 1973 que Les Vieux MariĂ©s, et surtout La Maladie dâamour. Le premier titre est un grand succĂšs, mais il est totalement Ă©clipsĂ© par le second, vĂ©ritable tube de lâĂ©tĂ©, et mĂȘme de lâannĂ©e 1973, qui vient rajouter plus dâun million dâalbums aux quatre dĂ©jĂ vendus par lâartiste entre 1970 et 1972. Je veux lâĂ©pouser pour un soir, slow de lâĂ©tĂ© 1974, est un succĂšs de moindre envergure, mais atteint quand mĂȘme les premiĂšres places des hit-parades. Cette rĂ©ussite permet Ă Michel Sardou de rester Ă la mode, de remplir rĂ©guliĂšrement lâOlympia, et dâenregistrer frĂ©quemment des albums, ce qui nâest pas accordĂ© Ă tout le monde. Lâartiste sâexprime de plus en plus souvent dans les mĂ©dias. Il affirme ĂȘtre une vedette populaire, et non un chanteur engagĂ©, ce que la critique idĂ©ologique, trĂšs prĂ©sente Ă lâĂ©poque, associe Ă un conservatisme. 5Je vais tâaimer, paru en 1975 sur lâalbum La Vieille, confirme le talent de lâinterprĂšte pour les chansons dâamour. Mais lâĂ©vĂ©nement inattendu est le succĂšs du France, chanson consacrĂ©e au bateau devenu symbole dâun dĂ©clin national. Le titre, disque de platine, crĂ©e une polĂ©mique qui masque les chansons les plus violentes Le Temps des colonies, Jâaccuse et Je suis pour, qui rĂ©clame la peine pour un assassin dâenfant, vont ĂȘtre dĂ©couverts au fil de lâexploitation des 45 tours, suscitant des rĂ©actions de plus en plus violentes. La Manif, titre qui nâa pas Ă©tĂ© publiĂ© sur lâalbum, est une chanson particuliĂšrement virulente. Elle nâa pas eu de retentissement spectaculaire mais, malgrĂ© son absence de passage en radio, elle a Ă©tĂ© largement diffusĂ©e, car elle se trouve sur la face B du 45 tours consacrĂ© Ă Je vais tâaimer. 6Les rĂ©actions dâindignation publique ne se produiront quâĂ partir de lâannĂ©e 1976. La sortie du Temps des colonies, prĂ©vue pour mars, est annulĂ©e le texte, qui donne la parole Ă un colon, a Ă©tĂ© pris au premier degrĂ© par un programmateur de radio. Le chauvinisme bon enfant des Bals Populaires et de Jâhabite en France engendre des soupçons de nationalisme lorsque Michel Sardou interprĂšte La Marseillaise le 14 juillet devant plus de cent mille spectateurs, auxquels sâajoutent les camĂ©ras de FR3. Le titre sera repris la mĂȘme annĂ©e dans une compilation de ses Ćuvres, rĂ©orchestrĂ©es en version symphonique. Ă cela sâajoute, en octobre, une polĂ©mique liĂ©e Ă la diffusion de Je suis pour, favorable Ă la peine de mort. 7Le public est au rendez-vous et les salles sont plus que pleines. Mais lors dâune tournĂ©e en Belgique, au dĂ©but de lâannĂ©e suivante, des manifestations hostiles accompagnent ses concerts. Heurts entre les manifestants des comitĂ©s anti-Sardou » et les forces de lâordre, alertes Ă la bombe et autres manifestations de violence incitent le chanteur Ă interrompre sa tournĂ©e. DĂšs lors, la rĂ©ception de son Ćuvre va devenir pour lâartiste une prĂ©occupation majeure. Pour transformer son image dâartiste idĂ©ologue et rĂ©actionnaire, il modifie lâensemble de son Ćuvre et les discours mĂ©diatiques qui lâaccompagnent. Tout commence par deux mois de silence, rompu par une interview donnĂ©e au Matin de Paris, publiĂ©e le 17 mai. Michel Sardou se dĂ©fend tour Ă tour dâĂȘtre sexiste, colonialiste, nationaliste, et mĂȘme de droite, affirmant quâil est prĂȘt Ă voter socialiste aux prochaines Ă©lections, pour voir changer le personnel politique au pouvoir, et parce que ras le bol, tout simplement ». Mais il ne se fait pas beaucoup dâillusions, et reviendra vite Ă ses convictions premiĂšres. 8DĂšs lors, sa carriĂšre va reprendre avec autant voire davantage de succĂšs, mais des apparitions mĂ©diatiques et des discours de nature diffĂ©rente. Le contexte politique change souvent, entre 1977 et 2007, et le monde du spectacle Ă©volue aussi grandement. Michel Sardou, quelles que soient ses activitĂ©s, ne perd pas une occasion de cultiver une image de contestataire dĂ©goĂ»tĂ© de la politique, mais sans plus aller jusquâĂ la provocation. Il se positionne relativement peu par rapport aux dĂ©bats nationaux des annĂ©es 80. Sa seule participation publique Ă une manifestation concerne la dĂ©fense de lâĂ©cole privĂ©e en 1984, et il dira par la suite avoir changĂ© dâopinion, dĂ©fendant moins lâĂ©cole privĂ©e que la libertĂ© de choix des parents. La crĂ©ation des radios libres est pour lui lâoccasion dâune courte carriĂšre dâanimateur. Il confirme Ă la fois son statut de vedette, suffisamment reconnue pour pouvoir prĂ©senter les disques des autres, et sa capacitĂ© Ă attirer un public de droite, puisquâil officie sur RMC. Il aime Ă Ă©voquer ses amis du show-business â Bedos, puis Coluche, lui servant souvent Ă prouver quâil nâest pas politiquement sectaire. Il se dĂ©fend volontiers des accusations de machisme en comparant ses prestations scĂ©niques Ă celles de Bernard Lavilliers, qui joue bien davantage que lui de son aspect machiste. 9Lâargument est dâautant plus pertinent que les performances de Michel Sardou Ă©voluent lentement vers une forme dâĂ©pure dont rendent compte les nombreuses vidĂ©os enregistrĂ©es en public depuis le dĂ©but des annĂ©es 80. AprĂšs avoir essayĂ© tous les dĂ©guisements des annĂ©es 70, du col pelle-Ă -tarte au blouson de cuir, en passant par le costume Ă paillettes, et mĂȘme quelques apparitions torse nu, Michel Sardou privilĂ©gie de plus en plus la sobriĂ©tĂ© prĂŽnĂ©e par son dĂ©funt pĂšre. Costume, et parfois cravate, accompagnent une rarĂ©faction progressive des gestes, qui donne aux rares mouvements de bras une grande expressivitĂ©. Si lâinterprĂšte marche de plus en plus, ce nâest quâen raison de lâagrandissement de la scĂšne, car les salles de spectacle offertes aux artistes sont de plus en plus grandes, et le public de Michel Sardou remplit rĂ©guliĂšrement le palais des sports de Bercy. Si la mauvaise humeur apparente du chanteur reste un clichĂ© journalistique, les chroniqueurs, au fil du temps, se rĂ©jouissent de le voir sourire entre les chansons ou sur ses affiches, puis de lâentendre communiquer avec ses musiciens, quâil met toujours en Ă©vidence Ă un moment ou Ă un autre du concert. En 1998, il va jusquâĂ plaisanter avec le public aux sujet des trente-cinq heures. Mais la discrĂ©tion reste le maĂźtre mot de son interprĂ©tation. Il laisse Ă la musique le soin de transporter le public. Si ses chansons, comme le remarquaient les auteurs de Faut-il brĂ»ler Michel Sardou ?, accordent volontiers une place croissante Ă la musique, ses concerts obĂ©issent Ă la mĂȘme logique les derniĂšres Ćuvres jouĂ©es devant le public offrent de larges plages musicales, souvent inspirĂ©es du rock progressif, galvanisant la salle grĂące Ă des airs Ă danser Les Bals populaires, La Java de Broadway, Afrique adieu ou Ă des orchestrations Ă©piques Les Lacs du Connemara, Un roi barbare. 10La sobriĂ©tĂ© sur scĂšne sâaccompagne, Ă partir de 1986, dâune certaine discrĂ©tion mĂ©diatique, qui sâexplique de plusieurs maniĂšres. La premiĂšre est lâallongement de la durĂ©e de crĂ©ation. Ă partir du milieu des annĂ©es 1980, les campagnes de promotion sont de plus en plus Ă©tudiĂ©es, et il est Ă©tabli quâun album tous les deux ans permet dâoptimiser les ventes. Si Michel Sardou sâoccupe en tournant beaucoup et en multipliant les albums en public, les nouvelles chansons se font plus rares et moins polĂ©miques. La fin de sa collaboration avec Pierre DelanoĂ« lâexplique en partie. Les discours journalistiques consacrĂ©s au chanteur sont assez rĂ©guliers, mais rĂ©pĂ©titifs et peu politisĂ©s. Lâartiste Ă©tant reconnu et Ă©tiquetĂ©, il fait toujours lâobjet de commentaires semblables libre » ou indĂ©pendant », plein de talent » et dotĂ© dâune belle voix », il ne saurait ĂȘtre consensuel, mais reste depuis vingt ans prĂ©sentĂ© comme un artiste populaire ». Si les journalistes parlent de moins en moins des Ă©vĂ©nements de 1977, ils mentionnent trĂšs souvent le fait que Michel Sardou sĂ©duit aussi un public qui ne partage pas ses idĂ©es politiques. 11Cet affadissement de la polĂ©mique sâexplique sans doute par le passage du temps, qui rend anodine les chansons provocatrices et les isole de leur contexte. Certes, le rĂ©pertoire de Sardou, depuis 2000, est redevenu militant, et sâadresse Ă un public de fidĂšles dans des chansons qui passent souvent peu en radio. Mais, parallĂšlement, le chanteur continue de se produire dans des Ă©missions rĂ©servĂ©es aux vedettes retransmission de la TournĂ©e des EnfoirĂ©s, Star AcadĂ©my, soirĂ©e dâĂ©lection de Miss France. Il nây interprĂšte souvent que dâanciens succĂšs, politiquement anodins. Le contraste, pour qui Ă©coute attentivement les disques, peu sembler saisissant, mais ce procĂ©dĂ© est entretenu, avec plus ou moins de discrĂ©tion et dâhabilitĂ©, depuis prĂšs de vingt ans. Depuis 1978, lâĆuvre de Michel Sardou rĂ©ussit Ă transcender les clivages politiques, sans cesser de sĂ©duire un public de droite. Nous allons tenter, pour comprendre les raisons de sa rĂ©ussite, dâanalyser les stratĂ©gies dĂ©ployĂ©es par le crĂ©ateur pour Ă©dulcorer son discours tout en le rendant aisĂ©ment dĂ©chiffrable. 2. Les chansons de Sardou et lâart du consensus a Politique Ă©trangĂšre, nationalisme et fatalisme 12LâentrĂ©e en politique de Michel Sardou se fait, nous lâavons dit, alors que le mouvement hippie influence toute la musique de variĂ©tĂ©s. Mais ses Ćuvres ne commencent Ă ĂȘtre rĂ©ellement diffusĂ©es quâĂ partir de 1970, dans un contexte trĂšs diffĂ©rent. Si les premiĂšres chansons enregistrĂ©es chez Barclay ont Ă©tĂ© oubliĂ©es, il reste de cette Ă©poque un rĂ©pertoire Ă©voquant lâAmĂ©rique. Trois chansons paraissent sur le premier album du chanteur. America, America nâest porteuse que dâune idĂ©ologie implicite trĂšs Ă la mode, qui Ă©voque lâAmerican way of life et la ville de San Francisco. Mais Michel Sardou a des raisons plus politiques de dĂ©fendre le rĂȘve amĂ©ricain. Au dĂ©but des annĂ©es 1970, alors que le mythe dâune France rĂ©sistante fait place Ă un discours dâhistoriens insistant sur la Collaboration, Les Ricains est une chanson polĂ©mique, qui ne mĂ©nage pas lâorgueil national Si les ricains nâĂ©taient pas lĂ Vous seriez tous en Germanie Ă parler de je ne sais quoi Ă saluer je ne sais qui. 13Le vous » nâest pas un nous » ; il sâadresse moins Ă lâensemble des Français quâĂ ceux qui critiquent les pour leur engagement au Vietnam Bien sĂ»r les annĂ©es ont passĂ© Les fusils ont changĂ© de mains Est-ce une raison pour oublier Quâun jour on en a eu besoin ? 14Lâhabillage musical, en 1970, est diffĂ©rent de celui de la premiĂšre version le titre sâouvre et se ferme sur le bruit dâune foule acclamant Hitler, ce qui renforce lâaspect accusateur du couplet initial. Les notes de guitares et dâharmonica rĂ©sonnent moins, et les orgues sont plus prĂ©sents, renforçant le lyrisme et substituant Ă lâaspect artisanal des musiques hippies la mise en Ă©vidence dâun travail dâorchestration trĂšs maĂźtrisĂ©. Le phĂ©nomĂšne est encore plus audible sur le titre Monsieur le PrĂ©sident de France, dont les couplets martiaux â accompagnĂ©s de cuivres et de tambours â alternent avec des refrains saturĂ©s de chĆurs lyriques supportant un texte violent Dites Ă ceux qui brĂ»lent mon drapeau Quâen souvenir de ces annĂ©es Ce sont les derniers des salauds. 15Le personnage interprĂ©tĂ© est le fils dâun ancien combattant amĂ©ricain, et la chanson se clĂŽt sur une musique de marche militaire amĂ©ricaine. Le contraste avec le titre prĂ©cĂ©dent indique clairement la volontĂ© de lâauteur de sâadresser Ă la jeunesse issue du baby-boom, en opposant des AmĂ©ricains lĂ©gitimement fiers de leurs parents Ă des Français qui les critiquent. Lâaspect polĂ©mique de ces Ćuvres sera occultĂ© par des titres plus fĂ©dĂ©rateurs, qui exaltent un sentiment national moins patriotique que cocardier, Jâhabite en France ou Les Bals populaires. Ce titre est le premier grand succĂšs de lâartiste. CoĂ©crit avec Vline Buggy, il est accompagnĂ© dâune musique de Jacques Revaux. Cette derniĂšre illustre efficacement, Ă grands renforts de batterie, de trompettes et dâaccordĂ©on, lâambiance Ă©voquĂ©e par le texte, qui met en vedette lâouvrier parisien » et lâorchestre » infatigable et folklorique. Au-delĂ de ces clichĂ©s textuels, le refrain est particuliĂšrement habile. Il place en effet le personnage dans la position dâun auditeur de concert, alors que ses nombreuses rĂ©pĂ©titions incitent la salle Ă faire chorus Mais lĂ -bas prĂšs du comptoir en bois Nous on nâdanse pas On est lĂ pour boire un coup On est lĂ pour faire les fous Et pour se reboire un bon coup Et pas payer nos verres. 16La lourdeur des orchestrations met le public de bonne humeur, lui donne envie de danser tandis que le texte le conforte dans son rĂŽle dâauditeur semi-passif, qui sâamuse, mais nâdanse pas ». LâefficacitĂ© de la chanson se mĂȘle Ă des rĂ©fĂ©rences nationales, qui laissent penser que le personnage dĂ©crit est un français moyen, un ouvrier parisien » qui tente de ne pas payer son verre. Cette exaltation dâune gaitĂ© nationale est plus nettement affirmĂ©e dans Jâhabite en France, qui flatte le public de façon plus idĂ©ologique Mais voilĂ jâhabite en France Et la France câest pas du tout câquâon dit Si les Français se plaignent parfois Câest pas dâlĂ gueule de bois Câest en France quâil y a Paris Mais la France câest aussi un pays OĂč yâa quand mĂȘme pas cinquante millions dâabrutis. 17Les clichĂ©s textuels sont encore plus nombreux. Il sâagit en effet de confirmer ou dâinfirmer â en les Ă©voquant tour Ă tour â un certain nombre dâidĂ©es reçues concernant la France ou Paris, pour conclure sur un satisfecit peu original la France est un pays de sĂ©ducteurs. 18Cette bonne humeur fĂ©dĂ©ratrice, associĂ©e Ă un amĂ©ricanisme moins consensuel, se poursuit jusquâĂ la fin de la dĂ©cennie, la cĂ©lĂšbre Java de Broadway offrant un nouveau succĂšs indĂ©modable Ă Michel Sardou, en 1977. La musique festive et orchestrale Ă©voque un jazz band qui jouerait un air de java. Rien nâa changĂ© dans le texte, si ce nâest quâil autorise une diction sur un rythme ternaire il nâest question que de fĂȘtes dĂ©complexĂ©es, dâalcool et de filles que lâon regarde de loin, installĂ© au bar. 19Chanter la France et lâAmĂ©rique nâest cependant pas toujours simple. Ă partir de la seconde moitiĂ© des annĂ©es 1970, deux phĂ©nomĂšnes viennent inflĂ©chir le discours des chansons de Michel Sardou. Dâune part, une prĂ©dilection pour la nostalgie et lâangoisse du dĂ©clin, qui atteint la France, LâAmĂ©rique et tout autre pays. Dâautre part, un rapport aux Ă©trangers parfois ambigu. Cette Ă©volution du rĂ©pertoire a des causes multiples crise Ă©conomique qui popularise un discours sur le dĂ©clin du pays ; mort du pĂšre qui alimente lâangoisse dâune vedette parvenue au sommet ; changement de collaborateur, avec lâintervention longue et durable de Pierre DelanoĂ« dans les livrets Ă partir de lâalbum intitulĂ© La Vieille. 20La fiertĂ© dâĂȘtre Français nâest alors plus de mise. Le plus important succĂšs de cet album est en effet Le France, qui permet au chanteur de fĂ©dĂ©rer jusquâaux ouvriers CGT du port du Havre, oĂč le bateau est mis Ă quai. Cet hymne nostalgique, chantĂ© dans un contexte de crise des chantiers navals, exprime en effet un sentiment national Ne mâappelez plus jamais France » La France elle mâa laissĂ© tomber Ne mâappelez plus jamais France » Câest ma derniĂšre volontĂ©. 21Bien dâautres chansons viendront, avec plus ou moins de succĂšs, dĂ©plorer la baisse dâinfluence dâun pays qui perd peu Ă peu ses ambitions internationales. Ces titres seront toutefois plus directement liĂ©s au contexte Ă©lectoral, aussi les Ă©tudierons-nous plus loin. Mais la crise française nâest, pour Michel Sardou que lâun des aspects dâun complet dĂ©senchantement du monde. MĂȘme son parti pris en faveur de la politique amĂ©ricaine nây rĂ©siste pas, et lâĂ©vocation des USA ne renvoie plus quâĂ un rĂȘve amĂ©ricain dĂ©senchantĂ©. Presque toutes les chansons consacrĂ©es aux pays Ă©trangers, thĂšme rĂ©guliĂšrement exploitĂ©, Ă©voquent dâailleurs un rĂȘve de culture ou dâexotisme déçu Huit jours Ă El Paso en 1978, Afrique Adieu en 1982, Exil Dylan en 1984, Le Paraguay n est plus ce qu âil Ă©tait en 1988, Le VĂ©tĂ©ran et Mam âselle Louisiane en 1990, LâAmĂ©rique de mes dix ans en 2000... Tous ces titres sont construits autour dâhabillages musicaux caractĂ©ristiques des rĂ©gions, voire des Ă©poques Ă©voquĂ©es. Le dernier sâouvre mĂȘme sur la mĂ©lodie des Ricains, comme si la nostalgie Ă©tait assumĂ©e jusquâĂ lâauto-parodie. Les partitions de ces chansons permettent par ailleurs souvent de masquer le caractĂšre nĂ©gatif du propos en proposant une mĂ©lodie entraĂźnante. Sur le plan textuel, dâailleurs, le pessimisme semble rarement dominant, car le pouvoir Ă©vocateur des mots crĂ©e un effet dâexotisme chez lâauditeur, alors mĂȘme que le personnage en dĂ©plore la disparition. Des chansons demeurĂ©es cĂ©lĂšbres, Afrique A dieu ou Les Lacs du Connemara, en tĂ©moignent. Les noms propres fortement connotĂ©s se succĂšdent, ainsi que les Ă©lĂ©ments de dĂ©cor, pour composer un paysage imaginaire Sur les Ă©tangs de Malawi La nuit rĂ©sonne comme un signal Câest pour une fille de Nairobi Quâun tambour joue au SĂ©nĂ©gal. 22La musique qui accompagne de telles paroles, incitant Ă la danse, rend plus difficile encore une attention soutenue, et le texte propose une accumulation dâimages fortes. Cette utilisation efficace des termes Ă connotations exotiques se fait au dĂ©triment de la narration, ce qui ajoute Ă lâensemble un mystĂšre propice Ă la rĂȘverie. Les paroles des Lacs du Connemara, grand succĂšs bĂąti sur le mĂȘme principe, invitent moins Ă une recherche des rĂ©fĂ©rences historiques quâĂ une rĂȘverie appuyĂ©e sur des sonoritĂ©s Ă©trangĂšres Sean Kelly sâest dit Je suis catholique Maureen aussi LâĂ©glise en granit De Limerick Maureen a dit oui. 23LâĂ©tranger apparaĂźt donc dans lâimaginaire de Michel Sardou comme un ailleurs, souvent dĂ©cevant, mais qui permet encore de satisfaire chez le public un dĂ©sir dâexotisme. Ce rapport au monde consensuel, qui a produit de grands succĂšs, est toutefois compliquĂ© par des chansons plus ambiguĂ«s. 24Si les pays Ă©trangers font rĂȘver, certains de leurs habitants, en effet, sont envisagĂ©s de maniĂšre plus problĂ©matique. Tout a commencĂ© en 1975, par un malentendu. Le Temps des colonies, paru sur lâalbum La Vieille, a créé une polĂ©mique en 1976. Le texte semble pourtant ne pouvoir ĂȘtre envisagĂ© quâau second degrĂ© Pour moi monsieur rien nâĂ©galait Les tirailleurs SĂ©nĂ©galais Qui mouraient tous pour la patrie Au temps bĂ©ni des colonies Autrefois Ă Colomb-BĂ©char Jâavais plein de serviteurs noirs Et quatre filles dans mon lit Au temps bĂ©ni des colonies. 25Il nâen reste pas moins que lâaccompagnement musical, exotique et dominĂ© par les tams-tams, rappelle lâesthĂ©tique des chansons authentiquement colonialistes, frĂ©quentes dans la France dâavant-guerre. Le dĂ©but du refrain, on pense encore Ă toi, O Bwana », chantĂ© par des choristes africaines Ă lâaccent prononcĂ©, reste dâun goĂ»t douteux. Si Michel Sardou nâa cessĂ© de communiquer dans les mĂ©dias pour dissiper les malentendus nĂ©s de cette chanson, il a longtemps continuĂ© Ă lâinterprĂ©ter sur scĂšne et Ă la mettre sur ses compilations, comme si elle Ă©tait un symbole de la diabolisation dont il avait fait lâobjet en 1976 et 1977. Le plus troublant est quâen 1979 paraĂźt une autre chanson, dans laquelle la fiertĂ© dâĂȘtre français sâaccompagne dâun rapport mĂ©prisant vis-Ă -vis de lâĂ©tranger. 26Ils ont le pĂ©trole mais câest tout est composĂ© sur le modĂšle des chansons chauvines prĂ©cĂ©dentes, mais les arabes y sont considĂ©rĂ©s avec agressivitĂ© Ils ont le pĂ©trole Mais ils nâont que ça On a des idĂ©es Un gaspy futĂ© Un Martel Ă Poitiers. 27Cette violence sâexplique dans la chanson elle-mĂȘme par une anecdote biographique Cettâ chanson sâadresse A un bravâ garçon Quâon appelle Altesse Un ami dâpension Quand ton puits sâra sec... plus dâjus dans lâcitron Plus personne Ă La Mecque Viens Ă la maison. 28Il nâen reste pas moins que le propos sâadresse plutĂŽt Ă un public raciste quâil sâagit de flatter, et ce dâautant plus que la mĂ©lodie en mode mineur et les orchestrations arabisantes ne peuvent encore une fois quâĂ©voquer lâesthĂ©tique des chansons coloniales. Cela suffirait du reste Ă comprendre pourquoi lâĆuvre est tombĂ©e dans lâoubli. 29La plupart des chansons qui Ă©voquent les pays Ă©trangers et leurs habitants sont toutefois bien plus habiles. Le meilleur exemple en est Vladimir Ilitch, Ă©norme succĂšs de lâannĂ©e 1983. Son texte, malgrĂ© les Ă©lĂ©ments de couleur locale, est explicitement politique. Mais tout au long du texte, la critique du stalinisme se mĂȘle Ă lâĂ©vocation de la misĂšre dâun peuple, qui semble justifier le communisme, ce qui satisfait un public de droite tout en dĂ©samorçant les critiques qui pourraient venir de la gauche Un vent de SibĂ©rie souffle sur la BohĂšme Les femmes sont en colĂšre aux portes des moulins Des bords de la Volga au delta du NiĂ©men Le temps sâest Ă©coulĂ© il a passĂ© pour rien Puisquâaucun dieu du ciel ne sâintĂ©resse Ă nous LĂ©nine relĂšve-toi Ils sont devenus fous. 30Musulmanes, paru en 1987, semble plus anodin. Le titre allie la beautĂ© dâun texte exotique Ă©voquant la blancheur des toits de GhardaĂŻa » en AlgĂ©rie, les forĂȘts du Liban », Le crĂ©puscule de Sanaa », ville situĂ©e au YĂ©men... Ă une vision de la femme musulmane qui a peu Ă©voluĂ© depuis Pierre Loti, et produit de la compassion VoilĂ©es pour ne pas ĂȘtre vues CernĂ©es dâun silence absolu Vierges de pierre au corps de Diane Les femmes ont pour leur lassitude De jardins clos de solitude Le long sanglot des musulmanes. 31La musique nâest plus caricaturale mais Ă©pique, se prĂȘtant Ă des dĂ©veloppements symphoniques qui la rendent encore plus efficace en concert. Mais cette esthĂ©tique parfaitement maĂźtrisĂ©e masque un contenu politique. Si les paroles peuvent renvoyer Ă la situation dramatique du Liban, aucun message clair nâest dĂ©livrĂ©. En revanche, le vidĂ©o clip largement diffusĂ© Ă lâĂ©poque raconte une autre histoire celle dâun pilote de lâAĂ©ropostale perdu dans le dĂ©sert et Ă©chappant Ă des pillards grĂące Ă la complicitĂ© de femmes voilĂ©es. Ce film dâaventure rĂ©sumĂ© Ă trois minutes propose une vision archaĂŻsante, non des musulmanes, mais des arabes musulmans. Il est vrai que lâĂ©poque sây prĂȘte, dans un contexte de montĂ©e du Front National, alors que VĂ©ronique Sanson renonce Ă chanter sur scĂšne sa chanson intitulĂ©e Allah et que Salman Rushdie est contraint Ă la clandestinitĂ©. 32Par la suite, les chansons qui Ă©voquent les pays Ă©trangers ne seront que dâinnocentes Ćuvres mĂȘlant nostalgie et exotisme. Elles seront peu exploitĂ©es, Michel Sardou ayant suffisamment de grands succĂšs de ce type Ă insĂ©rer dans ses concerts Afrique Adieu, Les Lacs du Connemara et Musulmanes. Seul LâOiseau Tonnerre, paru sur le dernier album, Ă©voque la spoliation des Indiens par les colons amĂ©ricains. Le texte nâest pas de Michel Sardou, et le sujet peu polĂ©mique, rien dans la chanson ne renvoyant mĂȘme implicitement Ă la politique Ă©trangĂšre amĂ©ricaine. 33Il sâagit toutefois dâune exception, car si lâon considĂšre lâensemble de lâĆuvre, lâĂ©vocation des pays Ă©trangers et de leurs habitants laisse souvent transparaĂźtre un propos idĂ©ologique. Lâemploi de clichĂ©s nâa rien dâĂ©tonnant car il semble difficile dâĂ©voquer un pays au cours des quelques minutes que dure une chanson sans utiliser dâimages rĂ©ductrices. Mais Michel Sardou fait par ailleurs preuve dâune rĂ©elle originalitĂ©. Celle-ci rĂ©side dans lâhabiletĂ© avec laquelle il associe rĂȘve amĂ©ricain et dĂ©fense des Ătats-Unis, ou sentiment national et mĂ©pris pour les habitants des anciennes colonies. Cet aspect est compensĂ© par la vision du monde de lâartiste, qui associe la France et lâĂtranger en plaçant la condition humaine sous le signe du dĂ©clin ; qui ressuscite le patriotisme ou lâexotisme le temps dâun chant du cygne. Mais cette optique conservatrice, voire rĂ©actionnaire, qui gĂ©nĂšre aisĂ©ment de la nostalgie, ne suffit pas Ă rendre compte de la complexitĂ© politique de lâĆuvre. b Les commentaires sur la politique intĂ©rieure la permanence du pessimisme, entre colĂšre, victimisation et dĂ©tachement 34Contrairement Ă ce qui se passait au temps de yĂ©yĂ©s, un chanteur qui devient une vedette dans les annĂ©es 70 est souvent contestataire ou engagĂ©. Michel Sardou nâĂ©chappe pas Ă la rĂšgle, mais sâil se plaĂźt Ă critiquer, son Ćuvre ne soutient ouvertement aucun parti, et les textes qui ne sont pas lâexpression dâune colĂšre sont volontiers interprĂ©tĂ©s sur un ton dĂ©sabusĂ©. Par ailleurs, si les idĂ©es politiques exprimĂ©es sĂ©duisent souvent un public de droite, lâartiste nâest pas hermĂ©tique aux Ă©volutions de la sociĂ©tĂ©, qui, depuis 1968, voit les idĂ©es libĂ©rales de gauche progresser en ce qui concerne les mĆurs, et les idĂ©es libĂ©rales de droite triompher sur le plan Ă©conomique. 35Pour son premier manifeste politique, datĂ© de 1972, Michel Sardou choisi de sâidentifier Ă Danton parlant devant ses juges, prophĂ©tisant les horreurs du ComitĂ© de Salut Public, et mĂȘme lâavĂšnement dâun tyran trĂšs semblable Ă NapolĂ©on. NoyĂ© sous les allusions historiques, le texte ne revendique pas autre chose quâun dĂ©sir de paix et de libertĂ©. Toutefois, alors que les espoirs rĂ©volutionnaires issus de 1968 sâessoufflent, et que LĂ©o FerrĂ© ou Colette Magny prennent leurs distances vis-Ă -vis dâune chanson purement militante, Danton peut ĂȘtre compris comme une dĂ©nonciation des rĂ©volutionnaires qui se rĂ©clament de Robespierre et des Jacobins. LâinterprĂ©tation, qui oppose la voix de lâinterprĂšte Ă celle dâune foule sur un fond de musique martiale, fait de lâhomme sensĂ© la victime du groupe. 36Cet imaginaire rĂ©volutionnaire est aussi exploitĂ© en 1980 dans le cadre dâune comĂ©die musicale intitulĂ©e Les MisĂ©rables. Michel Sardou enregistre alors Ă la volontĂ© du peuple, dont le personnage se dit prĂȘt Ă mourir pour la libertĂ©. En 1989, Ă la faveur des commĂ©morations du bicentenaire, le concert de Bercy sâachĂšve sur une fresque Ă©pique, Un jour la libertĂ©, dont le ton dĂ©sillusionnĂ© est habituel chez lâartiste mais qui tĂ©moigne des mĂȘmes idĂ©aux Pour proclamer les Droits de lâhomme Je mâinscrirai aux Jacobins Mais comme je crois au droit des hommes Je passerai aux Girondins. 37Cela nâempĂȘche pas Michel Sardou, rĂ©volutionnaire dans ses aspirations Ă la libertĂ©, de dĂ©fendre dans ces chansons le droit de propriĂ©tĂ©, ni de proposer une image voltairienne et conservatrice de la libertĂ© religieuse, comme dans cet extrait de Danton Les pauvres ont besoin de lâĂ©glise Câest un peu lĂ quâils sont humains BrĂ»ler leur Dieu est une bĂȘtise. 38Plus quâun dĂ©sir de rĂ©volution, le discours politique chantĂ© par Michel Sardou traduit une insatisfaction perpĂ©tuelle. Celle-ci se manifeste dâabord de maniĂšre vĂ©hĂ©mente sur lâalbum La Vieille, paru en 1975. Il contient la plupart des textes qui ont valu des ennuis Ă lâartiste, notamment Le Temps des colonies et Je suis pour, qui fait lâapologie de la peine de mort. On y trouve aussi une chanson trĂšs datĂ©e, W54, qui propose une vision orwellienne de la sociĂ©tĂ©, au son de musiques Ă©lectriques qui pastichent les films consacrĂ©s aux extra-terrestres. Sur un tel album, le titre Jâaccuse apparaĂźt comme une diatribe assenĂ©e au monde entier. Le rythme soutenu, la puissance des cuivres et des percussions, et la diction forte et trĂšs accentuĂ©e, sont au service dâun propos Ă©cologiste et antimilitarisme, mais un pacifisme affichĂ© avec autant de hargne a de quoi surprendre Jâaccuse les hommes dâĂȘtre bĂȘtes et mĂ©chants BĂȘtes Ă marcher au pas des rĂ©giments De nâĂȘtre pas des hommes tout simplement. 39Les plus violentes et les plus polĂ©miques des chansons de cette Ă©poque ne cesseront dâĂȘtre reprises et rĂ©enregistrĂ©es en public, avec ou sans commentaire dâaccompagnement. Un seul de ces titres nâa pas rencontrĂ© de succĂšs. Il sâagit du plus politique, qui nâa pas Ă©tĂ© repris en album. La Manif sâadresse Ă un public trĂšs politisĂ©, car il prĂȘte Ă diverses catĂ©gories de manifestants, en particuliers des ouvriers, des immigrĂ©s et des fĂ©ministes, des propos caricaturaux de ce type Mais dans le contexte actuel De lâĂšre industrielle On nâveut plus travailler. 40Seule lâabsence de succĂšs de ce titre, passĂ© inaperçu, explique quâil nâait pas Ă©tĂ© reprochĂ© Ă Michel Sardou. Quelques mois aprĂšs sa parution, les violences subies par lâinterprĂšte lâont incitĂ© Ă plus de prudence. 41Sur lâalbum suivant, sa critique de la sociĂ©tĂ© prend la forme dâune Ă©lucubration au ton et au rythme lĂ©gers. Une attention aiguĂ« au texte, Ă laquelle la forme de la chanson nâincite pas, semble indiquer que Michel Sardou brĂ»le aussi bien ce quâil a adorĂ© que le reste, aussi bien le gouvernement que lâopposition, critiquant La gouver-ne-men-ta-lo-manie Lâintellec-tualo-gaucho-manie LâamĂ©ricano-anglo-manie-manie. 42La chanson nâayant pas eu de succĂšs, lâartiste en revient Ă des Ćuvres plus violentes, quâil maĂźtrise mieux. On a dĂ©jĂ donnĂ©, coĂ©crit en 1978 avec Claude Lemesle, sâen prend une nouvelle fois aux rĂ©volutionnaires, Ă tous ces poings tendus », et aux conservateurs, Ă ceux qui sont en place parce que papa y Ă©tait ». Il est Ă mettre en parallĂšle avec la dĂ©ception que Michel Sardou dit avoir Ă©prouvĂ© Ă propos de ValĂ©ry Giscard dâEstaing. Pierre DelanoĂ« a quant Ă lui aidĂ© lâinterprĂšte Ă Ă©crire La DĂ©bandade en 1984, quelques mois avant la fin du programme commun, qui annonce la fin dâautres illusions. La chanson ressemble aux prĂ©cĂ©dentes, avec sa diction forte et heurtĂ©e, accompagnĂ©e de musique orchestrale et imposante, mais le texte ne vise personne explicitement. Comme dans Vladimir Ilitch, paru lâannĂ©e prĂ©cĂ©dente, il emploie ironiquement un vocabulaire de gauche Rigolez pas, mes camarades / La dĂ©bandade / Câest pour demain », pour dĂ©noncer le malaise dâune sociĂ©tĂ© dirigĂ©e par la gauche. Mais Michel Sardou, Ă partir de 1985, semble se lasser de la politique et, sâil chante encore rĂ©guliĂšrement la dĂ©cadence, voire une apocalypse imminente, dans des chansons telles que Les Derniers jours de Pearl Harbour, il sâagit moins de politique que de nostalgie et de pessimisme. 43Ce dernier sentiment est alimentĂ© par les dĂ©boires du chanteur qui aime Ă se prĂ©senter en victime dĂšs le dĂ©but de sa carriĂšre. AssassinĂ©s, vilipendĂ©s, acculĂ©s au suicide, les personnages incarnĂ©s par Michel Sardou de 1970 Ă 1975 â Danton chansons Ă©ponymes, Johnny Halliday Le PhĂ©nix ou des victimes anonymes Je vous ai bien eu, Le prix dâun homme â mettent soigneusement en scĂšne leur Ă©limination et lâostracisme dont ils sont victimes. Ce fantasme, largement alimentĂ© par les mĂ©saventures quâa connues Michel Sardou en 1977, nâa pas Ă©tĂ© sans consĂ©quence. Ă partir des annĂ©es 80, il commente sur scĂšne lâimpact quâont eu ses chansons les plus contestĂ©es, et il en Ă©crit quelques-unes pour rĂ©pondre Ă ses dĂ©tracteurs. Dâabord On rĂ©trĂ©cit, en 1978, dans laquelle il assume violement son discours sur le dĂ©clin de la France Traitez-moi de ce que vous voudrez Facho... nazi... phalo... pĂ©dĂ© Et plus je tendrai lâautre joue Les hĂ©ros ne sont plus parmi nous Jâai dĂ» me tromper de rendez-vous On rĂ©trĂ©cit on rĂ©trĂ©cit. 44Puis Jâavais pas la tĂȘte assez dure et La Haine, enregistrĂ©es en 1978 et 1980, rĂ©ussissent le paradoxe dâĂȘtre des chansons Ă la musique et Ă lâinterprĂ©tation virulente et Ă©pique alors quâelles dĂ©noncent la violence, dont la victime implicite est lâinterprĂšte lui-mĂȘme. Enfin, Mauvais homme paru en 1981 donne la parole Ă un misanthrope solitaire. Le titre est interprĂ©tĂ© Ă la maniĂšre de Johnny Halliday, avec un mĂ©lange dâĂ©lĂ©gie et dâorchestrations grandioses. Le sujet sâĂ©puise ensuite dâautant plus vite que Michel Sardou ne produit plus de chansons ouvertement politiques entre 1985 et 1994, se contentant de reprendre ses vieux succĂšs engagĂ©s et de les commenter sur scĂšne. Comme ses albums, ses chansons militantes se rarĂ©fient et se nuancent. 45Selon que vous serez etc, etc sâen prend aux dysfonctionnements de la justice et des mĂ©dia, et fustige les politiciens corrompus, thĂšmes qui nâont pas cessĂ© depuis dâĂȘtre Ă la mode. Mon dernier rĂȘve sera pour vous, consacrĂ© au fisc, est plus marquĂ© idĂ©ologiquement. Si lâon en croit le ton de lâinterprĂ©tation et lâaccompagnement musical, la colĂšre semble avoir fait place au dĂ©goĂ»t et Ă la dĂ©sillusion. Au cours des annĂ©es 2000, cependant, Michel Sardou redevient polĂ©mique. Il affiche un pessimisme serein et dĂ©tachĂ©, Ă©nonçant ses idĂ©es sans avoir lâair de se faire dâillusions. Ainsi renoue-t-il avec la fiertĂ© affichĂ©e dâĂȘtre français, sur un rythme plus lent que Jâhabite en France, qui se prĂȘte moins Ă la danse, mais davantage au chorus et aux claquements de mains. Il est vrai que le contenu de Français est plus sĂ©rieux et plus nuancĂ© Parce quâils ont dĂ©cidĂ© dâĂȘtre une rĂ©publique, Bien que toutes leurs idĂ©es se perdent en politique. Mais parce que lâun dâentre eux a dit cettâphrase immense Ma libertĂ© sâarrĂȘte oĂč la vĂŽtre commence »... Jâaime les Français, Tous les Français, MĂȘme les Français que je nâaime pas. 46Il faudra encore quelques annĂ©es pour que Michel Sardou revienne vraiment Ă la chanson engagĂ©e son album intitulĂ© Hors-format, paru en 2006, est, sâil faut en croire le rĂ©sultat des derniĂšres Ă©lections, dans lâair du temps. Le thĂšme de la dĂ©cadence nationale, le moins nouveau, est illustrĂ© par Concorde, un fleuron de notre industrie nationale qui aura connu un destin parallĂšle Ă celui du France, sans que la chanson Ă©ponyme ait le mĂȘme succĂšs. Câest aussi sous le signe de la dĂ©cadence que se place Les Villes hostiles, chanson consacrĂ©e aux banlieues qui sâouvre sur ces mots CâĂ©tait mon quartier autrefois Plus rien nâexiste tout a changĂ© MĂȘme ma rue je ne la retrouve plus On a dĂ» reconstruire dessus. 47La chanson la plus ouvertement politique, sur laquelle sâest faite la promotion de lâalbum, est un mĂ©lange de pessimisme et dâaffirmation polĂ©miques. Les couplets Ă©voquent nombre de sujets volontiers abordĂ©s par la droite, rappelant aux immigrĂ©s quâil faut respecter ceux qui sont venus longtemps avant toi », revendiquant la valeur travail il faut se prendre en charge / Et pas charger lâĂtat », critiquant les droits acquis » Il faudra bien quâon en oublie / Sous peine de nâplus / Jamais avoir de droits ». Mais ce programme Ă©lectoral, accompagnĂ© dâune musique de plus en plus dansante, est tempĂ©rĂ© Ă la fois par un dernier couplet pessimiste et par un refrain dĂ©calĂ©. Le dernier couplet ne sâapplique que dans un contexte de dĂ©faite Ă©lectorale qui nâa pas eu lieu pour le public de Michel Sardou Admettons enfin vous et moi Que nous sommes tous des hypocrites. La vĂ©ritĂ© ne nous plait pas Alors on a le pays quâon mĂ©rite. 48Quant au refrain, il exprime un pessimisme dĂ©sabusĂ© Et puis allons danser Pour oublier tout ça Allons danser. Personne nây croit. 49De fait, Michel Sardou affirme sur la plage suivante, par ailleurs trĂšs autobiographique, son profond dĂ©tachement Toutes mes exigences, Mes combats, mes dĂ©fiances, Ces parfums mĂ©langĂ©s De femmes et de fumĂ©e Ces Ă©tranges passions. Demain dâautres Ă ma place Viendront et feront face Pour les provocations. Je nâsuis plus un homme pressĂ©. 50Pour la premiĂšre fois depuis prĂšs de vingt ans, Michel Sardou assume clairement ses convictions de droite, mais en tempĂ©rant ses affirmations par un dĂ©faitisme dont il est dĂ©sormais coutumier. AprĂšs plusieurs annĂ©es de gouvernement de droite, le pessimisme qui lui faisait annoncer le dĂ©clin de la France semble avoir atteint ses limites et minĂ© jusquâaux convictions de lâinterprĂšte. Il nâest pas dit que la partie militante de son public le suive sur ce terrain-lĂ . Mais Michel Sardou partage avec elle des valeurs qui ne se limitent pas Ă des convictions Ă©lectorales. Il propose en effet Ă ses auditeurs une vision particuliĂšre des mĆurs de notre sociĂ©tĂ©. La critique des institutions, toujours consensuelle, sây mĂȘle Ă un grand conservatisme. 3. Michel Sardou et la sociĂ©tĂ© critique des meurs et des institutions a Sabre, goupillon et institution scolaire, lâindividu face Ă la hiĂ©rarchie 1 Nâayant par rĂ©pondu Ă lâappel, il a Ă©tĂ© emmenĂ© de force vers sa caserne pour un service militaire d ... 51La principale originalitĂ© de Michel Sardou en la matiĂšre est son discours sur trois institutions lâarmĂ©e, lâĂglise catholique et lâĂ©cole. Le premier est traitĂ© de maniĂšre relativement attendue, puisque Le Rire du sergent sâinscrit dans la tradition du comique troupier. Mais si ce titre a permis Ă lâartiste de solder ses comptes avec un service militaire mouvementĂ©1, il ne lâempĂȘche pas de tĂ©moigner dâun profond respect pour les anciens combattants. Câest le cas, nous lâavons vu, lorsquâil rend hommage aux soldats amĂ©ricains qui ont libĂ©rĂ© la France. Câest Ă©galement vrai dans Verdun, oĂč le personnage lutte contre lâoubli des civils, dans une chanson Ă©lĂ©giaque. Michel Sardou associe toutefois le respect du soldat au mĂ©pris de la hiĂ©rarchie militaire et des gradĂ©s. Il lâexprime dans deux chansons au thĂšme semblable mais au traitement trĂšs diffĂ©rent. La Marche en avant donne la parole Ă un discours dâofficier dont le ridicule va jusquâĂ lâinvraisemblance Nous sommes le trois fĂ©vrier Ce sera un beau jour fĂ©riĂ© Les fonctionnaires nous bĂ©niront Allez sonnez clairons La marche en avant. 52Lâensemble nâa pourtant rien de comique. La musique martiale fortement contrastĂ©e qui accompagne le texte rend la plaisanterie sinistre, lorsque lâinterprĂšte Ă©voque les malheurs des soldats. La chanson est toutefois beaucoup moins efficace que La Bataille enregistrĂ©e en 2000. Dans ce titre, les orchestrations qui rappellent la musique militaire sont mises au service dâune fresque Ă©pique de plus de cinq minutes, au cours de laquelle un soldat Ă©voque les diverses Ă©tapes dâune bataille terrifiante. Le rĂ©sultat, particuliĂšrement efficace, fait que lâauditeur ne peut que sâidentifier au fantassin, et faire siennes ses derniĂšres paroles, dâun pacifisme violent tu sais câque jâen fais de ta mĂ©daille ? ». 53Lâhumble victime a donc toujours raison contre lâinstitution, ce qui nâa rien dâĂ©tonnant quand on connait lâindividualisme farouche de Michel Sardou, qui est aussi celui de sa gĂ©nĂ©ration. Mais ce point de vue est plus original lorsquâil sâagit de composer des chansons sur lâĂglise catholique qui ne lui soient pas hostile. Si lâon excepte un ironique Merci Seigneur enregistrĂ© au tout dĂ©but de sa carriĂšre en 1967, Michel Sardou nâa jamais rien chantĂ© dâanticlĂ©rical. Au contraire, en 1973, il enregistre Tu es Pierre, vĂ©ritable adaptation en chanson dâun extrait de lâĂvangile, la rencontre de Pierre et de JĂ©sus. MalgrĂ© la modernitĂ© anachronique du vocabulaire, le rythme allĂšgre des couplets et les chĆurs du refrain en font une chanson pour curĂ© Ă guitare. 54Le CurĂ©, enregistrĂ© sur le mĂȘme album, adopte une forme plus classique au service dâun discours plus Ă©tonnant. Tout lâorchestre, oĂč dominent tantĂŽt les violons tantĂŽt les percussions, est convoquĂ© pour jouer lâune des mĂ©lodies les plus efficaces de Jacques Revaux. Si les couplets insistent sur la solitude dâun prĂȘtre de campagne, les refrains chantent sur un rythme plus entraĂźnant un plaidoyer pour la fin du cĂ©libat des prĂȘtres ah mon dieu, si lâon Ă©tait deux ». Bien avant que les polĂ©miques nâenvahissent la vie de Michel Sardou, cette chanson lui a valu des inimitiĂ©s dans son propre camp. Elle demeure unique en son genre, car les chansons qui ne sont pas bien-pensantes On ira tous au Paradis de Michel Polnareff, par exemple sont Ă lâĂ©poque hostiles au catholicisme. De plus, Michel Sardou a rapidement fait profil bas en enregistrant Jây crois, une chanson en forme de confession accompagnĂ©e dâune musique doloriste. Tout en affichant un certain doute quant au dogme MĂȘme si ça nâest pas vraiment celui / Que tous les prophĂštes avaient promis » la foi empreinte de culpabilitĂ© quâil confesse plus quâil ne la revendique tĂ©moigne dâune Ă©ducation chrĂ©tienne Je suis un trĂšs mauvais chrĂ©tien Jây crois lorsque jâen ai besoin. 55Qui est dieu ?, enregistrĂ© lâannĂ©e suivante, nâapporte pas dâautre rĂ©ponse Ă cette question existentielle que Dieu, câest le temps », et la chanson nâa pas dâintĂ©rĂȘt, si ce nâest de permettre Ă Michel Sardou de chanter en duo avec son fils de cinq ans. Le sujet nâest plus guĂšre abordĂ© ensuite, Le CurĂ© nâapparaissant que sporadiquement sur les compilations. Il faut attendre 1990, et le texte dâAu nom du pĂšre, coĂ©crit avec Didier Barbelivien pour que lâartiste parle Ă nouveau de religion. Il nâest plus alors question de foi, malgrĂ© un refrain en forme de gospel festif. RythmĂ© par des AllĂ©luia », la chanson Ă©voque les agissements des missionnaires chrĂ©tiens, depuis lâarrivĂ©e des Espagnols jusquâĂ la sĂ©grĂ©gation raciale aux Ătats-Unis. La musique noire et les chĆurs des refrains ne peuvent dĂšs lors ĂȘtre compris que de maniĂšre ironique, du moins jusquâau couplet final, oĂč le message chrĂ©tien rĂ©apparaĂźt, tempĂ©rĂ© par un attachement profond aux choses dâici-bas. Au nom du PĂšre Tu es quelquâun FrĂšre de ton frĂšre De ton prochain Quel que soit lâendroit DâoĂč lâon vient AllĂ©luia Tu es nĂ© lâenfant dâune femme Aux seins sucrĂ©s au ventre calme Paix Ă ses cendres et Ă son Ăąme AllĂ©luia AllĂ©luia. 56Si la foi nâest pas remise en cause, la religion est donc finalement envisagĂ©e, comme lâarmĂ©e, du point de vue de lâindividu quâelle opprime. Sa critique des institutions et du passĂ© de lâĂglise catholique permet Ă Michel Sardou de sâadresser Ă un public de tradition chrĂ©tienne qui partage lâessentiel de ses idĂ©es modernistes. Le doute et la critique de la rigiditĂ© du Vatican sont en effet largement rĂ©pandus parmi les catholiques français. 57Lâartiste est plus polĂ©mique lorsquâil Ă©voque lâĂ©cole. Il est vrai quâil est le seul Ă oser sâaventurer sur ce terrain. Les chanteurs engagĂ©s Ă gauche savent que les enseignants constituent une bonne partie de leur public, ce qui incite Ă la prudence. Le Surveillant gĂ©nĂ©ral, Ă©crit en 1972 Ă partir de mauvais souvenirs de pension, reste consensuel puisquâil ne sâattaque quâaux internats. Mais en 1978, alors que Michel Sardou sort Ă peine de plusieurs mois de polĂ©miques Ă©prouvantes, il enregistre Monsieur MĂ©nard, consacrĂ© Ă un professeur maltraitĂ© par ses Ă©lĂšves. Le texte est portĂ© par un personnage violent CâĂ©tait un jour en terminale Pour une histoire assez banale Jâai cru quâil allait me frapper Alors jâai cognĂ© le premier Jâai donnĂ© un grand coup de tĂȘte Pour frimer devant les copains Je lui ai cassĂ© les lunettes Ils sont pas marrants les gamins. 58Certes, cet usage massif de la premiĂšre personne fait que le personnage et le malaise quâil suscite peuvent sembler anecdotique, privant le propos de toute portĂ©e gĂ©nĂ©rale. Il nâen reste pas moins que parler de lâĂ©cole de cette façon ne sâĂ©tait encore jamais fait en chanson. 59Lâhistoire ne dit pas si les anciens collĂšgues de Michel Sardou, qui a Ă©tĂ© professeur quelques mois, ont apprĂ©ciĂ©. LâĆuvre nâa, quoi quâil en soit, pas eu une grande carriĂšre. Par contre, Les Deux Ă©coles, paru en 1984, dans un contexte de manifestation en faveur de lâĂ©cole privĂ©e, aura un Ă©norme succĂšs. Le texte, conçu par Pierre DelanoĂ« comme un manifeste pour lâĂ©cole libre, est rendu plus neutre par lâinterprĂšte, qui renvoie dos Ă dos les deux modĂšles Ă©ducatifs. De fait, ce nâest pas le discours polĂ©mique qui a fait le succĂšs de la chanson, car une phrase telle que jâai fait les deux Ă©coles et ça nâa rien changĂ© » nâa de quoi satisfaire personne. LâĆuvre doit son succĂšs Ă son refrain, particuliĂšrement dansant, qui Ă©voque une succession de particularitĂ©s rĂ©gionales et prouve une fois de plus le talent avec lequel Sardou sait susciter la nostalgie. Le seul texte de Sardou que les enseignants ont mal acceptĂ© ne parle que peu de lâĂ©cole. Il sâagit du Bac G, qui, en dĂ©pit de son titre, parle surtout du dĂ©sespoir de la jeunesse de 1992 Vous passiez un bac G Un bac Ă bon marchĂ© Dans un lycĂ©e poubelle Lâouverture habituelle Des horizons bouchĂ©s Votre question Ă©tait faut-il dĂ©sespĂ©rer ? 60Câest dâailleurs ce ton dĂ©sespĂ©rĂ© qui vaut Ă la chanson dâĂȘtre rĂ©guliĂšrement reprise par son auteur depuis quinze ans, tandis que lâimage de lâĂ©cole ne cesse de se dĂ©grader. Mais le systĂšme Ă©ducatif, comme lâĂglise et lâarmĂ©e, font moins lâobjet de discours que dâanecdotes dont la portĂ©e est plus ou moins gĂ©nĂ©rale. Cela permet Ă Michel Sardou dâexprimer des critiques parfois virulentes, tout en lui laissant le loisir de sâabriter derriĂšre des personnages quâil incarne, sans forcĂ©ment leur ressembler. 61Mais ce dispositif, qui fonctionne bien pour critiquer la sociĂ©tĂ©, nâest pas toujours utilisable dans toutes les chansons ayant trait aux mĆurs, la premiĂšre personne du singulier, presque obligatoire, incite le public Ă confondre lâinterprĂšte et son discours. Le je » lyrique et impersonnel qui porte le texte, en particulier dans les chansons dâamour, nâest pas un personnage suffisamment construit pour permettre Ă Michel Sardou de sâen Ă©loigner radicalement. Et il est vrai que ses chansons en apparence anodines semblent nous renseigner sur sa vision particuliĂšre des rapports humains. b Ăvolution des mĆurs une tolĂ©rance qui exclut le fĂ©minisme 62Dans les annĂ©es 70, il sâest vu violemment reprocher son sexisme. Cette accusation se fonde sur lâimage de la femme vĂ©hiculĂ©e par ses chansons. Les chansons parlant dâamour se prĂȘtent Ă dâinfinies variations, mais quelques grandes tendances se dĂ©gagent de lâensemble du rĂ©pertoire, dont certaines ont des sources biographiques. Michel Sardou se sent aussi lĂ©gitime pour fustiger les femmes qui piĂšgent les hommes par un mariage La Corrida n âaura pas lieu, en 1971, Vive la mariĂ©e en 71, Bonsoir Clara en 72, le cas inverse Ă©tant envisagĂ© en 1970 dans Quelques mots dâamour, que pour condamner les pĂšres dĂ©missionnaires qui abandonnent leurs enfants Merci pour tout, 82. Attention les enfants dangers, 88 Ă cet aspect moralisateur sâajoute une vision conservatrice et une morale chrĂ©tienne, qui font que la femme a pour tĂąche essentielle de faire des enfants Ă son mari Tu mâas donnĂ© de beaux enfants / Tu as le droit de te reposer maintenant » dĂ©clare lâhomme dans Les Vieux mariĂ©s, et dâautres chansons y font Ă©cho, notamment Un enfant. Aux discours de sĂ©ducteur interprĂ©tĂ©s de maniĂšre virile Je veux lâĂ©pouser pour un soir, par exemple sâajoute une vision trĂšs catholique du pĂ©chĂ© de chair, souvent associĂ©e pour la femme Ă la peur et Ă la douleur. MĂȘme un succĂšs en apparence aussi anodin et consensuel que La Maladie dâamour en porte la marque, nâassociant la sexualitĂ© fĂ©minine quâĂ la souffrance et Ă la reproduction Elle fait chanter les hommes et sâagrandir le monde Elle fait parfois souffrir tout le long dâune vie Elle fait pleurer les femmes elle fait crier dans lâombre Mais le plus douloureux câest quand on en guĂ©rit. 63Les opposants Ă Michel Sardou nâont donc eu besoin que dâun peu de mauvaise foi pour lui reprocher dâinterprĂ©ter un personnage qui fantasme un viol Dans les villes de grandes solitude, en 1975. 64Il faut attendre le dĂ©but des annĂ©es 80, pĂ©riode Ă laquelle les femmes libĂ©rĂ©es sont devenues un thĂšme incontournable en chanson, pour que Michel Sardou fasse machine arriĂšre. Ătre une femme, sans cesse repris depuis, est restĂ© dans toutes les mĂ©moires, mĂȘme sâil est souvent connu Ă tort sous le titre de Femme des annĂ©es 80. Il a cependant Ă©tĂ© trĂšs vite amputĂ© de son couplet introducteur, qui transfĂšre sur lâinterprĂšte toutes les qualitĂ©s viriles du personnage Dans un voyage en absurdie Que je fais lorsque je mâennuie Jâai imaginĂ© sans complexe Quâun matin je changeais de sexe Que je vivais lâĂ©trange drame DâĂȘtre une femme. 65Si la femme se doit dâĂȘtre forte, Michel Sardou la confine dans un rĂŽle plus traditionnel. Il persiste et signe en 1984, en crĂ©ant avec Une femme, ma fille, la version fĂ©minisĂ©e dâun cĂ©lĂšbre poĂšme de Kipling Si tu lui donnes lâenfant quâil te prie de lui faire Comme un cadeau du ciel comme un fruit de la terre Si tu remplis son cĆur au fil de chaque jour De ta tendre chaleur et de tes mots dâamour Si tu peux lâĂ©couter quand il chante trop haut Et chanter avec lui pour que ce soit moins faux ... Si tu sais tout cela Comme les milliards de femmes qui lâont fait avant toi Et si dans son bonheur tu vois le tien qui brille Ce jour-lĂ tu seras une femme ma fille ma fille. 66Il ne faut pas sâĂ©tonner que cette chanson Ă contre-courant ait eu peu de carriĂšre. Marie Jeanne, en revanche, a Ă©tĂ© un grand succĂšs, prouvant une fois de plus que lâartiste excelle dans le pessimisme. La chanson dresse en effet un bilan trĂšs mitigĂ© de la libĂ©ration fĂ©minine, Ă©voquant des femmes qui ont renoncĂ© Ă leurs rĂȘves de jeunes filles. 67LâĂ©coute du rĂ©pertoire complet de Michel Sardou assigne donc Ă la femme un rĂŽle prĂ©cis et rĂ©actionnaire, mais cela va de pair, individualisme oblige, avec une tendresse particuliĂšre pour certains comportements marginaux. 68Cette tolĂ©rance ne sâapplique pas quâau personnage du CurĂ©, et peut aussi bien concerner une prostituĂ©e. LâAutre femme, comme lâindiquent ses orchestrations trĂšs datĂ©es Ă base dâorgue et de batteries, est créée au dĂ©but des annĂ©es 80. PrĂšs dâun siĂšcle aprĂšs que ce thĂšme a fait son apparition en chanson, Michel Sardou innove peu, mais fait la synthĂšse de tous les topoĂŻ accumulĂ©s sur le sujet. Il nâĂ©vite que celui de la prostituĂ©e amoureuse, hĂ©ritĂ© de Piaf, prĂ©fĂ©rant Ă©voquer une femme libĂ©rĂ©e Ă©levant seule son enfant. Pour le reste, les thĂšmes des diffĂ©rents couplets sont empruntĂ©s Ă un rĂ©pertoire classique, qui va de FerrĂ© Ă Brassens, en passant par Reggiani. Les difficultĂ©s du mĂ©tier, le rĂŽle de sĆur de charitĂ© » des prostituĂ©es, lâerrance affective de leur client, et lâaffirmation selon laquelle la prostituĂ©e nâest pas plus immorale que certaines femmes volages ou mariĂ©es par intĂ©rĂȘt, rien de tout cela nâest nouveau. Une telle tolĂ©rance a pourtant de quoi surprendre son public, dâautant que Michel Sardou dĂ©fend le titre en concert avec une grande rĂ©gularitĂ©. Cela ne lâa pourtant pas empĂȘchĂ©, sur son dernier album, dâenregistrer Valentine day, un titre dont lâaction se situe dans le passĂ©, pour introduire un stĂ©rĂ©otype rĂ©trograde. Il sâagit en effet, en Ă©voquant les filles qui allĂšrent peupler les colonies amĂ©ricaines, de chanter les amours vĂ©nales sur un rythme insouciant et joyeux, qui dĂ©responsabilise les hommes. Ce type de discours, qui associe bonheur de lâhomme et prostitution, nâavait pas Ă©tĂ© illustrĂ© en chanson depuis Les petites femmes de Pigalle de Serge Lama, titre dĂ©jĂ misogyne pour son Ă©poque. Le contexte fĂ©ministe des annĂ©es 1970, auquel on sait que Michel Sardou est peu sensible, avait jusque lĂ fait disparaĂźtre ce type de rĂ©pertoire. 69En revanche, la tolĂ©rance pour lâhomosexualitĂ© masculine semble croĂźtre avec le temps. Sâil est, de ce point vue, en phase avec la sociĂ©tĂ©, Michel Sardou est plutĂŽt rĂ©actionnaire par rapport au milieu de la chanson. En effet, alors que les annĂ©es 70 ont vu naĂźtre et prospĂ©rer des chansons tolĂ©rantes â Ă la suite de Comme ils disent de Charles Aznavour créé en 1971 â il affichait durant la mĂȘme pĂ©riode un mĂ©pris virulent. AprĂšs avoir moquĂ© Le Rire du sergent, et dĂ©noncĂ© lâhomosexualitĂ© latente des pensionnats dans Le Surveillant gĂ©nĂ©ral, il a employĂ© le terme pĂ©dĂ© » comme une injure dans Jâaccuse. Mais lâĂ©volution de la sociĂ©tĂ© a fini par lâinfluencer et, en 1990, il a enregistrĂ© Le PrivilĂšge. LâhomosexualitĂ© y est abordĂ©e par le biais de lâaveu Ă la mĂšre, ce qui permet dâesquiver les questions dâamour ou de vie de couple Dâabord je vais lui dire Maman Je ne veux plus dormir en pension Et puis je glisserai lentement Sur les ravages de la passion. 70Les procĂ©dĂ©s employĂ©s â orchestrations Ă base de piano et de guitare, usage de la premiĂšre personne, vocabulaire affectif, hyperboles â permettent une forme dâidentification de lâauditeur au personnage. Le texte du refrain, toutefois, reste imprĂ©gnĂ© des prĂ©jugĂ©s des annĂ©es 70, qui font de lâhomosexualitĂ© une maladie mentale et une source de culpabilitĂ© plutĂŽt quâun privilĂšge » Est-ce une maladie ordinaire Un garçon qui aime un garçon ? 71La tolĂ©rance quâaffiche Michel Sardou pour les individus marginaux qui vivent leur libertĂ© sexuelle est donc aussi grande que peut lâĂȘtre celle dâun homme qui revendique son appartenance Ă une droite catholique. Conclusion le succĂšs dâun Français rĂąleur 72Ă lâĂ©coute de lâensemble du rĂ©pertoire, les contradictions apparentes que Michel Sardou revendique souvent laissent apparaĂźtre une grande cohĂ©rence. MotivĂ©e par lâindividualisme forcenĂ© dâun homme qui sâest forgĂ© seul un destin de vedette, sa vision du monde manifeste une grande mĂ©fiance vis-Ă -vis de la sociĂ©tĂ© et de ses institutions, et une insatisfaction chronique Ă lâĂ©gard de la politique. Cet Ă©tat dâesprit, qui existe aussi chez des chanteurs de gauche, explique la violence de ses diatribes militantes. Ses opinions de droite sont moins fondĂ©es sur des options Ă©conomiques que sur des options morales sâil est tolĂ©rant envers la marginalitĂ©, il conserve une image de la femme et de la famille trĂšs rĂ©trograde, issue dâune Ă©ducation catholique. Joints Ă son pessimisme et Ă son angoisse du dĂ©clin, lâĂ©volution de la sociĂ©tĂ© en matiĂšre de mĆurs et la situation Ă©conomique lui fournissent nombre dâoccasions de crĂ©er des chansons en accord avec son goĂ»t prononcĂ© pour la dĂ©ploration. 73Bien sĂ»r, ces opinions nâexpliquent pas le succĂšs de Michel Sardou. Celui-ci sâappuie dâabord sur une voix et des prestations scĂ©niques trĂšs travaillĂ©es, dâune sobriĂ©tĂ© efficace. Sur des collaborateurs ensuite, quâil sâagisse de compositeurs et dâauteurs de grand talent â parmi lesquels Jacques Revaux, Pierre DelanoĂ«, Didier Barbelivien et Michel Fugain â, ou dâune multitude dâorchestrateurs qui permettent Ă lâartiste de renouveler son univers sonore. Sur des apparitions mĂ©diatiques rĂ©guliĂšres dans des Ă©missions consensuelles, enfin, qui lui assurent une grande visibilitĂ©, et lui permettent de tenter dâĂ©touffer dâĂ©ventuelles polĂ©miques. 74Mais, dans la chanson politique, on ne peut prĂȘcher quâĂ des convaincus, et si Michel Sardou sĂ©duit, câest parce quâil est en phase Ă la fois avec un public de droite et avec un autre plus dĂ©politisĂ© et dĂ©sillusionnĂ©. RĂąleurs et conservateurs, plus pessimistes pour la sociĂ©tĂ© que pour leur situation personnelle, constatant avec une relative bienveillance une Ă©volution des mĆurs Ă laquelle ils semblent peu participer, les personnes Ă qui sâadressent les chansons de Michel Sardou ressemblent fort Ă une image du Français moyen hĂ©ritĂ©e des annĂ©es 1970. Ils sont issus dâune France peuplĂ©e de blancs catholiques nâapprĂ©ciant des Ă©trangers, en particuliers des arabes, que leur caractĂšre exotique. Michel Sardou est leur seul porte-parole dans le domaine de la chanson française. Mais si lâartiste touche un public plus large, authentiquement populaire, câest parce quâil sait fĂ©dĂ©rer tous ceux â et ils sont nombreux depuis lâĂ©poque du France â qui conservent un attachement profond Ă leur pays et le dĂ©sir ambigu de se lamenter continuellement sur son dĂ©clin.
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Il sâest lancĂ© dans cette tournĂ©e comme on part Ă lâaventure. PoussĂ© par un souffle de libertĂ© Ă lâheure oĂč le monde entier se cloisonnait en raison dâune "petite pandĂ©mie", comme Stephan Eicher se plaĂźt Ă lâappeler. "Si on ne joue plus ensemble, on finit par perdre le muscle et le geste, sâexclame-t-il. Alors en 2021, quand tout Ă©tait encore arrĂȘtĂ©, jâai baratinĂ© mon Ă©quipe en Ă©voquant le fait que durant lâĂ©tĂ© nous pourrions nous produire Ă lâextĂ©rieur". Le musicien a tout prĂ©vu "Jâai construit une scĂšne de théùtre qui a la forme dâun radeau". Une embarcation baptisĂ©e dans la foulĂ©e radeau des inutilesââ, en rĂ©ponse au qualificatif non essentielââ apposĂ© Ă nombre dâactivitĂ©s durant la crise sanitaire. "Qui peut dĂ©cider ce qui est essentiel ou non ? Pourquoi un petit Ă©picier doit-il fermer quand les grandes surfaces restent ouvertes ? Ces choix disent beaucoup de notre sociĂ©tĂ©. Nous, les musiciens, ne sommes peut-ĂȘtre pas trĂšs utiles, mais Ă la maniĂšre dâun resto ou dâun bar oĂč lâon ne va pas juste pour manger ou boire un verre, un concert est aussi un lieu de partage et de rencontre. Lâhumain est un animal social ! Ce nâest pas ma conception de la vie que de me retrancher pour regarder Netflix !" Avec sa scĂšne atypique, Stephan Eicher a fait tout le contraire. "Nous avons jouĂ© devant 15 personnes, puis 50, puis 300 quand câest redevenu possible⊠CâĂ©tait un risque Ă©conomique Ă©norme, mais lâĂ©pidĂ©mie mâa inspirĂ© ce geste pour le public. Il fallait y aller !" Le chanteur ne regrette rien, et fera dĂ©couvrir cette configuration singuliĂšre au public ce soir et samedi, Ă 21 h 30, sur les berges de lâAude jardin du quai Bellevue. "Je recommande aux gens de venir avec des chaises de camping, car nous nâavons pas pu amener de siĂšges", insiste lâartiste, soucieux dâoffrir une immersion musicale totale et unique. "Je prĂ©fĂšre cette scĂšne Ă toutes les autres, car câest moi qui lâai dessinĂ©e puis bĂątie, avec les dĂ©corateurs. Elle est belle, jâaime le bois⊠Pour moi, câĂ©tait la scĂšne rĂȘvĂ©e !" Un Ă©crin tout trouvĂ© pour mettre le cap sur un mois de musique.
Dumercredi 20 au dimanhce 24 juillet 2022, la culture sâinvite en terre rurale, Ă Grand-Champ (Morbihan) avec Chansons communes, un festival rĂ©alisĂ© par un collectif de vingt-six artistes.
12 janvier 2007 5 12 /01 /janvier /2007 1805 Commentaire des chansons La plupart des chansons marquĂ©es en gras sont visibles dans cette rubrique et sont accompagnĂ©es des partitions que vous pouvez tĂ©lĂ©charger gratuitement. 1. En Lorraine, il y a de vastes vergers. Les arbres de ces vergers regorgent de fruits dorĂ©s comme des soleils. La prune reine de Lorraine câest la mirabelle ».2. Les mariniers, les Ă©clusiers ! Cela me rappelle mes trĂšs jeunes annĂ©es, lorsque je travaillais aux Ă©cluses dans la vallĂ©e de Cayenne » entre Messein et RichardmĂ©nil. CâĂ©tait pendant les vacances scolaires, je remplaçais les Ă©clusiers en congĂ©s. Le reste de lâannĂ©e, jâapprenais le mĂ©tier de marinier dans un LycĂ©e professionnel. Mes premiers pas dans le mĂ©tier, mâont menĂ©s non pas sur un plat-bord, mais sur le bajoyer dâune Ă©cluse. JâĂ©tais novice Ă lâĂ©cluse ».3. A bien observer les capitaines, leurs gestes au quotidien ne sont pas trĂšs variĂ©s. PlutĂŽt rĂ©pĂ©titifs, limitĂ©s et restreins. En effet, tenant dâune main le macaron », et de lâautre le litron, car en pĂ©niche, on ne risque pas de faire des excĂšs de vitesse, de griller un stop âŠchanson des capitaines.4. Puis je me suis embarquĂ©. Et lĂ , jâai connu la vie Ă bord et le travail du matelot. Je devrais dire lâart du matelotage. Car le matelot doit savoir tout faire Ă bord et ce, de lâĂ©trave Ă lâĂ©tambot ».chanson du matelot.5. Jâai dĂ©couvert les charmes de la vie Ă bord, des chemins de lâeau, et des paysages des abords des riviĂšres, mais aussi la duretĂ© de ce mĂ©tier et les conditions de travail des garçons des riviĂšres ».6. Les gens dâĂ terre » nous voyant passer, sâimaginent que notre vie se rĂ©sume Ă se laisser glisser en douce sans rien faire sur canaux et riviĂšres. Mais dans nos pĂ©niches », Mesdames, MessieursâŠ7. Une chanson des mariniers de Loire dit y a pas de gens plus drĂŽles que sont les mariniers »⊠Les bateaux attirent les belles dames. Reste Ă les faire monter Ă bord, pour cela, il vaut mieux sây prendre gaiement que timidement, comme dans la chanson Gaiement marinier ».8. Il sâen passe des choses sur les riviĂšres et leurs abords ! Sur les chemins de halage, les promeneuses Ă©chappaient rarement Ă la vigilance et lâintĂ©rĂȘt des mariniers qui les voyait dĂ©jĂ Ă leur bord, au fil de lâeau ».9. Pour le plaisir des sens, il y a la bonne cuisine et la bonne cuisiniĂšre. En mer, on fait la moule mariniĂšre, en riviĂšre, on fait lâamour mariniĂšre ».10. Les annĂ©es ont passĂ©es, la batellerie a changĂ©e, sâest transformĂ©e, sâest adaptĂ©e et ce qui Ă©tait, nâest plus. Voici de mĂ©moire de mariniers Le temps de la batellerie ».11. Alors jâai dĂ©barquĂ© pour faire musicien. "Scottish" 12 â Sur le canal de lâEst â câest plus comme Le long de la riviĂšre », jâai rencontrĂ©âŠ14. Sur les bord de lâĂźle, sur les bords de lâeau Jâai un bateau ».15. AprĂšs une escale de plusieurs annĂ©es, je suis retournĂ© Ă bord. Cela a commencĂ© avec une chanson intitulĂ©e HĂ© ho ! du bateau ! »16. Câest bien dâavoir un bateau. Encore faut il quâil soit en Ă©tat, et non sujet aux avaries » . Pour parer Ă ce flĂ©au, il faut possĂ©der un bon batardeau ou, avoir de la couenne de Beaucoup de familles mariniĂšres ont dĂ©barquĂ©es, pour dâautres, les hommes sont restĂ©s Ă bord laissant femmes et enfants Ă terre. A leur retour, ils avaient toujours Grand soif ».18. Puis vint le moment du dĂ©part. Je passerai la riviĂšre ».19. Sur un bateau on ne fait pas semblant, il ne faut pas avoir les pieds dans le mĂȘme sabots ou entretenir son poil dans la main car Quand on est marinier » on lâest pas pour de faux !20. Le refrain de la chanson suivante commence par Sur le quai du port Ste-Catherine », alors que les scĂšnes Ă©voquĂ©es se dĂ©roulent sur le quai voisin le quai St-Georges . Lâexigence de lâĂ©criture en a dĂ©cidĂ©e autrement afin de faciliter la rime. Oyez donc !21. En vous promenant sur le quai St-Georges, vous pourrez peut-ĂȘtre y rencontrer un personnage qui vous dira Bonjour, moi câest Gillou ! Alors ! Vous le trouvez comment mon bateau ? ou bien il est pas beau mon bateau ?!? » Câest sĂ»r quâil est beau car le gars a bien travaillĂ© pour lâamĂ©nager et le restaurer. Il peut donc en ĂȘtre fier et chanter Mon bateau câest "lâAlicante" pour moi câest la plus charmante »⊠Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 28 dĂ©cembre 2006 4 28 /12 /dĂ©cembre /2006 1645 Oh hisse ! CapÂtain Monfils. Oh hisse ! Capâtainâ Monfils. Oh hisse ! Capâtainâ Monfils Bienvânu Ă bord, Capâainâ Victor. bis Oh hisse ! Capâtainâ MonfilsQuittons le port, Capâainâ Victor. bis Oh hisse ! Capâtainâ MonfilsHors du corps mort...Virâ Ă tribordâŠMet lâcap au NordâŠSouquez plus fortâŠDedans, dehorsâŠPoint de remordsâŠCachons lâ trĂ©sorâŠOn roule sur lâorâŠOn est dâaccordâŠLâor nous dĂ©voreâŠCent mille sabordsâŠLe vent nous mordâŠCoquin de sortâŠQuand est-ce quâon dort ?âŠChantons encoreâŠOn vous adore, Capâainâ Victor. Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 22 dĂ©cembre 2006 5 22 /12 /dĂ©cembre /2006 1559 La femme du capitaine La femme du capitaine Le seul maĂźtre Ă bord, câest le capitaine ! sauf quand sa femme est lĂ . Adaptation d'une chanson du rĂ©pertoire traditionnel . Quand ma femmâ lavâ le bateau, mon matâlot lui tient le seau. Et moi lâCapâtaine, le maĂźtre Ă bord, je tiens la barre coquin de sort. Quand ma femmâ va-t-amarrer, mon matâlot est Ă cĂŽtĂ©. Et moi lâCapâtaine, le maĂźtre Ă bord, jâoccupe les gosses coquin de sort. Quand ma femmâ sonne le dĂźner, mon matâlot est attablĂ©. Et moi lâCapâtaine, le maĂźtre Ă bord, jâmet les assiettes coquin de sort. Quand ma femmâ se sert du vin, mon matâlot en est dâjĂ plein. Et moi lâCapâtaine, le maĂźtre Ă bord, jâsuis Ă la flotte coquin de sort. Quand ma femmâ mange ses pâtits pois, mon matâlot en prend deux fois. Et moi lâCapâtaine, le maĂźtre Ă bord, jâlĂšche la casserole coquin de sort. Quand ma femmâ prend son dessert, mon matâlot lui sâen ressert. Et moi lâCapâtaine, le maĂźtre Ă bord, jâfais la vaisselle coquin de sort. Quand ma femmâ a dâla paresse, mon matâlot la pousse aux fesses. Et moi lâCapâtaine, le maĂźtre Ă bord, jâastique les cuivres coquin de sort. Quand ma femmâ va prendrâ son bain, mon matâlot aussi prend lâsien. Et moi lâCapâtaine, le maĂźtre Ă bord,jâsuis dans les chiottes coquin de sort. Quand ma femmâ se met au lit, mon matâlot sây met aussi. Et moi lâCapâtaine, le maĂźtre Ă bord, jâtiens la chandelle coquin de sort. Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 26 octobre 2006 4 26 /10 /octobre /2006 1346 Dans la barque Ă Dujonc Dans la barque Ă Dujonc. BourrĂ©e 3 temps Paroles et musique Rohan Dans la barquâĂ Dujonc, lâon y rame, lâon y la barquâĂ Dujonc lâon y rame zâĂ reculons. bisLâon y rame, lâon y rame, dans an la-a barquâĂ Dujonc. Lâon y rame, lâon y rame, lâon y ra-a-me zâ Ă reculons. Dans la barquâĂ Dujonc, il y a cannes, zâil y a la barquâĂ Dujonc, il y a cannâ zâet Hameçons. bisIl y a cannes, zâil y a cannes, dans an la-a barquâĂ Dujonc. Il y a cannes, zâil y a cannes, il y a cannâ zâ et Hameçons. Dans la barquâĂ Dujonc, lâon appĂąte, lâon la barquâĂ Dujonc, lâon appĂąte le gardon. bisLâon appĂąte, lâon appĂąte, dans an la-a barquâĂ appĂąte, lâon appĂąte, lâon appĂą-Ăąte le gardon. Dans la barquâĂ Dujonc, lâon y ferre, lâon y la barquâĂ Dujonc, lâon y ferre le goujon. bisLâon y ferre, lâon y ferre, dans an la-a barquâĂ y ferre, lâon y ferre, lâon y fe-erre le goujon. Dans la barquâĂ Dujonc, lâon Ă©caille, lâon la barquâĂ Dujonc, lâon Ă©ca-aille le poisson. bisLâon Ă©caille, lâon Ă©caille, dans an la-a barquâĂ Ă©caille, lâon Ă©caille, lâon Ă©ca-aille le poisson. Dans la barquâĂ Dujonc, lâon y chante, lâon y la barquâĂ Dujonc, lâon y chante zâ Ă pleins poumons. bisLâon y chante, lâon y chante, dans an la-a barquâĂ Dujonc. Lâon y chante, lâon y chante, lâon y chantâ zâ Ă pleins poumons. Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 25 octobre 2006 3 25 /10 /octobre /2006 1619 Le temps de la batellerie Le temps de la batellerie partoche Il est rĂ©volu le temps oĂč les hommes tiraient les chalandsle sang aux pieds, le dos courbĂ©, meurtris Ă force de tirer. Sur les chemin de halage, habillĂ©s de leur attelagesont arrivĂ©s les chevaux, pour faire avancer les bateaux. La voile ou la godille sont encore sur les embarcationsavant la mĂ©canisation des moyens de propulsions. La vapeur a eu ses heures de gloire, de liesse et de malheursce fut une rĂ©volution, vive l'industrialisation. Et puis c'est au tour du diesel de donner aux bateaux des ailes,des hĂ©lices surpuissantes, robustes et endurantes. La voile ou la godille ont disparuent des embarcations,avec la mĂ©canisation des moyens de propulsions. Enfin arrive le GPL, au temps venu du logiciel,la navigation c'est fini, les chargements roulent en semi. L'Ă©clusier est congĂ©diĂ©, l'Ă©cluse est automatisĂ©e,le fret est sur la voie fĂ©rrĂ©e, le marinier va chĂŽmer. La clartĂ© des eaux d'antan fait place aux rejets polluantsqui gangrĂšnent les canaux les fleuves les riviĂšres les ruisseaux. Ainsi fini la profession des gens de la navigation,on dit " c'est ça l'Ă©volution " et vive la modernisation. Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 12 octobre 2006 4 12 /10 /octobre /2006 1451 Le passeur du printemps Le passeur du printemps La Marge / Margot, soyez la bienvenue, je nâavais personne Ă passerLa brise enfin est revenue nous pouvons dĂ©s lors traverser. Appuyez-vous sur moi ma blonde, nous en avons pour un instant,Ne craignez point le flux de lâonde tout ira bien lâamour aidant. Refrain Venez Margot dans ma nacelle, ma voile sâenfle au grĂ© des vents,au grĂ© des vents. Allons tous deux ma toute belle, lâamour attend, lâamour attend,lâamour appelle. Je suis le passeur du printemps, du printemps. Jâai cassĂ© ma rame mignonne, pour vous passer plus mollement,Sur lâeau ma barque sâabandonne, le vent souffle plus fortement. Ciel, dit Margot, quelle imprudence, quâavez-vous fait passeur ?Jâai peur ! Il me faut une rĂ©compense pour accoster dit le passeur. Refrain ⊠Le canot en pleine dĂ©rive, sâen allait au grĂ© du entendait sur lâautre rive, comme un faible Ă©cho babillard. De doux baisers de lĂšvres franches, le bruit charmant se rĂ©pĂ©tait,Puis cachĂ©s tous deux sous les branches, dans un soupir le passeur disait ⊠Refrain ⊠Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 12 octobre 2006 4 12 /10 /octobre /2006 1215 La chanson qui dĂ©range La chanson qui dĂ©range Paroles et musique Rohan Histoire vrai ! Cette scĂšne s'est passĂ©e lors d'une fĂȘte nautique. Les hautes instances de VNF prĂ©sentes, Ă©taient invitĂ©es Ă se pavoiser sur une petite vedette de plaisance. J'Ă©tais Ă bord pour agrĂ©menter le voyage de chansons bateliĂšres. Tout allait bien jusqu'au moment oĂč j'ai chantĂ© un de mes titres "Le temps de la batellerie" dans lequel je dĂ©cris l'Ă©volution de la batellerie depuis le halage Ă la bricole, jusqu'au dĂ©clin du transport sur les petits gabarits. La rĂ©flexion ne s'est pas faite attendre... " Vous ne devriez pas chanter cela "... "Contrairement Ă ce que vous pensez alors que je ne fais que restitiuer des tĂ©moignages d'authentiques mariniers qui savent de quoi ils causent... le mĂ©tier se porte bien" alors que ma chanson n'Ă©voque pas le grand gabarit "D'ailleurs on embauche sur le RhĂŽne" j'vois pas l'rapport ! J'ai eu droit Ă la leçon de morale, au recadrage, Ă la dĂ©magogie,au discours prĂ©sidentiel de vitrine dont je me fous royalement etc... Quand il a fallu accoster pour ramener la vedette Ă son lieu d'amarrage, ce fut une toute autre histoire. Le monsieur en question aprĂšs 3 essais ratĂ©s, nous a quand mĂȘme prĂ©cisĂ© que son permis ne datait pas d'hier... Il a fallu que ce soit un touriste sur le chemin, qui rĂ©ceptionne l'amarre pour haler le bateau jusqu'Ă la berge. MoralitĂ© Ă la fin de la chanson Câest Ă bord dâune vedette de plaisancequâembarqua ce monsieur de la capitaine cĂ©da sa place au macaron,et mâinvita Ă entonner une chanson. Monsieur le prĂ©sident des voies de France oĂč lâon naviguenâa pas apprĂ©ciĂ© ma chanson. Si jâavais quelque chose Ă dire, je ne mâadresserais pas Ă ceux quâoncroit compĂ©tent, mais câest bien pire de le chanter Ă ceux quâon de prĂ©sident, que le nom. Car contrairement Ă ce que vous pensez » me dit-il, le transport par la voie dâeau nâest pas en baisseâŠOn embauche sur le RhĂŽne » !!! le mĂ©tier se porte bien » ! Ma chanson, tout ce quâelle dit, ça nâest pas moi qui le pense,la fin du petit gabarit et le chĂŽmage, je sais, ça chanson, emprunte des phrases que mon transmis les prĂ©sent, un hĂ©ritage, quâils mâont chargĂ© de restituer. Mais Monsieur le prĂ©sident des voies de France oĂč lâon naviguenâa pas apprĂ©ciĂ© ma chanson. Si jâavais quelque chose Ă dire... Ma chanson, câest un tĂ©moignage de la vie des gens des voyages,de ceux qui ont sillonnĂ© les eaux, les fleuves, les riviĂšres, les chanson, elle parle du temps oĂč les hommes tiraient les chalands,de lâindustrialisation et de son Ă©volution. Monsieur le prĂ©sident des voies de France oĂč lâon naviguenâa pas apprĂ©ciĂ© ma chanson. Si jâavais quelque chose Ă dire... Ma chanson, câest le miroir de tous les gens de ce terroir,de tous ceux qui ont naviguĂ© depuis quâils sont chanson Ă©veil les enfants Ă câquâon nâleur apprend pas Ă lâĂ©cole,sur la vie des gens des chalands, le savoir-faire, le halage Ă la bricole. Monsieur le prĂ©sident des voies de France oĂč lâon naviguenâa pas apprĂ©ciĂ© ma chanson. Si jâavais quelque chose Ă dire... Ma chanson, câest aussi un hommage au peuple des rives et des eaux,et se garde bien dâ fairâ du tapage avec câui qui sort dâun chanson elle vous dit m... ĂȘme, que si vous dĂ©sirez plus dâinformations,adressez-vous Ă ceux lĂ mĂȘme qui connaissent la chanson. Monsieur le prĂ©sident des voies de France oĂč lâon naviguenâa pas apprĂ©ciĂ© ma chanson. Et quand on est prĂ©sident des voies de France oĂč lâon navigue,pour Ă©viter les commĂ©rages, on rĂ©ussi au moins son accostage. J'ajoute que, mĂȘme le grand gabarit est en difficultĂ© car fin 2005, je naviguais sur la Seine et j'entendais Ă la phonie les mariniers qui se plaignaient du manque de diversitĂ© dans les chargements, la dĂ©localisation des entreprises riveraines, du coĂ»t des amĂ©nagements qu'ils doivent effectuer sur leur bateau pour s'adapter aux chargements etc... A ce propos voir l'article " Coup de gueule " dans le menu Ă la rubrique les potins d'Ă bord Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 12 octobre 2006 4 12 /10 /octobre /2006 1151 Le parlĂ© des Chie_en_l'eau Le parlĂ© des chie-en-lâeau. Paroles Rohan Le parlĂ© des mariniers est si particulier quâil peux prĂȘter Ă rireLeur vocabulaire nâest pas trĂšs universitaire pour ce quâils ont Ă direPas besoin dâĂ©rudition sur le plan donc ces expressions empruntĂ©es Ă leur jargon. Mets ton nez derriĂšre ma fesse, Ă©tale ton ceint sur ma biteSurtout pas de maladresses marinier, quand tu tâagites ». Mets ton nez derriĂšre ma fesse, Ă©tale ton ceint sur ma biteQuel plaisir quand ton avant, tout Ă mon arriĂšre sâinvite ». Il y a longtemps les mariniers naviguaient des boĂźtes Ă fumier »Pour loger Ăąnes et chevaux tout au milieu de leur espĂ©rer la fortune il faut bouffer de la lune » Faire brĂ»ler son matelas » car Ă la veille » restera. Les haleurs dans le Berry, sont des ramasseurs de persil »Et bien quâils ne soient pas en deuil, sur lâeau promĂšne leur cercueil ».Pour dĂ©fricher le chemin, le haleur tenait dans sa mainCet engin appelĂ© braquemard », aussi connu sous le nom de goyard ». Si lâon pisse Ă la peau du bord », câest pour Ă©pargner les les gars des canaux sont surnommĂ©s les chie-en-lâeau ».A Dunkerque, les bateliers ne quittant jamais leur contrĂ©e, Par ce terme un peu familier, se sont fait appelĂ©s les becs-salĂ©s ». Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 11 octobre 2006 3 11 /10 /octobre /2006 1222 Fanchon d'Arzon Fanchon dâArzon partoche Paroles & musique ROHAN Les matâ lots de ce bĂątimentQue dire que dire Ă dix brasses de lâĂźle bisSont des matelots mĂ©ritants, Ă dix brasses de lâĂźle, fais gaffe au jusantSont des matelots mĂ©ritants Ă dix brasses de lâĂźle Pendant des mois sur lâocĂ©an⊠Se sont brisĂ©s au cabestanâŠLes matâ lots de ce bĂątiment⊠Ont bien mĂ©ritĂ©s du bon temps⊠Cap sur le golfâ du MorbihanâŠNous nous mĂ©fierons des courantsâŠMouillerons Ă Port Navalo⊠Boirâ un coup dans un caboulot⊠Peut-ĂȘtre y verrons nous FanchonâŠFanchon, dam, quel joli nomâŠCâest la plus jolie fille dâArzon⊠Qui fait chavirer la raison⊠Par une soirĂ©e de printemps⊠Quand nous Ă©tions adolescents⊠Mâa -z- allongĂ© de sur un banc⊠Le soleil Ă©tait au couchant⊠Elle fit glisser son corsage⊠Moi qui Ă©tait garçon trĂšs sageâŠMâa dĂ©voilĂ©e deux beaux seins blancsâŠEt le reste tout en suivant Nây avait point de plus doux prĂ©sageâŠPour y perdre mon pucelageEt tout ce que mâa fait FanchonâŠĂ§a nâest pas dit dans la chanson ParlĂ© Et tout ce que mâa fait Fanchon ?!!? Vous aimeriez le savoir ! ??!Tiens comme câest bizarre !!! ChantĂ© Jâ crois bien quâ jâai perdu la mĂ©moireĂ 10 brasses de lâĂźle, fais gaffe au jusantJâ crois bien quâ jâai perdu la mĂ©moireĂ 10 brasses de lâĂźle. Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ©. Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches 11 octobre 2006 3 11 /10 /octobre /2006 1204 La chanson du crevettier La chanson du crevettier partoche Paroles et musique ROHAN De bon matin au levĂ© eh ! la crevette djĂ© djĂ© bisJâla pĂȘcha abondamment la crevette la crevetteJâla pĂȘcha abondamment la crevette gaiement bis Jây descendis les casiers eh ! la crevette djĂ© djĂ© bisPour y enfermer dedans la crevette la crevettePour y enfermer dedans la crevette gaiement bis Pis je revins relevĂ© eh ! la crevette djĂ© djĂ© biset embarquer promptement la crevette la crevette et embarquer promptement la crevette gaiement bis AprĂšs mây fallut trier eh ! la crevette djĂ© djĂ© biset la rangĂ©e joliment la crevette la crevetteet la rangĂ©e joliment la crevette gaiement bis Je la vendis au marchĂ© eh ! la crevette djĂ© djĂ© biscâest ma femmâ quâa eu lâargent la crevette la crevettecâest ma femmâ quâa eu lâargent la crevette gaiement bis Ellâen a eu tout son souhait eh !...Mây fit ben passer mon temps Elle me dit mon gabier eh !... tes bourses sont ben gonflĂ©es Ma tirelirâest vidĂ©e eh !.. .quây metteras tu dedans ? Jây metterai tout ton souhait eh !...jâtây gĂąterai longuement Empli moi de ta gaĂźtĂ© eh !... donne moi contentement Viens mon amant au plus prĂ©s eh !...rĂ©jouis-moi goulĂ»ment Quand jây approcha le nez eh !...ça mâ rappelait vaguement Toutes les chansons et musiques de ma composition sont protĂ©gĂ©es. Vous pouvez les tĂ©lĂ©chargĂ©es, les interprĂ©tĂ©es, les rĂ©arangĂ©es, les jouĂ©es, les recommandĂ©es mais en aucun cas, vous en attribuer la paternitĂ© Published by LĂ©gend'eaux Rohan - dans Chansons paroles partoches
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allez on part on met les voiles chanson